La crise cubaine et l’embargo nord-américain
Le 11 juillet dernier, Cuba a connu les plus fortes manifestations de son histoire depuis la révlution de 1959. Des milliers de Cubains sont descendus dans la rue dans plus de 60 villes, en pleine crise économique et sanitaire, avec une grave pénurie de nourriture, de médicaments et d’autres produits de base, de longues coupures d’électricité et une pandémie hors de contrôle. Le gouvernement cubain parle de « perturbations à une échelle très limitée, de désordre et de vandalisme ». Pour le président Miguel Díaz-Canel, tout cela est l’œuvre du blocus nord-américain, commercial et financier imposé à l’île et une grande opération de communication de son ennemi historique pour provoquer un changement de régime.
Le dernier roman de l’écrivain cubain Leonardo Padura : « Comme la poussière dans le vent »
Dialogues libertaires avec l’Atelier libertaire Alfredo López : Explosions sociales et formes possibles d’auto-organisation (II)
On ne peut nier la légitimité des explosions sociales que connaît Cuba aujourd’hui. L’extrême précarité de la majorité des classes populaires, lorsque le salaire officiel ne suffit pas pour les achats familiaux de base, et qu’il faut entrer dans les réseaux de la « lutte » (économie informelle, y compris les expropriations discrètes, et les petites entreprises hors du cadre légal), ou recevoir des fonds de l’étranger, pour parvenir à une survie élémentaire. Cette situation était censée s’améliorer avec les différentes réformes (notamment en matière de salaires et de sécurité sociale, de fiscalité et de prix) que le gouvernement a entreprises le 1er janvier de cette année. Mais le simple fait qu’une grande partie des produits de première nécessité soient vendus par le gouvernement lui-même dans des boutiques en monnaie librement convertible (MLC), l’effondrement économique induit par la pandémie, les effets du blocus américain et les restrictions répressives imposées précisément à la capacité productive du peuple, ont entraîné une inflation désastreuse qui, en quelques semaines, a annulé les avantages supposés que l’ « ordre » économique conçu tardivement par les dirigeants cubains était censé générer. Aujourd’hui, une fois de plus, la précarité est à l’ordre du jour, les salaires sont insuffisants et, dans de nombreuses régions de Cuba, la pénurie est effrayante, car il est impossible d’accéder à presque toutes les marchandises sans euros, dollars américains ou autres MLC (monnaie convertible). En outre, on constate une dangereuse pénurie de médicaments et l’effondrement des services de santé dans de nombreuses villes. C’est pourquoi les habitants de nombreuses localités sont descendus dans la rue le 11 juillet. Même les autorités ont partiellement reconnu la légitimité de ces protestations. Pour nous, il est clair qu’une explosion sociale a eu lieu, ce dont nous avions averti depuis des années.
Dialogues avec l’atelier libertaire Alfredo López. Le blocus externe au gouvernement et le gouvernement du blocus interne (I)
Nous avons à Cuba une sorte de slogan : « À bas le blocus des États-Unis (États-Unis ou pas) sur le peuple cubain », qui reconnaît évidemment que non seulement nous vivons sous l’effet du blocus du gouvernement américain, mais qu’il y a aussi un blocus de l’État cubain sur le peuple. Cela fait partie d’une pensée anarchiste générale, à laquelle on peut chercher des références dans des figures comme Kropotkine, en termes de capacité d’autogestion, d’auto-organisation et de soutien mutuel que tous les gens peuvent mettre en œuvre. Ces capacités peuvent également être appelées « forces productives », c’est-à-dire l’une des manifestations de cette capacité, et les États limitent ces capacités, comme le fait le système d’entreprise capitaliste. Certains auteurs marxistes ont également travaillé sur ces questions, comme John Holloway, en examinant comment cette force créatrice peut être limitée par l’action des structures de pouvoir, et comment ces structures génèrent une résistance. Il existe donc une vision – que nous partageons – de la libération des forces productives au-delà du système salarial.
GAESA : le consortium militaire qui contrôle l’économie cubaine
Les héritiers sanguins et idéologiques des frères Castro, les néo-Castro, contrôlent l’île sur le plan politique grâce aux puissantes tentacules de la nouvelle dynastie militaire dans l’économie et la finance.
Pendant près de six décennies, l’économie cubaine a fonctionné davantage selon les caprices des personnes au pouvoir et leurs luttes idéologiques que sur la base de lois économiques. Les changements mis en œuvre dans ce domaine ont été la conséquence du sens donné à l’économie par Fidel Castro, que les économistes appelaient « le grand improvisateur », et du sens donné aujourd’hui par Raúl, qu’ils appellent « le pragmatique ».
Le réseau internet est devenu une menace pour Miguel Díaz-Canel, le successeur des frères Castro
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Le 11 juillet, des milliers de Cubains ont manifesté aux cris de « Liberté ! », « À bas la dictature ! » et « Nous n’avons pas peur ! ». Après soixante ans de main de fer castriste, ces protestations inédites contre le régime ont éclaté dans plusieurs villes du pays grâce à une nouvelle révolution : le numérique, vecteur mobilisateur de la frustration sociale.
Pour s’organiser et protester contre des pénuries en tout genre, Whatsapp, Instagram, Facebook, Twitter, Telegram sont devenus les outils privilégiés des Cubains excédés par une situation de plus en plus inquiétante. Atteintes à la liberté d’expression, manque de nourriture, absence de médicaments, longues coupures d’électricité : c’est une ambiance explosive, aggravée par une pandémie qui a porté un coup de massue au tourisme, principale source de l’économie cubaine. Rappelons que l’internet mobile, mis en place en 2018, a été le déclencheur des hostilités contre le gouvernement. Des manifestations spontanées d’une ampleur inédite depuis la révolution de 1959, dans ce pays gouverné par le Parti communiste (PCC, parti unique). La première manifestation, qui avait éclaté le dimanche 11 juillet dans la petite ville de San Antonio de los Baños, avait été filmée en direct sur Facebook, provoquant un effet domino dans le reste du pays. « Nous avons vu une manifestation spontanée à San Antonio et cela s’est propagé », explique à la BBC monde le militant Alfredo Martinez Ramirez avant d’ajouter que ces vidéos « donnent du courage ».
Bouleversement social à Cuba : la fin de l’épopée rédemptrice
Nous créons un lien sur le site “Le grand continent” (1) et l’article de notre ami Armando Chaguaceda et de Melissa Cordero Novo intitulé : “Bouleversement social à Cuba : la fin de l’épopée rédemptrice”.
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Les manifestations qui ont secoué Cuba entre le 11 et le 17 juillet ont profondément changé le rapport de forces qui prévalait jusqu’ici entre le régime communiste et la population. Pour Armando Chaguaceda et Melissa Cordero Novo, il sera difficile à l’avenir de considérer l’île comme étant une société figée, subissant le joug d’un pouvoir qui a fait le choix délibéré de s’écarter de sa population, mue par un désir de liberté.
Ensuite, c’est l’horreur qui commence. La militarisation des rues. La chasse à l’homme millimétrée et coordonnée. Ensuite surgit la barbarie, l’intransigeance, l’impunité, la manipulation, la coupure du réseau Internet, le silence. Le déclenchement des plus grandes protestations sociales en soixante ans de régime post-révolutionnaire cubain s’est produit, comme dans ces cas-là, lorsque les signaux se sont accumulés – mais l’étincelle s’est allumée au moment et à l’endroit où personne ne s’y attendait.
Le gouvernement a répondu – dans une tentative désespérée de contrôler ce qui s’est passé en raison de sa gestion défaillante, et du mécontentement du peuple qu’il n’écoute pas – par une violence excessive, et a donné libre cours à une répression physique jamais vue auparavant dans les rues cubaines. Le gouvernement a répondu par un appel à la guerre civile, à la confrontation, au combat. Des Cubains – membres des forces paramilitaires ou non – ont maltraité d’autres Cubains, les ont battus à coups de bâton, les ont jetés sur des camions poubelles, les ont agressés – physiquement et psychologiquement ; un prêtre a reçu un coup de batte en pleine tête.
Voir la suite de l’article :
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1. “Le grand continent” est une revue nouvelle, fondée il y a un peu plus d’un an à Paris, en plein développement et en construction. Il s’agit de la première hypothèse crédible de produire une revue écrite dans les principales langues du débat européen. À partir de 2021 une édition intégrale du Grand Continent paraîtra en allemand, espagnol, italien et polonais.
La revue est éditée par le Groupe d’études géopolitiques, une association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure et reconnue d’intérêt général.
Érudition et despotisme
Il y a deux jours, lors du panel « Autoritarisme et gauche en Amérique latine : Cuba, Nicaragua et Venezuela », qui s’est tenu dans le cadre du XXXIXe congrès de l’Association d’études latino-américaines, un collègue a posé deux questions aux intervenants : pourquoi tant de personnes érudites légitiment-elles des régimes oppressifs ? Comment comprendre que, de surcroît, elles le fassent au nom d’objectifs et d’idéaux apparemment nobles ? Nous avons essayé d’y répondre du mieux que nous pouvions. C’est avec ces questions qui résonnent encore dans ma tête, à l’heure où la répression se déchaîne dans plusieurs pays de notre région et du monde, que j’écris cette chronique.
Le régime cubain introduit la censure sur Internet avec la publication du décret-loi 35
Le décret limite la liberté d’expression sur Internet et qualifie les appels à la protestation de « cyberterrorisme ».
Pablo Domínguez Vázquez, directeur de la cybersécurité au ministère des communications (MINCOM), a déclaré lors d’une conférence de presse que cette nouvelle législation permettra de criminaliser des actes qui, jusqu’à présent, n’avaient pas de support légal dans le pays dans l’environnement du réseau des réseaux, comme les dommages éthiques et sociaux ou les incidents liés à des agressions.
Parmi les points qui seront pénalisés selon le décret figurent le partage de fausses nouvelles, les messages offensants ou la « diffamation ayant un impact sur le prestige du pays », ce dernier cas étant plutôt ambigu.
COMMUNIQUÉ SUITE AU SOULÈVEMENT À CUBA
La situation actuelle à Cuba a débuté dans la nuit du 10 juillet avec l’apparition de nombreuses manifestations dans la ville de Palma Soriano située dans la province de Santiago de Cuba. Les gens ont commencé par marcher dans la rue avec des casseroles, manifestant alors dans une casserolade, au milieu de pannes d’électricité croissantes, de pénuries alimentaires et d’une crise sanitaire qui couvaient depuis un moment.