Social : Ramón Silverio et son beau Mejunje
Situé dans une petite rue latérale du centre de Santa Clara, à seulement quatre heures en car de La Havane, El Mejunje est un centre culturel singulier qui constitue une source d’inspiration aussi bien pour les habitants de la ville que pour les visiteurs. Là, la culture et les arts alternatifs sont reçus sans préjugés et avec passion.
Tout a commencé avec un jeune homme, Ramón Silverio, élevé dans des conditions difficiles aux alentours de cette petite ville de province. Pendant plusieurs années il a travaillé comme enseignant. Cependant, sa première passion était le simple mais toujours magique cirque ambulant qui parcourait les communautés rurales.
Grâce au cirque, sa source d’inspiration, il s’incorpore au théâtre communautaire comme acteur et directeur. « C’était tout simplement quelque chose que je voulais faire. Encore aujourd’hui, nous nous rendons aux endroits les plus pauvres et reculés de la campagne. Nous voulons éveiller le même enthousiasme que j’ai éprouvé lorsque j’étais un enfant », dit Ramón.
C’est en 1984, attiré par la nouvelle tradition havanaise des « peñas » (réunions informelles de musique, poésie et danse), que Ramón Silverio commence à rêver d’un centre culturel propre. Il essayait de créer un espace urbain consacré à la « culture dépourvue d’influences politiques » où les intellectuels, les artistes et tous les intéressés puissent se réunir et se sentir à l’aise.
Après avoir frappé à toutes les portes, on lui offre en 1991 un espace en ruines au centre de la ville, transformé aujourd’hui en El Mejunje, dont les activités comprennent des représentations théâtrales, séances de cinéma, concerts de la meilleure trova contemporaine et de groupes de rock, soirées de son et salsa, matinées infantiles et après-midi pour les personnes âgées.
Mais la célébrité d’El Mejunje provient surtout de ses samedis soir LGBTP (lesbiennes/gays/bisexuels/transsexuels/pédés). Le soir où je m’y suis rendue, six mannequins masculins avaient voyagé depuis La Havane pour montrer leurs culottes exclusives, très belles, soit dit en passant.
J’ai parlé avec Silverio dans sa charmante maison délabrée située au centre de Santa Clara. Les murs sont ornés d’immenses tableaux et gravures. Notre conversation a été a plusieurs fois interrompue par des artistes et amateurs qui demandaient de l’aide à propos de l’éclairage et des vêtements pour un nouveau spectacle, ou sur les tickets d’un prochain concert de Carlos Varela (l’un des trovadores/rockeurs les plus fameux de Cuba) qui se produirait dans la ville deux mois plus tard. Silverio est disponible 24 h/24, 7 jours/7.
Au début, les objectifs étaient plutôt modestes. Au fil des ans, grâce à l’aide loyale et dévouée d’un bon nombre d’artistes, d’institutions et des citadins, le bâtiment est devenu un espace magique. Les murs sont ornés de graffitis, parfois sympa, parfois implacables. Des arbres pleins de lumières surplombent la cour. Silverio souligne que le centre s’est développé de plein gré plutôt qu’à partir de ses plans.
À l’origine, El Mejunje était connu comme un espace pour gays. À cette époque-là, les homosexuels étaient encore victimes d’une forte discrimination à Cuba et El Mejunje est alors devenu un refuge.
À l’heure actuelle, le centre participe activement à des projets ayant pour but de sensibiliser la communauté au VIH/sida à travers le théâtre, les débats et la distribution d’un nombre considérable de préservatifs. Sa propre existence a été reconnue, à juste titre, comme innovatrice. On estime que El Mejunje a joué un rôle très important dans la promotion de la tolérance et de l’acceptation de styles de vie alternatifs à Cuba.
Comme Silverio nous a dit, le centre a pu graduellement s’attirer le respect et l’acceptation de la communauté.
« À un moment donné, El Mejunje était vu d’un mauvais œil. Plusieurs jeunes ayant des préférences sexuelles différentes s’y réunissaient mais ils ne pouvaient en parler chez eux. Ils disaient alors : « On va là bas » ou « On se voit là bas ». Mais tout a commencé à changer avec le temps. Les parents acceptent de bon gré que leurs enfants se rendent à El Mejunje. Si par hasard ils sont en retard, les parents me donnent un coup de fil pour savoir où ils sont ou si je les ai vus ! »
El Mejunje est aujourd’hui un symbole d’acceptation et de communauté sans perdre pour autant ses racines alternatives et parfois provocatrices. « Tout ceci a contribué à l’envelopper d’un certain mystère », signale Ramón Silverio.
Si nous parlons de l’avenir, il sourit et dit qu’il a une mission aujourd’hui : celle d’axer son attention sur les jeunes actuels, de découvrir leurs besoins, de les encourager à écouter leur musique, de s’y rendre avec leurs ordinateurs, de créer leur propre monde dans ce monde culturel en développement constant appelé El Mejunje.
« Je suis – dit-il – un acteur et un militant qui a défendu cet espace, ce centre, pour faire du bon art et où tous puissent se sentir à l’aise. Il ne serait jamais lié ni à la « politicaillerie » ni à l’anti-culture. Je ne peux rien faire contre la discrimination et les préjugés des hommes mais à El Mejunje il n’y a pas de place pour rien de cela. »
Alors, si vous décidez de vous rendre à Santa Clara, vous découvrirez dans une ruelle appelée Martha Abreu, tout près d’un marchand de fleurs, une porte ouverte sur laquelle une enseigne signale tout simplement El Mejunje. Entrez. Ce centre rend hommage à la persistance, à la vision, au dévouement d’un homme. Un site qui nous rappelle comme devraient être nos communautés.