Entretien avec Isbel Díaz Torres

Cet entretien avec notre compagnon Isbel Díaz Torres, membre de l’Observatoire critique, de l’Atelier libertaire Alfredo López et animateur du groupe écologiste El Guardabosques (Le Garde forestier), a été mené par un vétéran des luttes anticapitalistes Felix Sautié Mederos, pour le site cubain “POR ESTO! pregunta”*.

Le développement d’une pensée rénovatrice à gauche, alignée sur les courants de ce qu’on appelle maintenant le socialisme du XXIe siècle et la Nouvelle gauche anti-autoritaire, basée sur la décentralisation, anti-capitaliste et patriotique est l’un des processus politiques latino-américains, et Cuba ne constitue pas une exception. À mon avis, il s’avère être peut-être la nouveauté socio-politique la plus intéressante de ces dernières années, qui, entre autres questions très significatives a conduit à un exercice de la pensée autonome sans limites dogmatiques et schématiques. Cette pensée est axée sur la défense de l’équité distributive, sur la justice sociale et sur la pleine participation du peuple et sur une empreinte démocratique ayant un large spectre politique, et enfin sur la diversité.

La chaire Haydée Santamaria, l’Atelier Alfredo López, la Confrérie de la Négritude, le bulletin le Garde forestier, le bulletin SPD des partisans du socialisme participatif et démocratique et d’autres projets, sur lesquels ils serait trop long de s’étendre, sont les expressions propres de la diversité et sont la richesse conceptuelle de ce mouvement du futur avec des tendances acrates et libertaires, alors que le schématisme dogmatique de certains s’efforce d’ignorer et de nier la légitimité du caractère progressiste et rénovateur de l’ensemble de toutes les vieilles idées socialistes figées à l’époque de la Guerre froide et du stalinisme pro-soviétique. Guerre froide et stalinisme qui ont donné corps à l’échec du socialisme réel.

Je me réfère aux processus situés au-delà des slogans inventés de la Révolution dans la révolution, que certains ne se lassent pas d’utiliser. Processus qui ne devraient pas être ignorés car les ignorer cela reviendrait à ne voir uniquement qu’une partie du futur. Ce processus est limité par ceux qui scrutent tout avec une position anti-scientifique et dogmatique, ce qui pourrait conduire à l’échec de toute finalité sociale, aussi légitime qu’elle puisse se considéré. La Nouvelle gauche cubaine est née de la vie elle-même, sans consultations préalables, sans les structures bureaucratiques précédemment développées, elle subsiste et se développe dans le cadre d’une pensée jeune projetée sur la réalité qui synthétisée et exprime les angoisses, les désirs et les frustrations du peuple. Quelque chose qui, chaque jour, a un effet plus important et plus de raison d’être.

En tant que journaliste qui tente de refléter son époque et en tant qu’homme de convictions révolutionnaires de gauche, je ne peux pas ignorer l’existence de ces zones de la pensée progressiste, libertaire et profondément révolutionnaire avec lesquelles je partage beaucoup de critères, principalement ceux qui sont propres à l’anticapitalisme, ainsi que ceux d’un socialisme participatif et démocratique d’orientation horizontale. Dans cette ordre de pensée, je me suis consacré au témoignage de ceux qui défendent ces conceptions et agissent dans la société conformément à leurs principes de base, dont beaucoup sont développés dans l’environnement spécifique du réseau de l’Observatoire critique.

C’est ainsi que dans le cadre de ces recherches j’ai pu rencontrer Isbel Díaz Torres, biologiste de l’environnement, poète à la grande sensibilité, libertaire et participatif, qui s’exprime avec ses propres mots dans l’entretien auquel il a bien voulu participer.

Mon premier militantisme a été d’être un membre de l’Union des jeunes communistes… Pendant que j’étudiais la biologie à l’Université de La Havane, aux environs de l’année 1998… Ma formation de biologiste, mais surtout mon regard critique sur cette même formation, ont déterminé dans une grande mesure mes actuelles positions environnementalistes… Par ailleurs, la poésie a été un des éléments qui me définissent. La capacité de créer, de provoquer, d’irradier les choses autour de moi a un pouvoir indicible… Je pense que le terme “Nouvelle gauche cubaine” est imprécis. Je pense que ce qui doit être compris dans ce concept, c’est qu’il fait partie d’un continuité dans la pensée de la gauche cubaine. Il est possible que la visibilité aujourd’hui soit meilleure, grâce aux actuelles technologies de l’information… Abandonner la stratégie de “défense” de la révolution, et la remplacer par celle du “développement” ou de la “radicalisation” de la révolution… Je suis arrivé à l’Observatoire critique (qui n’existait pas comme un réseau à l’époque) grâce à l’Association des frères Saíz (une dépendance pour les jeunes du Ministère de la culture), une organisation dont je faisais partie dans sa section de littérature… Le réseau de l’Observatoire critique s’est construit par lui-même. C’est un espace d’appui et de solidarité, mais aussi d’accompagnement avec un esprit d’entreprise, de réflexion et d’action sociale… Nous avons réussi à acquérir un profil internationalement reconnu, en dépit du fait que nous n’avons qu’un blog… À l’échelle nationale, la reconnaissance se fait sur deux plans bien discernables : un grand nombre de personnes dans toutes les provinces lit nos articles et reçoit le COMPENDIO (un recueil d’informations de l’Observatoire critique) à travers leurs comptes de messagerie, et un autre groupe, plus réduit se retrouve au niveau de la communauté, où le réseau a ses projets de manière indépendante, en ayant un impact des manière systématique… Je considère que toutes les formes de discrimination sont sœurs ; pour cela nous les discriminés devont travailler ensemble, comme des frères et des sœurs… Je fais partie du projet Arc-en-ciel, qui se déclare indépendant et anti-capitaliste, il fait la promotion des activités et informe sur les luttes contre la discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre à Cuba… C’est dans ce sens que je reconnais que le fossé des générations se produit sur le plan des utopies.

Sans plus tarder je vous présente le texte intégral de l’entretien que j’ai réalisé il y a quelques jours :

Isbel mon ami, j’ai compris que tu es biologiste, profession, à mon avis, dont tu fais un emploi public, socialement utile aux moyens du bulletin le Garde-forestier. Je sais aussi que tu es poète, et que tu fais partie du réseau de l’Observatoire critique, que tu publie régulièrement sur votre blog où vous soulevez et appelez à des campagnes de mobilisation et à la participation du public en faveur de la conservation de l’environnement et de la nature en général. Peux-tu nous expliquer quelles influences ont eu tes origines dans la formation de tes idées et de tes convictions idéologiques et politiques, ainsi que dans ta formation intellectuelle et professionnelle. Que fais-tu précisément, quelle est ton activité quotidienne,  à quoi tu te consacres ? Comment tu te définirai, tu considères faire partie de cette Nouvelle gauche cubaine ?

Mon premier militantisme a été d’être un membre de l’Union des jeunes communistes (UJC)… Je suis parvenu à diriger le Comité de base de l’UJC de ma classe d’âge, pendant que j’étudiais la biologie à l’Université de La Havane, aux environs de l’année 1998… Ce fut un apprentissage intéressant, car l’ambiance de l’UJC universitaire m’a conduit à la conviction profonde que ce ne pouvait pas être la voie pour construire le socialisme. J’ai été témoin de la manière dont on voulait former une jeunesse acritique, soumise, sans réflexion, disciplinée et avec une foi aveugle dans les dirigeants de la Révolution ; une Révolution dont nous n’étions pas les sujets. Une fois convaincu de cela, j’ai démissionné de mon poste. L’apathie politique et la déception ont marqué mon passage à l’université, et m’ont fait perdre contact au niveau politique durant plusieurs années. Seul un crime écologique, l’élagage extrême d’un fromager dans le quartier de San Agustín, presque 10 ans plus tard, a réussi à me sortir de cette torpeur.

Cependant, ma formation de biologiste, mon regard particulièrement critique sur cette formation, ont largement déterminé mes positions écologistes actuelles. La capacité de faire une analyse holistique de la réalité, avec les informations disponibles sur l’état actuel des choses sur la planète (et à Cuba) ont permis que je me situe peut-être aux antipodes de la façon dont est entendu la science par le plus grand nombre des Cubains qui sont si loin de tout activisme, si dépolitisés et tant manipulés par les sphères bureaucratiques du pouvoir.

Par ailleurs, la poésie a été l’un des principaux éléments qui me définissent. La capacité de créer, de provoquer, d’irradier les choses autour de moi a un pouvoir indicible. À la fois, cette même poésie parvient à me rendre plein d’humilité par rapport a tout drame humain, lorsque des conflits d’éthique, d’esthétique, de politique, de morale ou d’autre type se déroulent devant mes yeux. La poésie est une solutionne nouvelle pour résoudre les problèmes, en faisant place parfois à des solutions inattendues et presque toujours révolutionnaires.

Pour ma part, je considère que le terme de “Nouvelle gauche cubaine” est vague. Je pense que ce qui doit être compris dans ce concept, c’est qu’il fait partie d’un continuité dans la pensée de gauche cubaine. Il est possible que la visibilité aujourd’hui soit meilleure, grâce aux actuelles technologies de l’information, mais il est certain qu’avant moi (et beaucoup de mes compagnons de l’Observatoire critique), il existait dans l’île des voix critiques qui pensaient et agissaient pour un socialisme à échelle humaine. En tout cas, je sens que je fais partie de ce mouvement, qui pourrait être appelé de gauche, ou anti-capitaliste et altermondiste. Après tout, nous savons que les étiquettes finissent souvent par nous jouer des tours, et ce qu’ils appellent la “gauche”, a également participé aux horreurs de notre civilisation.

Ce qui dans ma position pourrait être mis en valeur, et dans celle de ceux qui m’entourent, est l’inclusion d’une perspective libertaire, qui a été supprimée de la réalité cubaine (et retiré de son histoire) durant les années 60. Depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, la pensée de gauche plaçait en son centre un modèle d’État, plus ou moins puissant, plus ou moins tolérant. Cependant, notre perspective actuelle a pour projet de construire un modèle de socialité horizontale, décentralisé, critique, pour empêcher l’instauration d’autoritarismes quels qu’ils soient.

Peut-être que cette volonté pourrait être sans précédent à la gauche des groupes bureaucratiques actuellement au pouvoir, de cette manière que on abandonnerait la stratégie de “défense” de la Révolution et en la substituant par celle “développement” ou de “radicalisation” de la Révolution. Pour cela le bon chemin pourrait être à la recherche de ce que mon camarade Mario Castillo a appelé “les contenus populaires de la Révolution cubaine”.

Comme je l’ai fait avec Dmitri Prieto dans un récent entretien pour “Pour Cela ! Question”, je voudrai que tu explique à nos lecteurs ce qu’est ta participation au réseau de l’Observatoire critique. Comment t’es-tu intégré à l’Observatoire, et ce qu’est concrètement ce réseau qui a une page web très importante , qui envoie par courrier électronique un recueil d’articles et d’informations à une ample liste de personnes à Cuba et à l’étranger ? Quels sont vos objectifs et quels sont les résultats que vous atteignez ?

Je suis arrivé à l’Observatoire critique (qui n’existait pas comme un réseau à l’époque) grâce à l’Association des frères Saíz (une dépendance pour les jeunes du Ministère de la culture), une organisation dont je faisais partie dans sa section de littérature. Lors d’une réunion au Pavillon Cuba, j’ai rencontré deux des fondateurs des événements de l’Observatoire : Mario Castillo et Armando Chaguaceda, qui m’ont immédiatement proposé de collaborer au projet le Garde forestier (fondé deux ans avant avec un groupe d’amis).

Cette rencontre a sauvé le Garde forestier de la disparition, car sans accompagnement et de nouvelles énergies, les projets stagnent. Ainsi, j’ai été invité au troisième Observatoire critique, au camping de Boca Jaruco, où j’ai rencontré une bonne partie du groupe qui, jusqu’à aujourd’hui, a continué à travailler ensemble. Cette année 2009, l’Observatoire critique a pris la décision importante de devenir un réseau de travail permanent, au-delà de l’événement qu’il organisait annuellement.

Ainsi, le réseau l’Observatoire critique s’est construit par lui-même. C’est un espace d’appui et de solidarité, mais aussi d’accompagnement, avec un esprit d’entreprise, de réflexion et d’action sociale. Nous prétendons travailler sur plusieurs horizons d’action et d’affinité : l’autogestion, la recherche, la mémoire historique, l’écologie, l’éducation, l’égalité des genres, les arts, l’égalité raciale, le mode de vie populaire, la technologie, et d’autres, mais en réalité, nous nous collaborons à toutes les actions et toutes les initiatives. Sans être toutes représentatives, une grande variété de positions existe au sein du réseau (reflétant le Cuba actuel), il est donc facile d’imaginer les nombreux débats auxquels nous nous affrontons, un exercice difficile mais nécessaire.

Au fil du temps, nous avons réussi à avoir un profil reconnaissable au niveau international, en dépit du fait de ne pouvoir disposer que d’un blog et du bulletin COMPENDIO. Au niveau national, la reconnaissance est venue sur deux plans bien perceptibles : un grand nombre de personnes dans toutes les provinces lit nos articles à travers leur mail, et un autre groupe plus réduit se rencontre au niveau de la communauté, où le réseau a ses projets de manière indépendante. Ces projets influent de manière systématique. Il est impératif de noter que sur différents plans, les tracasseries bureaucratiques de ceux qui préfèrent l’usage de la force sur la raison et le dialogue, limitent considérablement l’impact potentiel du projet, qui serait très bénéfique pour le développement social et l’autonomie des citoyens.

Une des principales critiques qui est faite à propos des espaces de débat intellectuel dans l’île a été la remise en question de l’impact presque nul au niveau social, ceci en dehors des différentes chapelles de lettrés. Le rapprochement avec les communautés de citoyens (travail que l’Observatoire a toujours considéré essentiel), en plus de sa complexité intrinsèque, doit être élaboré malgré les mécanismes coercitifs d’entités bureaucratiques qui agissent avec le concept de “Place assiégée”. Bureaucratie qui déforme nos efforts et nos propositions, détruit les alliances, désinforme, menace les militants et les citoyens. Vous pouvez alors imaginer à quel point notre tâche est ardue. Ceci, bien sûr, montre le niveau de vulnérabilité que vit la société civile cubaine, à la merci des structures bureaucratiques qui agissent au mépris de la Constitution, et sans qu’il leur importe de violer les lois nationales ou internationales.

Peut-être, que ces procédures obsessionnels avec lesquelles ils se proposent de tout contrôler est le prix que nous devons payer pour notre désir d’autonomie (après la quatrième forum de Observatoire critique, en 2010 , le réseau est devenu indépendant et n’est plus sous l’égide de l’Association des frères Saíz), et notre quête de légitimité n’est pas par rapport aux institutions étatiques, mais dans les communautés et les autres groupes ou individus qui sont liés à nous.

Les idées libertaires transcendent notre modèle organisationnel, même s’il n’est pas possible de dire que tous les individus ou les projets du réseau partagent une perspective anarchiste ou anarcho-syndicaliste. Le respect de tous et le désir que cette diversité puisse converger avec clarté est l’un des principes fondamentaux de l’Observatoire, qui rejette les systèmes verticaux et/ou autoritaires.

Je connais aussi tes engagements et tes luttes en faveur de la diversité dans la société et contre le machisme et l’homophobie si répandus dans nos environnements sociaux. Comment ces objectifs sont en concordance avec les idées libertaires, démocratiques et socialistes de ce que l’on a appelé le Nouvelle gauche cubaine ? Que peux-tu nous dire de concret à ce sujet pour l’information des lecteurs de “Pour cela ? Question ?”.

Je considère que toutes les formes de discrimination sont sœurs, c’est pour cela que nous les discriminés devrions travailler ensemble, comme des frères ? J’ai été témoin (témoignage douloureux) de l’exercice de la discrimination, non à partir des personnes autorisées à en parler (que nous pourrions appeler un homme de race blanche, “cultivé”, “hétérosexuel”, “riche”), mais de la part de personnes qui souffrent d’un certain type discrimination. Ainsi, un noir rejette un homosexuel, une femme rejette un noir, un homosexuel rejette un pauvre, un “inculte” rejette une femme, etc.

Il est essentiel d’établir des alliances entre les groupes sociaux discriminés, et pour cela il est souvent nécessaire de commencer par se reconnaitre comme discriminateur. L’autocritique et l’humilité nous seraient très utiles dans cette lutte dans laquelle, cependant, la société cubaine a connu des progrès modestes, mais de beaux progrès.

Un certaine pensée de gauche a voulu depuis des décennies réduire tout le dilemme à un “conflit de classes”. Je pense que nous avons dépassé ce point (ce qui n’est pas rien), et nous avons ajouter à ce conflit de classes, beaucoup d’autres conflits qui enrichissent, complexifient, mais surtout, donnent des pistes pour expliquer pourquoi de nombreux projets d’émancipation ont fini aux toilettes, parce qu’ils ont essayé d’homogénéiser les individus et ignorer la diversité.

Je fais partie du projet Arc-en-ciel, qui se déclare indépendant et anti-capitaliste, il fait la promotion des activités et des informations sur les luttes contre la discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre à Cuba. Il reste à former une communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels)  sur l’île qui puisse présenter les exigences dont elle a besoin pour se sentir complètement libre et juridiquement protégée. Les initiatives de l’État au cours des dernières années ont permis de parcourir un long chemin, en particulier en offrant de l’information de la visibilité, mais je suis convaincu que seule la pression populaire des gays, des lesbiennes, des bisexuels et des transexuels cubains permettra que l’on approuve les législations pour avoir au moins des droits équivalents à ceux des personnes hétérosexuelles.

En ce qui concerne le problème de la discrimination raciale, ainsi comme celui de la politique d’exclusion, l’autoritarisme et la centralisation à Cuba, que pourrais-tu dire à ce sujet ? … Selon ton jugement ces problèmes existent réellement et comment penses-tu qu’on doit s’affronter à eux, comment peut-on trouver des solutions ?

La discrimination raciale et le racisme existent dans le Cuba contemporain. Je l’ai vu de mes propres yeux (je l’ai vécu dans ma propre chaire). Le phénomène se manifeste à la fois au niveau de l’individu et de la société, comme au sein des institutions de l’État et les structures du pouvoir en général. La crise profonde des années 90 servit, entre autres choses, à découvrir des vérités cachées dans la société. La mise en “retrait” de l’État ,en l’appelant ainsi pour la rendre compréhensible, et les ouvertures forcées que l’État a permis, conduisirent à ce que le racisme occulté (rendu silencieux par décret durant les décennies antérieures, mais jamais extirpé) soit connus de tous, même si l’État continuait à agir avec cynisme.

Ainsi, les réformes économiques en cours liés à la libéralisation du marché, testées sans aucune législation qui protège efficacement les plus vulnérables, ont en fin de compte entraînées des pratiques de discrimination raciale. Du vieux racisme institutionnel du profilage criminel enseigné dans les écoles de police, les normes dans les écoles de ballet ou de danses folkloriques, les séducteurs et les héroïnes dans les feuilletons télévisés, etc., on est passé avec un total “naturel” aux exclusions en raison de la couleur de peau en rapport avec les commerces liés au tourisme, à la sous-représentation des Noirs dans les classes universitaires, et leur surreprésentation dans les prisons et dans les quartiers marginalisés.

Malgré l’émergence de courageuses initiatives citoyennes et institutionnelles (l’apparition de la Confrérie de la négritude, et le Chapitre cubain de l’articulation des Afrodescendants d’Amérique latine et des Caraïbes ( ARAAC ) ont été des jalons posés dans ce domaine), à l’intérieur de la population d’origine africaine. Au sein de la société se reproduisent encore et toujours les stéréotypes discriminatoires, et continuent à exister les modes de consommation et les standards de la beauté fabriqués à partir des élites du pouvoir économique et politique.

Des lois plus explicites sont nécessaires pour protéger ces secteurs de la société et une société qui respecte ses propres lois. Les carences démocratiques de conception cubaine (et surtout leur mise en pratique) sont un handicap important, qui devront être nécessairement résolues. Cependant, la réalité des sociétés contemporaines qui se targuent d’être très “démocratiques”, et qui ont un traitement très frontal par rapport à ​​ces questions, démontrent que la reconnaissance des droits et que la promulgation de lois ne sont pas suffisants. Aucune loi ne peut entrer dans les maisons des gens et ne peut modifier les logiques familiales qui se maintiennent enracinées avec des éléments discriminatoires.

La solution, bien sûr, ne peut pas être unique, et ne devrait provenir que d’une seule partie. Cependant, si nous considérons les paroles sages et profondes de Paulo Freire , quand il dit : “Personne ne libère personne, personne ne se libère seul. Les hommes (et femmes) se libèrent dans la communion”, ensuite nous comprendrons que si l’on ne parvient pas à cette “communion” au sein d’une partie significative de la population, on arrivera difficilement à transformer la société. Il y a beaucoup à “dés-apprendre”, à décoloniser notre regard et à la fois à sortir du rôle de victime, pour assumer celui d’un être qui est déterminé à lutter.

Je te le demande directement, quelle est ton opinion de jeune intellectuel, à mon avis, remarquable. Y a-t-il un fossé entre les générations dans notre société ? S’il existe, comment tu la décrirai et que faut-il faire à ton avis pour faire face ? Y a t-il des jeunes intégrés dans ces luttes ou rêvent-ils tous de quitter le pays, comme le disent certains ?

Oui, il y a un profond fossé entre les générations, je le vois en particulier de deux manières :

Ce qui saute aux yeux c’est un niveau où ne rejoignent pas aujourd’hui les jeunes générations avec celles qui étaient les plus jeunes avant, pendant ou immédiatement postérieures à la victoire de 1959 : le niveau de fidélité. Les générations actuelles ne répondent pas aux mêmes codes que les anciennes. Ce que signifia de fait le triomphe de la révolution, le renversement substantiel de l’ordre social, les réalisations en matière d’accès aux améliorations sociales telles que le travail, la santé, l’éducation, ou tout simplement la fin des massacres de Batista, aujourd’hui tout cela n’est que de l’histoire pour les jeunes. Le charisme d’une figure comme Fidel Castro a diminué de manière significative, ce qui a fait que la légitimité du régime est entamée. Beaucoup de gens appartenant aux générations fondatrices, même si elles n’ont pas atteints leurs rêves, malgré les nombreux échecs personnels de nature professionnelle, familiale, intellectuelle ou économique, maintiennent avec fermeté leur fidélité (que parfois même elles n’arrivent pas expliquer). À mon avis, cela est dû à la transformation réelle et profonde initiée en 1959, mais aussi à un endoctrinement systématique et centralisé, autoritaire, de fer, qu’ont souffert beaucoup de ces génération, ce qui les a conditionné de manière indélébile.

Nous les générations actuelles, pour notre part, nous ne bénéficions pas de ces réalisations de manière “naturel”, non comme une conquête pour laquelle des gens sont morts. Certaines de ces conquêtes, c’est un comble, souffrent d’une remise en question (par exemple, le droit au travail vient juste d’être supprimé du Projet de Code du travail que la bureaucratie tente d’imposer aux cubains), de sorte que nous pouvons difficilement donner de la légitimité à une élite qui persiste à rester au pouvoir, et met en œuvre des coupes sociales dramatiques.

Le second niveau où je reconnais le fossé des générations se produit sur le plan des utopies. Alors que beaucoup de générations fondatrices demeurent fidèles (fidélité qui peut avoir comme dépositaire Fidel, la Révolution, le Socialisme, ou n’importe quel autre symbole), portent une incapacité à imaginer un autre avenir pour l’île. Surtout, pour imaginer un modèle social hégémonique au capitalisme alternatif, ce capitalisme qu’aujourd’hui les économistes cubains regardent en se léchant les babines.

Ce deuxième aspect, bien sûr, les met en concordance avec une grande partie de la jeunesse cubaine qui n’aspire qu’à satisfaire ses besoins de consommation, mais cela les sépare de nous, la jeunesse qui a relancé ses rêves d’un avenir radicalement socialiste, véritablement émancipateur contre les exploitations de toutes sortes, nous qui défendons le protagonisme populaire et le perfectionnement anti-capitaliste et anti-autoritaire de la société dans notre pays. Nous voulons créer de nouvelles solutions libératrices pour Cuba, face à la crise sociale du moment et le bon sens commun capitaliste qui se propage aujourd’hui, pourtant il ne semble pas être dans les agendas de beaucoup de ceux qui composent ces générations fondatrices.

Cependant, je ne pense pas qu’il est inutile de préciser que le terme de “générations” est assez trompeur, bien sûr il y a des personnes qui ne se sentiront pas représentées dans ces que je viens de décrire. Pour d’autres, il est souhaitable et nécessaire de surmonter ces échecs. L’Observatoire critique est la preuve qu’il est possible, avec les jeunes militants du réseau travaillent des compagnons beaucoup plus âgés, dont les contributions se sont avérées indispensables pour nos efforts. Les exemples de Tato Quiñones, Pedro Campos, Ovidio D’Angelo, Félix Sautié et d’autres, chacun depuis ses positions, sa loyauté, son militantisme, et toujours avec des arguments nécessaires et cohérents : avec l’interrupteur de “l’utopie possible” toujours allumé.

Dans l’avenir, nous pourrions avoir à revenir sur ces questions, mais avant je voudrais te demander s’il y a quelque chose que tu aimerai ajouter pour cette publication.

Juste remercier cette opportunité, et laisser la porte ouverte à d’autres idées qui puissent compléter cette vision de la gauche radicale cubaine.

Félix Sautié

Unicornio, le dimanche 17 novembre 2013

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*POUR CELA ! Question

http://www.poresto.net/ver_nota.php?zona=yucatan&idSeccion=24&idTitulo=288195


Enrique   |  Actualité, Politique, Société   |  11 21st, 2013    |