Le nouveau Code du travail. Débat juridique ou politique ?
C’est précisément samedi dernier le 7 septembre que nous avons discuté du Code du travail au sein de l’Observatoire critique de La Havane. J’ai présenté là les idées que je propose aujourd’hui à débat dans cet article. Bien sûr, mes idées n’épuisent pas la richesse de cette analyse. Bientôt, sortira une vidéo et des documents qui font une synthèse du débat. Nous proposons avec nos idées une approche politique du Code du travail puisque qu’il s’agit de la lutte pour reprendre le compagnon Fidel Castro.
Nous sommes dans une société de travailleurs qui discute d’un Code du travail. Peut-il y avoir aujourd’hui quelque chose de plus important à faire à Cuba ? Non. Alors le profil bas que le Parti a imposé dans le débat à propos de ce code parle, par lui-même, il s’agit de la lecture que fait celui-ci de la réalité nationale. Il s’agit précisément de cet aspect. En effet, la discussion sur le Code s’avère être un des moments les plus difficiles et amères qu’affrontent les réformes aujourd’hui. Maintenir un profil bas facilite les choses au Parti en faisant passer du chat pour du lièvre. Il faut démobiliser les masses, cela permet d’ouvrir une brèche où va s’engouffrer la Nouvelle classe sociale. C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui, quand la politique de la nouvelle bourgeoisie cubaine agraire et urbaine consiste en ralentir les réformes et de capitaliser les espaces de marché qu’ils ont eux-mêmes ouvert. C’est le moment pour nous de radicaliser le processus !
Soyons clair. Quand les chefs historiques de la révolution cubaine ne seront plus là, alors les nouveaux dirigeants n’auront pas l’autorité de leurs prédécesseurs, ils ne pourront pas faire appel à une masse désagrégée, qui manquera par ailleurs d’instruments politiques (et ce code sera l’un d’eux) pour lancer la lutte pour la liberté. Nous vous proposons une vue non juridique (disons politique) du débat. Nous vous proposons ces idées comme support du débat.
Code du travail
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En comptant les arbres on perd la vision de la forêt. Nous discutons une norme légale ou une relation sociale ? La relation sociale que sanctionne le nouveau Code est la relation entre le patron et l’ouvrier. Marx a déploré le fait, la relation entre le travail salarié et le capital, l’esclavage de l’ouvrier. Alors que discute-t-on, les chaînes ou le poids des chaînes ?
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La question se résume à la vision libérale-bourgeoise qu’adoptent les réformes. Considérons les luttes au Palais. Raúl Castro, par contre, tente d’intégrer à son projet cette nouvelle bourgeoisie cubaine qui adopte une politique afin de ralentir les changements. Ils espèrent que ces réformes n’iront pas trop loin ou qu’au moins, en tenant compte de l’âge et des limites biologiques du Leader soient retardés les changements les plus libertaires.
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Pour la nouvelle bourgeoisie à Cuba, il n’est pas suffisant que les réformes soient fondées sur une conception libérale de la société. [Je pense aux libéraux cubains illustres de la taille de Ramiro Guerra, Fernando Ortiz et Jorge Mañach, il s'agit là, d'un libéralisme qui a beaucoup contribué à la construction de la nation cubaine.] Cette classe de politique allaient au-delà des réformes proposées. La politique de Raúl Castro, cependant, essaye d’intégrer cette bourgeoisie dans un modèle de société. Social-démocrate ?
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De plus, la politique de Raul Castro fait tout pour démobiliser les masses pour éviter la résistance que celles-ci pourraient offrir au moment le plus complexe du processus. Mais sans la participation populaire les réformes sont vouées à l’échec. [La preuve de cette politique est le profil bas qu'ils donnent au débat.] Resterait ainsi hors de la discussion le schéma de négociation qui légitime le nouveau Code : Etat-entreprise-syndicat. Social-démocrate !
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L’état éthico-social qui ratifie le socialisme d’État dans ce projet de loi est lié au processus de valorisation du capital et il bloque le processus de libération des Cubains. Quand on réduit le socialisme à un mode de redistribution des richesses et des propriétés, alors, on se fait le complice de l’ extorsion capitaliste tout en maintenant le rapport capital-travail.
Le travail salarié
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Comprenons que le socialisme n’est pas une période de transition, mais une stratégie de subversion contre le capitalisme [2] . Stratégique qui consiste à faire imploser le capitalisme de l’intérieur. Alors, j’insiste : le socialisme d’Etat signifie un frein à la libération. Il normalise la loi de la valeur dans la société. ( Comprendre : il objectivise la relation État-société, il nécessite des loyautés politiques et des adhésions idéologiques, comme il criminalise la dissidence.) Mais le travail nécessaire ne se développe pas.
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Je crois que les conditions sont créées pour faire imploser le capitale à Cuba. [Processus d'évaluation de celui-ci.] Empêchons que l’objectivation se convertisse en marchandisation avec le développement du travail nécessaire. Faisons que les valeurs d’usage prédominent dans la vie quotidienne. Capitalisons le mutualisme. Construisons une autre société basée sur un authentique sens de la communauté, sur des pratiques solidaires dans une grande créativité populaire.
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Nous parlons de la construction de la société de l’art réalisé [Après l'extorsion capitaliste, le futur nous promet un monde de créativité populaire. Nous devons faire du travail qui ne reproduit pas le capital une réalité. Quand le locus (le lieu) de la révolution était le centre de travail, le travail volontaire était la clé de la libération. Maintenant que le locus s'est déplacé dans la communauté, la clé est le travail communautaire et domestique. Forgeons une nouvelle attitude envers le travail.
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Comment se produit le changement ? Institutionnalisons l'économie solidaire du travail coopéré. [Rappelons avec Marx que le système de travail salarié est un système d'esclavage qui devient plus difficile au fur et à mesure que se développent les forces productives du travail, même si l'ouvrier est plus ou moins payé.
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Mais il y a plus. Il semble que Marx nous parle à nous Cubains d'aujourd'hui. Et pour ce qui concerne les sociétés coopératives actuelles, celles-là seules ont de la valeur si elles sont des créations indépendantes des travailleurs eux-mêmes et non pas celles qui sont protégées par les gouvernements et par la bourgeoisie. [Souligné dans Marx.] Nous devons comprendre le socialisme, j’insiste, comme une stratégie de subversion du capitalisme. Jamais comme une période historique divisée en étapes et régie par des lois objectives.
Projet de société
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Définitivement, notre conception du socialisme est libertaire. Alors, nous nous opposons au socialisme petit-bourgeois qui justifie les réformes. Vous avez également le projet social ? Il faut constater que la classe moyenne d’hier (années 50) a fui l’avenir, la classe moyenne d’aujourd’hui (du XXIe siècle), elle se réfugie dans le passé. [La première fuyant la prolétarisation et la seconde fuyant la précarisation.] Revenir au point de départ là où on s’est égaré sur la route pour réécrire l’histoire ?
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Ils veulent un socialisme corporatiste à Cuba. Ils discutent uniquement l’autoritarisme des étatistes. Alors, le défi de libertaires est autre, il s’agit de construire le sujet politique populaire politique qui brisera la valorisation du capital. Certainement, ce ne sera pas facile. Nous devons surmonter les problèmes d’une société fracturée, la persistante médiocrité ouvrière. L’Etat policier bureaucratique ! Aujourd’hui le vent souffle en notre faveur. Nous sommes dans une société de travailleurs, conformément à la Constitution (1992).
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Ni la société du travail, non pas le sujet amorphe des Statuts de 1959, ni la classe élue de 1976. Au sein d’une société comme celle-ci, l’Etat ne peut pas être considéré comme une entité étrangère, au-dessus de la société, mais comme un serviteur de celle-ci, en tant que facilitateur du processus de libération. Nous défendons l’autonomie de la société. Nous nous battons pour une société ouverte et libertaire. Nous exigeons, en ce sens, l’adoption d’une loi des municipalités, une loi des associations.
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Responsabiliser la communauté. Les défaillances du contrôle étatique ne seront surpassées que par le contrôle populaire. Contrôle populaire direct ! Alors oui, le modèle économique sera doté d’un système immunitaire efficace. Nous soupçonnons l’existence de forces souterraines (occultes) qui immobilisent la société. Nous ignorons, toutefois, quelle position elles adoptent dans le processus. Interviennent-elles dans le statu quo ? Quel est le potentiel de ces forces ?
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Il ne dépend que de nous pour que le potentiel libertaire populaire se révèle et contribue à l’émancipation de la société. Nous devons apprendre à faire de la politique. Comprendre que l’essence de la politique est la manifestation de la dissidence, avait dit Jacques Rancière, en tant que présence de deux mondes en un seul. La politique des libertaires ne résidera pas dans l’acte de se lancer à l’assaut des positions du pouvoir, mais de mettre fin à l’existence de ces positions. Déshabillons le réalisme des politiques.
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Cela est propre à la souffrance mentale que nous vivons nous les Cubains, c’est le résultat de l’endoctrinement ouvriériste, nous avons plusieurs déficits idéologiques et politiques à surmonter. Il nous manque une approche de classe de la société. Il nous manque la carte des économies locales et des processus de reproduction de la communauté. Nous manquons d’autonomie, de liberté. Cela explique cette situation où les idées proposées au débat ne parviennent pas à être traduites en idées-forces.
Je viens de terminer un livre : Urbanisme, colonialité, libération (inédit) où je traite de ces carences et je propose des solutions. En faisant référence à la lutte de classe je mets en garde sur l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie agricole et urbaine à Cuba.
Je me réfère en particulier aux 37 familles les plus riches du cordon rouge havanais. Celles qui ont chacune des dépôts de plus de 20 millions de pesos sans compter d’autres actifs. La bourgeoisie agraire qui a des fonds corporatifs propres et sa politique d’emploi qui traite les Palestiniens* de « Flux orange », de la même manière que l’on traite les Marocains dans les champs d’Andalousie. Bourgeoisie agraire qui a renforcé ses relations avec les officiers supérieurs du ministère de l’Intérieur et des Forces armées révolutionnaires, avec des plantations en Amérique centrale (de nombreuses au Costa Rica), et ainsi de suite. Quelle ne sera pas sa puissance lorsque sera efficient le modèle d’économie ordinaire dans cette région ? Il est prévisible que nous serons plus de trois millions d’havanais a être soumis à la loi de l’offre et de la demande et que nous serons leurs otages.
Nous exigeons une loi des municipalités !
La nouvelle bourgeoisie urbaine à Cuba a investi un milliard de dollars en 2012. [Selon le taux de change c'est autant d'argent que gère l'État.] Mme EFC (Etablissements financiers de crédit) a investi à Cuba 39 millions en seulement huit mois ! Evidemment, elle a plus de ressources que le ministère de la Culture. Nous demandons, par exemple, aux gestionnaires de Palmares (groupe hotelier cubain), pourquoi l’offre d’un travailleur indépendant à Cuba a été rejetée en privilégiant celle d’une entreprise dominicaine, alors que les tabourets du cubain étaient de meilleure qualité et de meilleur prix. Le trafic d’influence, rien de plus !
Alors ? Nous allons prendre au sérieux la question ou laissé passé l’occasion ?
Ramón García Guerra
Santa Fe, Playa, La Havane, 8 septembre 2013
E -mail : ramon0260@gmail.com
* Les Palestiniens : cet adjectif est utilisé à Cuba pour désigner péjorativement les gens de la région orientale qui immigrent vers l’Ouest, en particulier vers la capitale.