Le défi de l’unification monétaire

CUC et CUP, pesos convertibles et pesos cubains… Tous les voyageurs ayant visité Cuba ont découvert avant toute autre chose sa principale particularité économique, la présence de deux monnaies parallèles.

Cette bizarrerie de l’État si elle était sans conséquence sur la vie de tous les jours passerait inaperçue… mais elle est, au delà des beautés de Cuba, un cas unique au monde : singularité touristique qui nécessite de prendre des mesures lorsqu’on débarque sur le sol cubain mais surtout difficulté cubaine car la recherche de monnaie forte est devenue pour la population une véritable chasse au trésor…

Un choix politique avant tout

C’est avec l’arrivée massive de touristes depuis les années 90 que le gouvernement cubain prit en 1993 l’idéologique décision de créer une nouvelle monnaie… forte.

On parla alors de « dollars cubains » qui devaient doctrinalement remplacer sur l’île les dollars américains. En effet, l’histoire commune de Cuba et des USA et leurs perpétuels conflits étaient antinomiques d’une présence excessive du fameux billet vert, ennemi s’il en est de la Révolution. Et plus les années 90 voyaient défiler les étrangers, plus leurs poches remplies de dollars se vidaient sur les comptoirs cubains… et les cubains de découvrir une partie du capitalisme à travers sa monnaie la plus représentative. Les prix s’affichèrent en monnaie forte ; il fallut légiférer.

Ainsi, en 2004, le CUC ou peso convertible remplace t il définitivement le dollar américain. Régi par un système de caisse d’émission, son taux de change était déterminé par voie politique et législative, sans rapport-aucun avec sa valorisation sur les marchés internationaux dont il est exclu. Et c’est une de ses particularités : la nouvelle monnaie exclusive de Cuba est inconnue des marchés cambistes mais allait permettre au gouvernement de s’assurer les bénéfices grandissant de l’industrie touristique en pleine expansion.

Adieu les dollars, vive les CUC ! Le CUC remplace officiellement le dollar américain sur le sol cubain, ce dernier devenant surtaxé à l’excès.

La situation était étonnante et unique : alors qu’on créait ailleurs une monnaie commune à plusieurs pays, Cuba scindait la sienne en deux. Initialement, le CUC devait être la monnaie touristique et permettre aux visiteurs de profiter de l’île en payant le prix fort (indexé sur le dollar américain) et le peso cubain restait la monnaie locale qui permettait de payer les salaires, acheter le nécessaire sur les marchés et bénéficier des services peu couteux de la vie de tous les jours : marchés, transports, sorties etc. … L’idée était simple, elle perdure encore aujourd’hui.

La dérive de la différence

Évidemment, au fil des années, le système mit en avant sa principale faille : la course à la monnaie forte. Il est vite apparu que les CUC permettaient l’achat de biens de consommation plus attirants et surtout plus présents ; alors que les pesos cubains étaient juste un moyen de subsistance dans un pays souvent en manque. Ainsi, bien loin des idéaux révolutionnaires, posséder des CUC devint rapidement le privilège des nantis et marqua dans la société cubaine une différence qui ne fit, ces dix dernières années, que s’accentuer.

L’autre particularité de cette double monnaie laissa se creuser une faille qui ne fit que s’agrandir au fil des années : la dévaluation du peso cubain (CUP), au profit du peso convertible (CUC) n’a ainsi jamais été reconnue dans la comptabilité nationale du pays, ni pour l’État, ni pour les Entreprises.

Et de ce fait, la dualité du change réel contribua aux distorsions dans l’économie cubaine. Si le taux de change officiel pour l’État restait 1 USD = 1 CUP, le taux de change à la population était tout autre : 1 USD = 1 CUC mais est égal à 24 CUP… Cela change la vie… et surtout la capacité financière de tout un chacun.

La dérive économique et la réalité des difficultés

Cette manière faussée de calculer ne pouvait permettre au gouvernement cubain de sortir la tête de l’eau dans le jeu mondial des échanges internationaux. En effet, par cette surévaluation excessive du CUP indument prétendu de même valeur que le dollar américain, les entreprises d’État dont l’activité concernait le marché cubain en CUP annonçaient des résultats sans commune mesure avec celles dépendant du marché mondial pour leurs achats ou leurs débouchés.

Si ces dernières étaient justement bien connectées à la réalité mondiale du commerce avec les autres pays même si leurs recettes en USD étaient ramenées en équivalent CUP… pour les autres orientées sur un marché cubano-cubain (!), elles continuent de vivre dans une bulle faussée d’une économie en dehors de la réalité.

Le cœur de la dérive économique se situe bien là : deux vitesses pour deux économies dont l’une pourrait être 25 fois plus riche que l’autre… et forcément des indicateurs faussés. D’abord pour connaître la rentabilité d’une entreprise, mais surtout dans la « réalité » des salaires et des divers traitements comme les retraites, payés par les entreprises d’État en CUP.

L’indispensable suppression de la dualité monétaire

Si les réformes sont au planning du gouvernement cubain, impliquant selon le vice-président du Conseil d’État M. Díaz-Canel « davantage de décisions en faveur du développement futur du pays », celle de l’abandon de la double monnaie est semble-t-il prioritaire. Mais les conséquences négatives de ce choix pourtant indispensable sont aussi nombreuses que dangereuses pour la santé économique et sociale du pays.

En effet, le rattrapage des prix administrés en CUP (dont ceux de la libreta, fameuse carte de rationnement voulue par la Révolution pour assurer à toute la population le minimum vital mais qu’il conviendra certainement de… faire disparaître) sur les prix du marché en CUC, l’inflation, inexorablement au rendez vous et forcément le creusement du déficit budgétaire par un passage à l’économie de marché verront le jour … et s’ils sont attendus ne seront pas vraiment bien accueillis.

Mais comment pourrait-il en être autrement ??? En effet, l’augmentation des subventions aux entreprises publiques sera nécessaire pour faire face à la hausse des coûts et pour s’adapter aux nouvelles conditions du marché… autant d’argent à trouver dans une économie où tout est centralisé et où l’État reste le principal… actionnaire.

Bertrand FERRUX/Habana XXI

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Enrique   |  Actualité, Politique, Économie   |  09 4th, 2013    |