Fidel : « le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous ».
Extraits de l’interview de Fidel Castro par Jeffrey Goldberg (The Atlantic) :
Au cours de cette première conversation, nous sommes sans cesse revenus à la crainte exprimée par Castro qu’une confrontation entre l’Occident et l’Iran pouvait se transformer en un conflit nucléaire. « La capacité iranienne à riposter est sous-estimée, » dit-il. « Les hommes pensent qu’ils peuvent se contrôler mais Obama pourrait perdre son sang froid et une escalade progressive pourrait aboutir à une guerre nucléaire. » Je lui ai demandé si sa crainte venait de sa propre expérience de la crise des missiles en 1962, lorsque l’Union Soviétique et les Etats-Unis ont frôlé la guerre à cause de la présence de missiles à têtes nucléaires à Cuba (missiles installés à la demande, bien-sûr, de Fidel Castro). J’ai rappelé à Castro la lettre qu’il avait écrite à Khrouchtchev, le premier ministre soviétique, en plein crise, dans laquelle il conseillait aux Soviétiques d’envisager une attaque nucléaire contre les Etats-Unis si les Américains attaquaient Cuba. « Ce serait le moment de penser à la liquidation définitive d’un tel danger par le biais du droit légitime à se défendre, » a écrit Castro à l’époque.
Je lui ai demandé : « À un moment donné, il semblait logique que vous recommandiez aux Soviétiques de bombarder les États-Unis. Ce que vous leur avez recommandé vous semble logique maintenant ». Fidel a répondu : « Après avoir vu ce que j’ai vu, et avoir su ce que je sais maintenant, ça ne valait vraiment pas la peine ».
J’étais surpris d’entendre Castro exprimer de tels doutes sur son propre comportement lors de la crise des missiles – et j’étais, je l’avoue, surpris aussi de l’entendre exprimer autant de sympathie pour les Juifs, et pour le droit à l’existence d’Israël (qu’il a exprimé sans ambiguïté).
Après cette première réunion, j’ai demandé à Julia de m’expliquer la signification de l’invitation que Castro m’avait faite, et celle de son message à Ahmadinejad. « Fidel n’est qu’au tout début d’un processus où il doit retrouver ses marques en tant que simple homme d’état âgé, et non plus comme chef d’état, présent sur la scène politique intérieure mais surtout sur la scène politique internationale, celle qui a toujours été une priorité pour lui, » dit-elle. « Les questions de guerre et de paix, de sécurité internationale sont ses principales préoccupations. Pour lui, la prolifération nucléaire et le changement climatique sont des enjeux majeurs, et il n’en est qu’à ses débuts, alors il utilise tous les médias possibles pour faire entendre sa voix. Maintenant il a du temps devant lui, du temps qu’il ne pensait pas avoir. Et il réexamine l’histoire, y compris sa propre histoire. »
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Fidel : « le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous ».
Bien des choses étranges sont survenues durant mon récent séjour à La Havane (…), mais l’une des plus inhabituelles a été la capacité de Fidel Castro à s’examiner soi-même. Je n’ai pas beaucoup d’expérience avec les autocrates communistes (j’en ai plus avec les autocrates non-communistes) mais que Castro ait été disposé à admettre qu’il avait commis une erreur à un moment crucial de la crise des Fusées à Cuba semblait vraiment surprenant… qu’il se repentait d’avoir demandé à Khrouchtchev de lancer des missiles atomiques sur les États-Unis. (…)
Mais plus étonnant encore furent les paroles prononcées au cours d’un déjeuner lors de notre première rencontre. Nous étions assis autour d’une petite table ; Castro, son épouse Dalia, son fils, Antonio ; Randy Alonso, une personnalité importante dans les médias d’état, et Julia Sweig, une amie que j’avais emmenée pour m’éviter, entre autres choses, de dire trop d’âneries (…). Au cours de la conversation à bâtons rompus (on venait de passer trois heures à discuter de l’Iran et du Moyen Orient), je lui ai demandé si le modèle cubain était encore exportable.
« Le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous » dit-il.
C’est comme si j’avais été frappé par la foudre. Avais-je bien entendu le leader de la Révolution me dire « N’en parlons plus » ?
J’ai demandé à Julia de commenter cette étonnante déclaration. Elle a dit « (Fidel) n’a pas rejeté les idées de le Révolution. Selon ce que j’ai compris, il reconnaissait que dans le « modèle cubain » l’Etat tenait un rôle beaucoup trop important dans la vie économique du pays. »
Julia a souligné qu’un des effets d’une telle déclaration pouvait être l’ouverture d’un espace pour son frère, Raul, qui est l’actuel président, pour lui permettre d’entreprendre les réformes nécessaires qui seront probablement critiquées par les communistes orthodoxes au sein du Parti et de la bureaucratie. Raul Castro a déjà desserré l’emprise de l’Etat sur l’économie. Il a même récemment annoncé l’autorisation des petites entreprises et la possibilité pour les investisseurs étrangers d’acheter des terres.
Traduction publié sur le site de contre-information “Le Grand soir” :