L’expulsion des habitants du bidonville Los Tanques à Guanabo, la “presse indépendante” et nous
700 expulsions ont eu lieu jusqu’à présent cette année à travers le pays, ce que l’on appelle dans la langue officielle des “extractions”.
Quelques jours après que le Diario de Cuba, un période qui prétend être opposé à l’actuel gouvernement de Cuba, signale l’opération policière d’expulsion qu’ont subi plus d’une vingtaine d’habitants de la communauté d’immigrants orientaux Los Tanques, dans la petite ville côtière de Guanabo, avec un compagnon de notre collectif nous sommes allés sur le lieu des faits pour constater, de nos propres yeux, pour dialoguer avec les résidents et mettre en contraste leurs propos avec le rapport des faits publié par le Diario de Cuba.
Après avoir marché près de vingt minutes sur un chemin situé sur une colline à l’extrémité sud du centre urbain de Guanabo, nous sommes parvenus à une bidonville constitué de plusieurs dizaines de bâtiments précaires, construite sur un terrain rocheux, un récif préhistorique d’une grande dureté. L’agglomération est inconnue pour la majorité des habitants du centre de Guanabo, où des habitants qui ont vécu toute leur vie là nous ont dit ne jamais avoir entendu le nom de ce quartier.
Le paysage social devant lequel nous nous trouvions était semblable à une quelconque collectivité précarisé, qui se développe dans n’importe laquelle des grandes villes modernes du capitalisme mondial, la seule différence que nous avons vu était la petite taille du bidonville et la faible densité de population qui y était installée. Cela montre que le processus en est à ses débuts, ce qui pourrait être la cause de l’expulsion des habitants : empêcher préventivement le développement des maisons avant l’été pour assurer la « paix publique » des vacanciers irresponsables qui affluent par centaines de milliers dans cette ville à partir de mai, avec un projet de masses : se divertir durant l’été.
Il s’agit d’éviter à tout prix, à Guanabo, que d’autres installations sauvages aient lieu comme à la Cuevita de Guanabacoa, le Callejón dans le Reparto Eléctrico, Indaya à Marianao, El Mirador à San Francisco de Paula, El Puente Negro à Marianao, La Corea à San Miguel del Padrón et tant d’autres agglomérations sauvages déjà établies, pour ne citer que quelques-unes de la capitale du pays.
Après avoir parcouru plusieurs maisons fermées, nous avons trouvé trois personnes assises devant leur porte. À notre salut, elles répondirent avec une courtoisie qui ne cachait pas la surprise interrogatrice. Nous avons commencé un dialogue prudent. “Et vous, à quoi vous appartenez… ?” Répondit à nos présentations un homme âgé. “Nous sommes des combattants de la rue… Tout comme vous… Nous nous intéressons à ce qui s’est passé ici…” lui dit-on.
” Ahhh… Bon …” dirent presque en chœur les trois habitants, une fille, un jeune et l’homme âgé, un homme noir qui dans mon imagination ressemblait à Lino Fernández, le leader de la communauté de Realengo 18 dans les années 30. C’est alors qu’à commencé une conversation animée au sujet de ce qui s’est passé.
En gros, ce qu’ils nous racontèrent coïncidait malheureusement avec ce qui a été rapporté par Diario de Cuba : “…le village s’est réveille encerclé par plus de 120 policiers et soldats des troupes d’élite de l’armée, appelés les Guêpes noires, dans des camions et des voitures de patrouille, une escouade de démolisseurs avec trois bulldozers et des camions grues, des médecins et des infirmières dans des ambulances, le personnel du ministère du logement et des dirigeants du gouvernement, entre autres… Quand le jour s’est levé, a commencé sous le regard impuissant des gens du lieu, sans défense, l’une des plus cruelles et brutales expulsions vue à Cuba (…) “.
Les habitants, avec qui nous avons parlé brièvement, nous ont confirmé tout cela et nous pouvions voir aux alentours les traces de bâtiments récents démolis. Selon ce même journal Diario de Cuba, citant une “agence indépendante” appelé Hablemos Press, plus de 700 expulsions ont eu lieu jusqu’à présent cette année à travers le pays, ce que l’on appelle dans la langue officielle des “extractions”.
Ce que ne disent pas, ce que ne s’efforcent pas d’expliquer ces “agences indépendantes”, c’est pourquoi a eu lieu cette quantité d’expulsions. Elles ne comparent pas ces chiffres avec ceux des années antérieures, ce qui semble être un parti-pris pour frapper avant tout le lecteur sans que soit produite une analyse des faits et sans spécifier la source d’information.
Pour nous, activistes sociaux, anarchistes, ces expulsions s’inscrivent dans le cadre du processus de réorganisation du capitalisme d’État à Cuba, ce qui implique un plus grand contrôle de l’Etat sur des populations, qui, dans les vingt dernières années ont choisi l’exode sauvage vers des centres urbains et qui subissent avec moins de rigueur la décadence et le déclin socio-économique de villes et de régions entières du pays.
Des territoires victimes d’un pouvoir urbaniste, centralisateur, moderniste, industrialiste, qui à bien des égards a amélioré les conditions de vie de franges importantes de la population, mais comme une autre façon de perfectionner le contrôle social du territoire, non seulement pour faire face à la voracité yankee, mais aussi pour doter de puissance l’État en tant que grand entreprise monopoliste de développement.
C’était le rêve partagé par des milliers de jeunes petits-bourgeois, urbains et connus, à partir de 1933 jusqu’à nos jours. Un rêve qui a été forgé à la chaleur de l’honteuse domination des monopoles yankees à Cuba durant un demi-siècle et avec l’idée fausse que pour vaincre l’ennemi il faut être organisé comme lui.
Cet idéal petit-bourgeois ne conçoit le socialisme que comme un État qui se comporte comme un puissant millionnaire philanthropique et excentrique, garantissant des conditions de vie minimales aux plus disciplinés et aux plus dépendants de ses employés, mais il empêche toute velléité de projet qui remette ses pouvoirs en question.
Pour eux, le socialisme n’est pas la socialisation des responsabilités et le contrôle du peuple travailleur sur les conditions qui garantissent notre liberté et notre indépendance personnelle et communale, pour eux le socialisme n’est pas la sortie de l’empire du travail salarié, de la servitude louer au service du plus offrant, ce qui crée une morale de vassaux, pour eux le socialisme est un capitalisme maquillé de bonnes intentions.
Les propriétaires du journal Diario de Cuba sont partisan d’un régime de type similaire à celui que nous avons essayé de décrire auparavant et que nous les secteurs populaires subissions à Cuba avant même l’année 1959. L’écart qui existe avec les dirigeants actuels de l’île repose essentiellement sur le fait que d’autres groupes de pouvoir, au sein et à l’extérieur du pays, puissent prendre le contrôle de l’Etat et, surtout, puissent bénéficier également des dociles travailleurs cubains.
Ce qu’ils appellent la “démocratisation du système”, contient la dénonciation de faits tels que ceux qui se sont produits à Los Tanques, afin de discréditer davantage la classe dirigeante actuelle et se présenter comme les nouveaux sauveurs des pauvres à Cuba.
Au-delà de ces petites divergences, Diario de Cuba et le reste des “agences indépendantes” ne proposent pas autre chose à notre peuple. Entre nos mains se trouve la possibilité de lutter pour l’organisation autonome, la capacité de répondre de façon solidaire et populaire, contre des événements malheureux comme ceux qui ont eu lieu dans le quartier de Los Tanques.
Mais ne nous méprenons pas, nous ne pouvons pas uniquement rester dans l’action pour répondre aux dérives d’un système qui se perfectionne. Nous devons avancer pour formuler le projet d’une Cuba populaire, solidaire et communiser, où ne sera pas nécessaire l’exode des petites communautés à la périphérie des grandes villes, où ne sera pas nécessaire la destruction massive de la nature comme support criminel d’une société de masses nécessaire, alimenté par un État prospère qui contrôle tout.
Nous devons aller vers une société où il n’y ait pas de pôles de richesses bourgeoises construits sur des patrimoines qui reposent sur l’exploitation, la fraude et la soumission, avec des caméras, des clôtures et des forces de sécurité composées de jeunes désœuvrés, issus de bidonvilles comme Los Tanques. Cela, ni le gouvernement cubain actuel, ni ses adversaires, les champions de la démocratie, ne pourront pas le réaliser, ce sera à nous, le peuple cubain organisé, qui devra, pourra et aura à le faire. C’est notre avenir et notre vie qui sont en jeu. Peuple organisé, patrie sans État.
Pour accompagner ce processus et apprendre tous ensemble, nous sommes ici les compagnons de Terre nouvelle, avec le reste des “combattants de la rue”.
Marcelo “Liberato” Salinas
Terre nouvelle !
Traduction : Daniel Pinós
Groupe d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba (GALSIC)
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