Antonio Rodiles, la Sécurité de l’État cubain et la CIA
Antonio Rodiles, 40 ans, est l’animateur depuis 2010 du forum de débats Estado de Sats, il a été détenu du 7 au 26 novembre dernier, avant d’être relâché avec une simple amende. Il est une figures de l’opposition libérale à Cuba. Soupçonné depuis des années d’être financé par les agences et les fondations américaines qui lui permettent de développer son forum politique à Cuba, il se trouve aujourd’hui en tournée aux États-Unis afin de faire connaître son projet politique “Por otra Cuba”.
Le texte critique qui suit, écrit par Marcelo “Liberato” Salinas, membre de l’Observatoire critique de La Havane, montre le fossé irréversible qui existe aujourd’hui à Cuba entre la droite libérale et la gauche alternative et libertaire, entre les tenants de l’économie de marché et ceux qui, refusant toute forme de capitalisme (privé ou étatique), rêvent d’un autre futur à Cuba.
Avec les gigantesques progrès de la colonisation étatique qui agit sur la vie des sociétés depuis les années 60, deux processus simultanés se sont produits dans des sphères apparemment indépendantes. D’une part, la proportion écrasante de personnes actives au niveau de leur travail qui deviennent des fonctionnaires involontaires des états, et d’autre part, la perte croissante de traitement médiatique à propos des sagas d’espions et des super agents spéciaux qui pullulaient il y a quelques décennies dans les films et dans littérature.
Ceci peut expliquer pourquoi aujourd’hui il y a de nombreuses personnes qui vivent dans les conditions de faire le sale travail de ces espions, pas tant dans des missions spéciales, pleines de risque d’adrénaline, mais simplement en réclamant, à partir des angoisses de fin de mois, les droits que nous avons soit-disant afin que nos états prennent mieux en charge notre existence ou, dans le cas d’Antonio Rodiles, nous guider vers un autre État et montrer comment se conduire pour parvenir à la destruction de l’État actuel.
Ce sont de simples actions, presque des gestes, qui ont le misérable mérite de garantir, pour d’autres décennies supplémentaires, la légitimité et l’accroissement de l’étatisation de nos vies et le développement de notre incapacité à auto-organiser nos conditions d’existence. En d’autres termes, ce sont des moyens simples et faciles de travailler pour la sécurité des états à laquelle nous pouvons tous collaborer, si nous nous proposons de renoncer à notre dignité sans efforts.
Jusqu’où pouvons-nous savoir actuellement, avec le régime centralisé de désinformation globale dans lequel nous vivons, si Antonio Rodiles n’est pas un agent de la sécurité de l’État cubain, et pourquoi pas de la CIA ?
Bien qu’il n’existe aucune preuve solide sur la filiation institutionnelle d’Antonio Rodiles avec agences de sécurité des états cubains ou yankees, les plus récentes informations sur le personnage devait être un baume réparateur et un motif de jubilation pour la sécurité de l’État cubain mais aussi, pourquoi pas, pour la CIA.
Pour l’agence cubaine, Rodiles justifie d’années de travail, de salaires, de congés, de carburants, de maisons de repos, bref de privilèges, dans un groupe professionnel à Cuba, avec de nombreuses personnes d’une grande qualité humaine, mais sujettes à des excès et à l’esprit de subordination hiérarchique et à l’irresponsabilité individuelle, typique de n’importe quel groupe social marqué par une autorité supérieure et séparé de la société qui les soutient et les nourrit. En outre, l’affaire Rodiles vient à légitimer la thèse la plus reprise par le secteur professionnel : qui est contre l’État cubain est avec l’État yankee.
Pour les laborieux criminels de la CIA, Rodiles vient couronner le travail supposé de plusieurs années de cet autre ramassis de parasites qui ont investi des millions afin de décérébrer la jeunesse cubaine, mais en vérité, l’État cubain a travaillé mieux qu’eux, sans sa contribution la CIA ne serait parvenu à rien ici. Les dernières informations sur Rodiles ont du rendre heureux dans une proportion similaire les dirigeants de ces deux entreprises.
Rodiles est en ce moment ce que l’on pourrait appeler un travailleur social exemplaire. Et je dis exemplaire, car une chose est d’être un travailleur social involontaire et contraint des sociétés d’oppression les plus proches, administrées par le régime de l’esclavage salarié globalisé («public» et «privé»), et s’en est une autre d’être un instrument enthousiaste et par volonté propres des mégamachines qui régissent nos vies.
Rodiles est désormais à l’avant-garde de cette masse d’employés, la plus grande classe exproprié à Cuba, qui travaillent pour l’État, presque à la limite du volontarisme, en la circonstance ils peuvent compter avec des revenus minimes mais sûrs. L’originalité de Rodiles, c’est que son travail pour le compte de la polarisation entre l’État cubain et l’État yankee, c’est qu’il semble qu’il ait fait cela avec une conviction sincère, qu’il l’ait fait pour des idéaux. Et c’est ainsi parce que sa vie de bourgeois dans le quartier havanais de Miramar, avec de jolies filles dans sa maison confortable, ne le force pas à travailler sous la pression physiologique de ses employeurs.
Rodiles est un opposant, un dissident, un travailleur social volontaire de la sûreté de l’État cubain et de la CIA. Ses ressources familiales et l’aide de ses amis démocrates internationaaux sont une chose. Mais ses convictions autoritaires, sa méfiance brutale envers la capacité humaine d’apprendre à s’organiser sont une autre chose. Ces idées l’ont conduit à avoir une foi aveugle dans les marchés, une autre forme d’étatisme, et de là dans sa carte mentale des sociétés il ne peut voir que des possibilités pour les intérêts privés, les gouvernements techniquement mieux préparés que d’autres pour voir la religion scientifique de l’économie globale, les partis politiques et les hommes utiles pour mettre en œuvre ses idéaux les plus profonds.
C’est pour cela qu’il croit que le triste spectacle de millions de personnes enfermées trois minutes dans une cabine, tous les quatre ans, pour élire qui va les humilier et les tromper, est quelque chose de sublime. C’est pour cela qu’il croit que la meilleure garantie pour changer l’État est de le remplacer par un État plus sophistiqué, C’est pour cela qu’il croit que la meilleure façon de supprimer l’oppression est de la technologiser, avec les contributions scientifiques de la politologie et de la technique commerciale.
J’ai connu Rodiles il y a environ cinq ans lors de rencontres dans la maison du professeur Calaforra, un polyglotte en langues asiatiques, un être exceptionnel qui a attiré dans sa maison pendant des années la jeunesse libre penseuse la plus intéressante qui pullulaient dans les universités de La Havane. C’est là que l’on auto-organisa un bel espace de rencontres et d’échanges d’une extraordinaire richesse thématique. Rodiles apparu là, aimablement, il faut le dire, avec l’idée autoritaire de nous endoctriner lors d’un cours hebdomadaire sur le néolibéralisme, en format vidéo, et en nous montrant l’inutilité de l’art, de la poésie et de la connaissance humaine s’ils n’étaient pas fondés sur sa notion toute particulière de la liberté.
Ensuite il augmenta son rayon d’action, il fréquenta d’autres espaces autonomes, y compris certaines des activités de l’Observatoire critique. Il fait connaissance avec ses dynamiques, ses procédures et il reproduit un certain nombre de choses qu’il avait vu dans nos espaces et nous surprit tous en organisant les rencontres de Estado de Sats, un espace schizoïde dans ses dynamiques, bizarre qui sentait la transdomination de partout. Là, au milieu du très chic local de Cas Gaia, où a eu lieu les rencontres de Estado de Sats, Antonio et mon frère Ramon Garcia Guerra finirent presque par en venir en mains à la fin d’un débat d’idées qui semblaient inoffensif. Est-ce que l’antagonisme ne connaît pas les subtilités des divergences ?
Les dernières nouvelles concernant Antonio Rodiles démontre clairement ce que nous sommes : antagoniques, bien que j’apprécie sa courtoisie pour avoir une fois emmené rapidement mon grand-père à l’hôpital dans sa voiture.
Ni le blocus yanquee, ni le retour de sa tutelle sur la société cubaine résoudront les problèmes de fond d’une société qui, comme beaucoup d’autres, est un peu plus chaque jour massivement irrespectueuse d’elle même. Cette société se laisse droguer avec des génériques du type « l’économie va nous permettre d’être libres », comme si la liberté devait être d’avoir plus de biens administrés sous le régime des militaires ou plus de produits exposés dans les vitrines sous le régime de la marchandise. Rodiles rejoint la deuxième modalité de telles illusions et on ne voit pas les liens qui existent entre les deux.
Ces choses se produisent parce que les illusions des nuits de cirque ont pénétré profondément dans nos esprits, un mage libérateur avec sa baguette magique étant préférable pour nous rendre heureux. Ce type d’illusions ont une marque qu’il est facile d’identifier. Rodiles travaille pour cette entreprise et ses deux succursales les plus proches. Espérons que cela soit volontairement, afin de maintenir une dose de respect envers lui, et que nous ayons le plaisir d’avoir un antagoniste ayant de la dignité.
Marcelo “Liberato” Salinas
Publié sur le blog de l’Observatoire critique de La Havane
Traduction : Daniel Pinós