“À Cuba, l’après-Castro incertain” vu par Arte
Loin des mélodies du Buena Vista Social Club, des plages ensoleillées et des mojitos, Cuba n’est pas le paradis que l’on imaginait. L’île manque de tout. Mais le régime, qui s’appuie sur la figure des frères Castro et sur de solides institutions, n’est pas remis en cause par la population, et prépare la relève. Analyse et témoignages vidéo.
Le 3 février, les Cubains vont se rendre aux urnes. Ils éliront les 1 269 délégués des assemblée provinciales, ainsi que les 612 députés de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire. Ces derniers seront en charge d’élire le président, le vice-président, le secrétaire du Parlement, ainsi que les trente et un membres du conseil d’État. Les candidats à ces élections sont désignés par les 14 500 conseillers municipaux élus en novembre dernier : les candidats aux élections municipales avaient alors été désignés par la population elle-même, lors de réunions de quartier.
C’est un exercice de la démocratie sans pluralisme.
Cuba possède les attributs d’une « démocratie participative ». Mais les élections ne comportent aucun enjeu particulier. Les candidats sont tous membres du Parti communiste cubain, aucun opposant ne peut se présenter. « C’est un exercice de la démocratie sans pluralisme », explique Olivier Dabène, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri). Aux dernières élections en 2008, 96 % de la population en âge de voter s’était rendue aux urnes. Accro aux élections les Cubains ? Le vote n’est pas obligatoire sur l’île, mais glisser un bulletin dans l’urne est plus « un rituel, une habitude sociale », selon Olivier Dabène. Et puis les Comités de défenses de la révolution, les CDR, veillent au grain. Ces comités sont en charge de la vie quotidienne d’un quartier : beaucoup les accusent de surveiller et de contrôler la population, et de dénoncer d’éventuels dissidents. Quant à la liberté d’expression, elle n’existe pas, bien que le régime lâche parfois du lest envers certains opposants.
Du côté du régime, il y a eu peu de changements depuis que Fidel Castro, 86 ans, a laissé les rênes du pouvoir à son frère Raúl. Néanmoins, c’est la dernière fois que Raúl Castro, âgé de 82 ans, peut se présenter à l’élection présidentielle. En janvier dernier, il a limité à deux les mandats des principaux leaders, tous issus des rangs de la révolution de 1959. Cette limitation va permettre le renouvellement de l’élite dirigeante. Peu d’enjeux politiques donc lors de ces prochaines élections. Les changements notables à Cuba sont d’ordre économique.
DES REVENDICATIONS ÉCONOMIQUES
Lorsqu’on interroge les Cubains sur la politique, les réponses sont évasives, frileuses. La population souhaite avant tout une amélioration de ses conditions de vie. Car sur l’île, tout manque. Après plus de 50 ans de castrisme, le pays est exsangue. La libreta, le carnet de rationnement, est toujours en circulation, et 80 % de la nourriture vient de l’importation. Shampoings, brosses à dent, stylos, voitures, matériaux de construction et médicaments sont des denrées rares. Mais peu à peu, le régime a mis en œuvre des réformes économiques. 178 métiers – comme ceux de coiffeur ou de chauffeur de taxi – ont été ouverts à l’initiative privée en 2011. Cette réforme va faciliter la reconversion des fonctionnaires mis au chômage. Si 85 % de la population active est employée par l’État, à terme 1,3 millions d’emplois publics sont amenés à disparaître. En 2009, 800 000 hectares de terres ont été redistribués en usufruit : les nouveaux agriculteurs indépendants ont été autorisés à vendre leur production directement, sans passer par les coopératives d’État. Les investissements étrangers dans le tourisme ont aussi été encouragés : 2,5 millions de touristes ont afflué à Cuba en 2011, et les revenus du tourisme ont rapporté quelques 2,5 milliards de dollars.
Toutefois, on n’observe pas de germes de colère comme dans les pays arabes : les gens sont éduqués – le taux d’alphabétisation est de 99,8 % –, ont accès gratuitement à la santé et au logement, et les inégalités sociales sont faibles. De plus, l’embargo américain, mis en place en 1962, génère un sentiment d’unité derrière le Parti communiste cubain.
Si la jeunesse veut voir ses conditions de vie s’améliorer, la remise en cause du régime n’est pas au programme : « Les Cubains sont le produit de cinquante ans de propagande castriste », explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) : « Ils sont isolés, les chaînes et la presse étrangères sont interdites, et l’accès à internet très limité ». Il y a certes des dissidents à Cuba et parmi la diaspora mais « Ils restent peu nombreux, et plus connus des ambassades que de la population » précise Jean-Jacques Kourliandsky.
APRÈS LES CASTRO
Difficile de dire ce qu’il se passera à Cuba une fois les frères Castro disparu. Le régime, basé sur des solides institutions, est capable « se perpétuer en l’état » selon Jean-Jacques Kourliandsky : « Les institutions peuvent fabriquer un successeur » aux Castro. Et le renouvellement des dirigeants en 2013, puis lors des élections de 2018, pourrait permettre la continuité du régime fondé par El Commandante. Si les institutions sont solides, les finances sont plus fragiles : depuis la chute de l’URSS, Cuba a perdu son bailleur de fond. Aujourd’hui, le Venezuela d’Hugo Chavez – et dans une moindre mesure, la Chine – sont les béquilles financières de l’île. Les réformes économiques de Raúl Castro peuvent apparaître alors comme un moyen d’assurer la survie du régime.
Margaux Bergey
Pour voir les vidéos d’Arte :
http://www.arte.tv/fr/cuba-et-la-democratie-temoignages-video/7252854.html