Les Cubains tout près de la sortie ? Pas si sûr.
Depuis le lundi 14 janvier 2013, les Cubains sont autorisés à voyager plus librement hors de leur pays. C’est la conséquence la plus spectaculaire de la réforme de la loi migratoire mise en place par le président Raul Castro. Très attendue, elle met fin à un demi-siècle de restrictions imposées par le régime.
Pas à pas, Cuba entrouvre ses portes. Et le lundi 14 janvier, c’est même un grand bond qui a été franchi avec la réforme migratoire qui permet à tout citoyen cubain, ou presque, de voyager comme bon lui semble hors de son île. « Les personnes de plus de 18 ans seront en mesure de voyager à partir du 14 janvier », a officiellement confirmé le colonel Lamberto Fraga, un haut responsable des services d’immigration. Pour les mineurs, a-t-il encore précisé, ils pourront également sortir du pays à condition de détenir une autorisation notariée de leurs parents ou tuteurs.
Cette révision de la législation des voyages était la réforme la plus attendue à Cuba depuis l’adoption, l’an dernier, d’une série de mesures économiques destinées à libéraliser le système centralisé communiste.
Cette révision de la législation des voyages à l’étranger était la réforme la plus attendue à Cuba depuis l’adoption d’une série de mesures économiques qui ont introduit en 2011 une dose d’économie de marché dans le système centralisé communiste.
Elle correspond notamment aux recommandations de la conférence nationale – sorte de minicongrès du Parti communiste cubain (PCC) – qui s’est tenue les 28 et 29 janvier afin «d’actualiser le socialisme». Une première du genre depuis la fondation du Parti par Fidel Castro en 1965. En prélude de cette conférence, son frère Raúl avait prévenu : «Ou nous changeons, ou nous coulons.»
Course d’obstacles
Jusqu’à présent les voyages n’étaient pas interdits aux Cubains mais leur préparation relevait d’une véritable course d’obstacles. Ainsi, tout ressortissant désirant sortir de Cuba devait disposer d’une invitation à l’étranger et se munir d’une autorisation spéciale de sortie dite « carte blanche » délivrée pour 30 jours. Ce précieux sésame, valable 1 mois, coûtait 110 euros ; il pouvait cependant être renouvelé moyennant 40 euros pour chaque tranche supplémentaire de 30 jours avec un maximum de 11 mois.
En tout, l’obtention du passeport à laquelle s’ajoutait la kyrielle de documents indispensables en tout genre pouvaient coûter jusqu’à 500 dollars au candidat à la sortie du territoire. En additionnant le prix du billet d’avion, on comprend bien que pour le Cubain moyen qui gagne officiellement 20 dollars par mois, les rêves de voyages se fracassaient bien vite contre la réalité.
La réforme qui entre en vigueur ce lundi rend obsolètes la plupart des autorisations ; seuls seront nécessaires le passeport, dont le coût n’est pas encore connu, et le visa délivré par le pays de destination. Dans la foulée de cet assouplissement, les Cubains se voient accorder de plus le droit de séjourner à l’étranger 24 mois, renouvelables, tout en conservant la résidence cubaine et leurs droits. Jusque-là, au-delà des 11 mois autorisés, le ressortissant cubain s’exposait à être considéré comme déserteur et à voir ses biens saisis.
Pour autant, des restrictions demeurent. “Seront titulaires d’un passeport, les citoyens cubains qui répondent aux dispositions établies dans la loi migratoire actualisée”, précise un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Les détenteurs actuels d’un passeport “devront solliciter leur renouvellement auprès des services compétents du ministère de l’Intérieur”, ajoute le texte.
Depuis lundi dernier, les citoyens âgés de plus de 18 ans sont autorisés à quitter l’île et à voyager à l’étranger grâce à un passeport en règle qui leur sera délivré pour la « modique » somme de cent dollars. Un budget exorbitant pour le cubain moyen, dont le salaire mensuel ne dépasse pas les 20 dollars en moyenne.
Cette ouverture ne devrait pas créer a priori d’hémorragie dans les flux migratoires. D’abord parce que la plupart des Cubains n’ont pas les moyens d’aller voir ailleurs ce qui se passe, même s’ils en expriment volontiers le désir. Et si jamais le mouvement vers la sortie s’avérait trop important, La Havane pourrait être tentée de restreindre la délivrance des passeports. Mais sachant que l’argent envoyé à Cuba par les expatriés représente 2,3 milliards de dollars par an et constitue avec le tourisme le principal revenu de l’île, on ne voit pas pourquoi les autorités tueraient la poule aux oeufs d’or. Mais, dévolue aux pays étrangers, l’attribution de visas risque elle, par contre, de limiter le nombre de candidats au voyage.
Malgré l’allègement des restrictions en vigueur depuis un demi-siècle, tous les Cubains ne seront pas pour autant logés à la même enseigne. Si les médecins échappent à un régime spécial, les sportifs de haut niveau tout comme certains dirigeants et professionnels « essentiels » devront se soumettre à des conditions plus sévères que les autres Cubains, a expliqué le colonel Lamberto Fraga.
Du sang frais
Une manière de « préserver le capital humain créé par la révolution », justifie le gouvernement qui souhaite se protéger des Etats-Unis, grands bénéficiaires depuis des décennies de la « fuite de cerveaux » et des défections répétées de vedettes du sport. Ces dernières années, plus de 30 athlètes de haut niveau ont faussé compagnie à leur délégation lors de tournées à l’étranger ou ont quitté Cuba en catimini.
Mis à part les champions et les élites jugées indispensables par le pouvoir castriste, les dissidents ont déjà exprimé de sérieux doutes quant à la liberté dont ils pourraient disposer pour aller et venir comme bon leur semble. « Il est clair que le gouvernement maintiendra une politique de discrimination à l’égard des personnes qui ne leur sont pas favorables », a ainsi déclaré à l’AFP le dissident Elizardo Sanchez, le directeur de la Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (Ccdhrn), une organisation illégale mais tolérée.
L’ouverture économique à petites touches est une réalité cubaine depuis 2011. L’achat de voitures et de maisons comme celui de téléphones portables, ou encore la possibilité de séjourner à l’hôtel ou de travailler à son compte ont mis fin à des « interdictions excessives », selon les propres termes de Raul Castro. L’accès maintenant facilité aux voyages vers l’étranger représente un pas supplémentaire dans l’introduction en pointillé de parts d’économie libérale sans un système toujours fondamentalement communiste.
Pragmatiques, les dirigeants cubains le deviennent décidément. Et en facilitant les allers-retours de leurs ressortissants, le gouvernement espère bien être payé de retour non seulement en estime mais surtout en espèces sonnantes et trébuchantes. Le pouvoir mise ainsi sur ceux de ses compatriotes qui pourront de cette manière faire des affaires ailleurs et revenir ensuite apporter du sang frais à une économie locale à bout de souffle.
Chaque année, les Etats-Unis, qui appliquent depuis un demi-siècle un sévère embargo économique et financier à l’encontre de Cuba, accorde quelque 30.000 visas à des Cubains, généralement jeunes et formés, candidats à l’émigration.
Le ministère souligne enfin que “pas à pas, d’autres mesures seront adoptées en relation avec la politique migratoire, lesquelles permettront de consolider les efforts prolongés de la Révolution dans son oeuvre de normalisation totale des relations de Cuba avec ses émigrés”.
Environ 1,5 million de Cubains et leur descendance vivent à l’étranger – dont 80% aux Etats-Unis, notamment à Miami (Floride) -, pour une population locale de 11,2 millions.