Dans quelles circonstances Hugo Chávez est-il arrivé au pouvoir ?
Il est des pays qui, de par leur nature, de par leur histoire, ont de tout temps fait rêver les occidentaux. Depuis le début de la conquête des Amériques par les Espagnols, le Venezuela s’est trouvé faire partie de ces pays mythiques. Aujourd’hui encore, quiconque s’intéresse à la politique n’est pas indifférent à ce qui se passe dans la République bolivarienne du Venezuela. Un livre, Venezuela : La Revolución como espectáculo. Una crítica anarquista al gobierno bolivariano de Rafael Uzcátegui, vient récemment d’être publié (1). Le thème comme le titre l’indique est l’histoire contemporaine de ce pays. Notre intérêt pour ce livre, vient du fait que nous avons vécu dans ce pays et que nous y avons connu quelques-uns des principaux acteurs de la révolution bolivarienne. À l’époque où nous y vivions, ils étaient dans l’opposition. Ils rêvaient de transformer la société vénézuélienne par une prise du pouvoir par les armes. Nous savons ce qu’il en a été de ces tentatives de coup d’État. Malgré les échecs, Hugo Chávez devint, dans la plus belle tradition de l’histoire du Venezuela, un cacique sans aucun véritable fait d’armes. Comble d’ironie, il arriva au pouvoir non par les armes comme il le rêvait, mais par les urnes qu’il détestait…
Avec ce livre, pour la première fois, nous sommes en présence d’un ouvrage qui se différencie totalement de ce que nous avons eu l’occasion de lire sur ce sujet jusqu’à ce jour. Bien loin des louanges dithyrambiques que peuvent faire la gauche altermondialiste conduite, dans cette affaire, par les journalistes du Monde diplomatique avec l’appui de quelques intellectuels de renom, tel Noam Chomsky. Nous sommes tout aussi éloignés de la critique hystérique des gauches acquises aux bienfaits du néolibéralisme. Évidemment, nous ne nous intéressons pas à la critique de la droite qui est cette fois, la main dans la main, avec cette gauche pour dénoncer le socialisme du siècle XXI du président Hugo Chávez. Mais les uns comme les autres, ne nous ont donné aucun élément nous permettant de nous forger notre propre opinion.
L’intérêt du livre de Rafael Uzcátegui est qu’il nous donne ces éléments de réflexion. L’auteur, vénézuélien, sociologue de formation, fortement influencé par les théories de La Société du spectacle de Guy Debord, démonte avec la rigueur d’un entomologiste, sans passion, la réalité de la Révolution bolivarienne. En trois parties, d’égales importances, il passe en revue le projet politique mis en oeuvre par le président Chávez. Le « socialisme » pétrolier vénézuélien en est la première. La deuxième, traite de La vie quotidienne dans le Venezuela bolivarien. Quant à la troisième, elle aborde Les mouvements sociaux au Venezuela. Autonomie ou étatisation ? L’ensemble de l’ouvrage, cohérent et équilibré nous permet d’avoir une vision précise de ce qui se passe aujourd’hui dans ce pays. Cependant, nous émettront une restriction. Il nous semble que pour le lecteur étranger, qui ne connaît pas le pays et ne sait ce qui s’y passe que par voie de presse, il aura un peu de mal à apprécier à sa juste valeur cette critique implacable du phénomène cháviste en l’absence d’antécédents historiques. Comment ce pays de tradition de guérilleros en est arrivé à avoir depuis plus d’une décennie le même président ? C’est une question d’importance.
Comprendre ce phénomène sans précédent dans l’histoire de ce pays (2), car à n’en pas douter c’est bien d’un phénomène qu’il s’agit, nous permet d’appréhender la longévité politique de Chávez. Cet ouvrage, n’aborde que très superficiellement ce sujet puisqu’il est dirigé avant tout aux lecteurs vénézuéliens. Nous allons essayer d’apporter, sans avoir la prétention d’écrire en quelques pages l’histoire du Venezuela du XXe siècle, quelques éléments permettant de comprendre comment Chávez a pu arriver à la tête de l’État vénézuélien et s’y maintenir aussi longtemps. Cependant, il est évident pour nous qu’il y a maintenant un avant et après le livre de Rafael Uzcátegui. Quiconque prétendant s’intéresser à ce qui se passe dans ce pays, ne peut s’abstenir de la lecture de ce livre.
Le pays, depuis la guerre d’indépendance a presque toujours vécu à l’ombre des caciques ce qui l’a souvent conduit dans d’effroyables guerres civiles. Avec Chávez nous sommes dans un caciquisme newlook. Celui-ci n’a pas de geste à faire valoir, son arme est le verbe. La « guerre » qu’il livre contre l’impérialisme et l’oligarchie est une guerre des mots. Nous ne savons s’il a lu 1984 de George Orwell, mais une chose est certaine, comme le fait remarquer avec talent Rafael Uzcátegui, c’est qu’il applique à merveille le double langage. Il fait le contraire de ce qu’il prétend faire. Un proverbe populaire du Venezuela d’aujourd’hui dit en parlant de Chávez : « Ce qu’il fait d’une main, il le défait de l’autre… » Cette maxime est on ne peut plus claire sur la réalité du chávisme.
Nous connaissons la légende qui raconte que lorsque les Espagnols arrivèrent dans la région de Maracaibo, voyant sur les plages du lac, une pâte noire et graisseuse que les indiens appliquaient consciencieusement sur leurs cheveux, leur demandèrent de quoi s’agissait-il ? Avec une infinie sagesse ceux-ci leur répondirent : « C’est le fumier du Diable. » Ils n’avaient pas tort. Quelques siècles plus tard, si cette légende est toujours contée aux enfants et aux étrangers, les Vénézuéliens ont, pour la plupart, oublié la véritable signification de ce dicton populaire. Ce pays, est un immense champ de fumier qui loin, d’apporter le bien-être à ses habitants, par son abondance, les a totalement corrompus. Sans le pétrole, comme pour la quasi-totalité des pays producteurs, l’histoire du Venezuela du XXe siècle aurait été totalement différente et la prétendue Révolution bolivarienne n’aurait certainement jamais vu le jour.
À la lecture de cet ouvrage nous apprenons que l’exploitation du pétrole a commencé dans le pays en 1878. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 1920, que le Venezuela devient le premier exportateur mondial de cette matière première. Ce statut, va transformer en profondeur la société vénézuélienne. Dans les années qui suivent, le pays est livré en concessions, aux grandes compagnies pétrolières angloaméricaines. Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, se développe une idéologie visant à inverser le processus de dépeçage du pays. C’est à cette époque, que les différents gouvernements vénézuéliens décident que le pays a le droit de recevoir une part plus importante des bénéfices octroyés par le fumier du Diable. Ils décident alors, d’augmenter substantiellement les impôts des compagnies qui exploitent cette richesse pour en arriver à la formule dite du « fifty-fifty » ou 50-50.
En 1958, un mouvement populaire conduit par Action démocratique (AD) et le Parti communiste vénézuélien (PCV) aboutit à la chute de la dictature du général Marcos Perez-Jiménez. Une fois la démocratie rétablie, les sociaux-démocrates d’AD vont alors tout faire pour réduire l’influence du PCV qui est à l’époque le premier parti du Venezuela. Il représente près de 40% de l’électorat. Pour atteindre son objectif, AD va s’allier avec les démocrates-chrétiens de COPEI (3). Ce parti est conservateur, réactionnaire et surtout, profondément anti-communiste. En octobre de la même année, pour consolider la toute récente démocratie, est signé entre trois partis AD, COPEI et l’URD (4) le pacte de Punto Fijo (5). Les signataires de ce pacte vont se partager le pouvoir. Le PCV, guerre froide oblige, ne peut participer à la signature de ce pacte. C’est la naissance de la IVe République. Peu après, l’URD rompt avec AD et quitte le pacte. Le motif de cette rupture est que le président de la République, Rómulo Betancourt, membre d’Action démocratique, en fidèle exécutant de la politique extérieure des États-Unis, veut faire exclure Cuba de l’Organisation des États américains (OEA). Ce qui finira par se produire en 1962. La sortie de l’URD du pacte marque le début du bipartisme. Connu aussi sous le nom populaire de démocratie adeca-copeyana, du nom de ces deux partis. Pendant quarante ans, ils vont gouverner à tour de rôle, avec une main de fer, le pays.
Ces deux partis vont, en matière énergétique, poursuivre une politique qui se veut ouvertement nationaliste. Moins de deux ans après la chute du dictateur, le Venezuela impulse la création de l’OPEP, qui voit le jour le 14 septembre 1960 à Caracas. Les premiers membres de ce cartel sont, outre le Venezuela, l’Arabie saoudite, l’Irak, l’Iran et le Koweït. Ensuite, il faudra attendre 1975 pour voir la naissance de la société nationale Petróleos de Venezuela sociedad anónima (PDVSA) et l’année suivante, ce sera la nationalisation des hydrocarbures. Le pays dispose à ce moment-là, de la totalité des richesses du fumier du Diable. Que va-t-il en faire ?
Dès la création de l’OPEP, quelques intellectuels vénézuéliens avertissent du danger que court le pays de baser sa richesse uniquement sur sa rente pétrolière. Ils développent une théorie : semer le pétrole. Selon eux, l’argent de cette rente doit permettre de construire le pays sur de nouvelles bases et lui permettre de créer des ressources alternatives. L’industrie agricole, balbutiante, doit être développée, pour que le pays devienne à terme auto-suffisant en matière alimentaire. Ce que, jusqu’à ce jour, il n’a toujours pas atteint… Bien évidemment, les politiciens de la IVe République choisissent une toute autre voie. Celle de la paix sociale par le paternalisme et si cela ne suffit pas, la répression fera le reste.
Le pays connaît pendant la décennie de 1960 d’importants mouvements de guérilla. Le rapport de force est équilibré. La guérilla n’est pas en mesure de prendre le pouvoir et celui-ci, n’est pas en situation de déclencher une répression à la chilienne. Dès le début des années 1970, il trouve alors une solution originale. Puisqu’il ne peut l’éliminer, il va l’absorber en ouvrant des espaces politiques aux différents mouvements de guérilla. Tous les leaders guérilleros, exception faite de Douglas Bravo (6), acceptent la proposition gouvernementale. C’est la paix des braves, financée par le pétrole. Le Venezuela entre dans une profonde léthargie sociale qui aura un réveil brutal en février 1989. Un soulèvement populaire, met pendant une semaine la capitale et le pays en insurrection. La répression est féroce. Les morts et les disparus se comptent par centaines. Ce mouvement, connu sous le nom de Caracazo (7), est le début du rejet par la population des barrios (8) des deux partis qui se partagent le pouvoir depuis 1958 et qui aboutira en 1998 à l’élection de Hugo Chávez. La Pax Venezolana aura duré quarante ans. Que s’est-il passé pour que le pays en arrive là ?
Il nous faut observer trois périodes dans le bipartisme. La première, qui va de l’euphorie de la chute de la dictature de Perez-Jiménez jusqu’au Viernes negro (vendredi noir, forte dévaluation du bolívar) de février 1983. La deuxième, qui commence au lendemain du vendredi noir et qui s’achève avec le Caracazo en 1989. La troisième, qui commence dans le bain de sang de l’après-Caracazo et se termine avec l’élection de Chávez en 1998.
La première période est celle qui se caractérise par l’abondance. Les gouvernements successifs appliquent avec succès une habile politique. D’un côté une répression qui, si elle n’atteindra jamais l’intensité des autres Républiques sud-américaines fera cependant de nombreux morts et disparus. De l’autre, pour la population qui ne participe pas de ces combats, ce sera un paternalisme à outrance. Les gouvernements adecos-copeyanos entendent ce que dit la société vénézuélienne dans son ensemble : « Le pétrole est de tous les Vénézuéliens, nous voulons des retombées immédiates de cette richesse. » Pour satisfaire l’aspiration populaire et obtenir la paix sociale, il ne leur reste plus qu’à puiser dans les retombées financières du pétrole. Ce sera alors, le salaire minimum, la Sécurité sociale, les retraites, création d’écoles, d’hôpitaux… et surtout, le contrôle du prix des aliments et des biens de consommation. Cette politique permet aux negritos (9) de rentrer dans le monde de l’hyperconsommation. Cependant, elle est un véritable défie à toutes les lois de l’économie. Pendant vingt-cinq ans, le pays va vivre de cette façon de la manne pétrolière. Faisant peu de choses pour moderniser et développer le pays. Les premières grandes réalisations industrielles, virent le jour sous la dictature de Perez-Jiménez et la partocracia adeco-copeyana ne fit que développer ce qui existait déjà. L’agriculture à l’abandon, ne permet en aucun cas au pays d’être autosuffisant. Alors, chaque jour des dizaines d’avions cargos en provenance des États-Unis et d’Europe déversent par centaines de tonnes les indispensables aliments. Le gouvernement subventionne l’achat de toutes les marchandises qui entrent dans le pays.
Pour réaliser cette politique de contrôle social, sans partage, les deux partis dépositaires du pouvoir s’appuient sur la puissante Confédération des travailleurs vénézuéliens, CTV (10), dans laquelle Action démocratique est largement majoritaire. Ce syndicalisme, bras armé de la cogestion, contrôle énergiquement les travailleurs. Toutes les dissidences sont réduites. Promotion, corruption et si besoin, ce sera par une répression qui ne dit pas son nom.
Lors de son premier mandat de président de la République en 1974-1979, Carlos Andrés Perez, populairement appelé CAP, crée la société nationale des pétroles PDVSA. Nationalise, en douceur, les compagnies qui exploitent le fumier du Diable. Cette situation fait bénéficier au pays du premier grand choc pétrolier lié à la guerre du Kippour. L’augmentation substantielle du prix du baril lui permet de continuer une politique sociale basée sur l’assistanat. Il crée le salaire minimum, ce qui est une nouveauté en Amérique latine et il oblige les entreprises à embaucher. C’est un plein emploi totalement artificiel. Il fait passer une loi contre les licenciements injustes ce qui donne un immense pouvoir à la CTV. Tout cela, il le fait sans que la puissante fédération patronale FEDECÁRAMAS (11) ne trouve rien à redire. D’importantes contreparties sont accordées aux entreprises pour qu’elles acceptent cet état de fait. Son habileté à satisfaire les différentes classes sociales de la société vénézuélienne, lui donnent une aura sans précédent dans le pays.
Cependant, comme dit le proverbe : « Tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par casser. » La cruche vénézuélienne se casse le vendredi 18 février 1983, c’est la première dévaluation. Ce jour-là, entre dans l’histoire du pays comme el Viernes negro. Depuis l’avènement de la démocratie, le pays a une monnaie stable et forte. Le bolívar est coté à 1,15 franc et le dollar est quant à lui échangé à 4,30 bolívars (12). En une journée, sa chute est importante et il passe de 4,30 à 7,15. C’est le début de la dégringolade sans fin. Tous les gouvernements qui vont se succéder, y compris celui de Chávez ont été, jusqu’à ce jour, dans l’incapacité d’arrêter la dévaluation du bolívar.
La deuxième période commence au lendemain de cette dévaluation et toutes les mesures prises pour stopper la chute de la monnaie échouent lamentablement. Cependant, les richesses du pays sont telles qu’AD et COPEI peuvent continuer de maintenir l’illusion. Rien de fondamental n’est entrepris pour changer l’ordre des choses. La spirale inflationniste continue allégrement. La presse, étroitement contrôlée par le pouvoir n’évoque que timidement cette dégringolade. Tous les Vénézuéliens rêvent de ce passé récent, où l’abondance et le bien-être régnaient. Ici où là, quelques critiques sont émises sur les dirigeants d’AD ou de COPEI. Mais personne ne va jusqu’à dire publiquement que c’est le système politique mis en place en 1958 qui est responsable de cette situation.
Avec l’abandon de la lutte armée, le Parti pour la révolution vénézuélienne (PRV), dont le principal dirigeant est Douglas Bravo, développe une théorie nouvelle celle del Tercer Camino. Seamos originales, seamos Americanos. Ni les Soviétiques, ni les États-Unis, soyons Américains. Ce troisième chemin ou troisième voie est une théorie nouvelle, pour l’époque, dans l’extrême-gauche du pays. C’est le refus de l’ordre mondial découlant de Yalta. Pour parvenir à changer l’ordre des choses dans leur pays, ils développent l’idée que seule une alliance civico-militaire peut en finir avec ce qu’ils qualifient être la dictature du bipartisme. C’est ainsi que des contacts sont établis entre de jeunes officiers vénézuéliens et les anciens guérilleros du PRV. Parmi ces officiers se trouve le jeune Hugo Chávez. Le prestige et le charisme du vétéran révolutionnaire qu’est Douglas Bravo font qu’immédiatement le courant passe entre les deux hommes. Commence alors, sous la direction des principaux responsables du PRV, la formation politique d’Hugo Chávez. Il s’imprègne des idées et de la pratique subversive des membres de ce parti. Il en devient militant et il a pour mission d’infiltrer les forces armées vénézuéliennes. Ce qu’il fait avec un certain succès. En 1986, il fonde le MBR 200, le Mouvement bolivarien révolutionnaire et le chiffre 200 correspond aux nombres d’officiers et de sous-officiers qui ont adhéré à ce mouvement. C’est sur ces deux cents adhérents que Chávez s’appuiera lorsqu’il tentera de prendre le pouvoir par un coup État militaire en 1992. Peu après la création de ce mouvement il prend une certaine distance avec le PRV qui est devenu entre-temps PRV-Tercer Camino.
Lors de la campagne à l’élection présidentielle de 1989, Carlos Andrés Perez est à nouveau candidat (13). Le souvenir qu’ont gardé les Vénézuéliens de son premier mandat est celui du plein emploi et de l’aisance économique. Massivement, ils votent pour lui. Il est élu dans un fauteuil. Cependant, l’illusion va être de très courte durée. Quelques semaines après son intronisation, obéissant aux exigences du FMI, il met en route un plan de restrictions drastiques des dépenses publiques. L’essence et les transports publics augmentent de 100%, les aliments augmentent dans des proportions légèrement inférieures. La farine de maïs et un certain nombre d’aliments de base des Vénézuéliens pauvres disparaissent, comme par enchantement, des magasins… Quant aux salaires, le gouvernement décide de prendre son temps pour savoir quelle sera l’augmentation qu’il va accorder. Cette attitude est une véritable provocation. Cependant, il compte sur la CTV pour l’aider à contrôler la situation. Le pouvoir pense avoir totalement domestiqué les Vénézuéliens. Il se trompe lourdement. La réponse de la rue est immédiate. Caracas et sa banlieue, ainsi que de nombreuses villes du pays, sont en quelques heures la proie des flammes. Ce mouvement spontané, sans leader, surprend tout le monde. Le gouvernement débordé déclare l’état de siège. Le couvre-feu est imposé dès vingt heures dans tout le pays. Sa priorité est d’assurer la protection des grands centres commerciaux et des supermarchés. Il met en place un plan connu sous le nom de plan d’Ávila qui lui permet d’utiliser l’armée. Celle-ci a le droit d’utiliser toutes les armes qui sont en sa possession. Il en est de même pour la Garde nationale (équivalent de la gendarmerie française) et de la Police métropolitaine (PM). Le pays vit une situation de guerre civile contre les pauvres. Pendant deux jours, les 27 et 28 février, les habitants des barrios descendent dans le centre de la capitale et pillent toutes les boutiques et les magasins qui ne sont pas protégées par les forces de l’ordre. À la nuit tombée dans les quartiers populaires, les échanges de coups de feu sont nourris entre les forces de l’ordre et les mutins. La chasse à l’homme commence. Perquisitions, arrestations illégales et disparitions vont se produire à un rythme effréné. Les disparitions seront particulièrement nombreuses dans les quartiers qui ont une tradition de lutte. Parmi ceux qui subissent le plus cette sévère répression se trouve, en premier lieu, celui du 23 de enero (14). Pendant une semaine, les forces de l’ordre ne feront pas de quartier et le bilan officieux sera de 500 morts et 2.000 disparus pour la seule ville de Caracas. Ce carnage sonne le glas du bipartisme vénézuélien. Mais il faudra attendre encore près de dix ans pour qu’il finisse par sortir de la scène politique.
La troisième période commence au lendemain de cette sanglante répression et aiguise les appétits de jeunes officiers ambitieux. Chávez et quelques autres pensent que le fruit est mûr. Que le moment est opportun pour en finir avec cette démocratie vieillissante et corrompue. Ils décident de passer à l’action le 4 février 1992. Chávez prend la tête de ce mouvement qui ne compte que peu d’hommes. Pour éviter de se retrouver en rivalité avec son maître, Douglas Bravo, il décide de l’exclure de ce putsch. Poussant sa déloyauté jusqu’à l’extrême, il s’entoure des meilleurs éléments du PRV tout en leur demandant de garder le secret de l’opération à l’égard de leur ancien chef. S’il commet le crime de lèse-majesté, il oublie au passage quelques-unes des leçons du vieux guérillero. Il lance son mouvement sans aucun soutien de la part de la population civile. Ce qui en 1958 avait permis de balayer en deux jours la dictature de Perez-Jiménez ne peut dans ces conditions se renouveler. En quelques heures, le gouvernement agonisant de Carlos Andrés Perez, dont l’armée lui est restée dans son ensemble fidèle, mate le soulèvement. Chávez et les autres mutins sont faits prisonniers. Le bilan est d’une cinquantaine de morts et d’une centaine de blessés.
Avant de se rendre, Chávez négocie le droit de faire une allocution radio-télévisée dans laquelle il peut expliquer la nature du soulèvement qu’il vient de réaliser et il reconnaît aussi sa défaite. Il félicite ses compagnons d’armes et demande à ceux qui continuent la lutte, de cesser le combat. Ce passage à la télévision, fait de cet inconnu, le nouvel héros du peuple vénézuélien. Ce putsch, qui fleure bon l’amateurisme et l’improvisation fait penser à un coup d’État d’opérette, s’il n’y avait ces morts, ces blessés, lui permet par la magie des ondes hertziennes de transformer sa défaite en une éclatante victoire. Pour les habitants des barrios, il a osé, seul ou presque, s’attaquer au bipartisme. En quelque sorte un nouveau Bolívar vient de naître…
Douglas Bravo découvre avec amertume que son héritier spirituel l’a trahi. Cette trahison marque le début de leur inimitié. Celui-ci et quelques-uns de ses proches pensent que l’échec de Chávez est dû à son manque de connaissance des règles élémentaires de la technique du coup d’État. Mais ils partagent avec lui l’idée que le moment est propice pour passer à l’action. Dans ces conditions, ils décident de terminer le travail qu’il a commencé. Mais ils veulent éviter les erreurs qui ont conduit à son échec. Douglas Bravo dispose de contacts avec des officiers de très haut rang dans les quatre armes. Deux contre-amiraux, un général d’aviation, un colonel de l’armée de terre et un major de la Garde nationale participent à l’organisation de ce coup d’État. En outre, le PRV-Tercer Camino et Bandera Roja (15) seront de la partie. Leur rôle sera de trouver les appuis dans la population civile de Caracas et essayer de renouveler ce qui s’est passé en 1958. L’aura et la connaissance de l’action clandestine dont dispose Douglas Bravo devraient pouvoir les aider en ce sens.
Le coup d’État est prévu pour le 27 novembre 1992. Il débute par de violents combats aériens. Mais à la surprise des mutins, les militaires restés fidèles à Carlos Andrés Perez se battent avec détermination. Si la faiblesse de la tentative de Chávez se devait en partie qu’il n’avait pas à sa disposition de force aérienne et qu’il ne disposait que de peu d’hommes (16) dans cette seconde tentative pour renverser le pouvoir, les putschistes s’ils disposent de militaires de haut rang et d’une importante force aérienne, ils manquent cependant eux aussi de soldats. Les soldats de l’armée de terre sont tous des enfants des barrios. Si le mouvement est favorablement perçu par la population de Caracas, l’absence des hommes de troupes, leurs frères, va faire que les habitants des barrios attendent passivement le résultat de ce qui se passe dans le ciel. Ces militaires professionnels, s’ils sont disposés à prendre le pouvoir, ils ne sont pas disposés à risquer leur vie pour le prendre. Face à la résistance opiniâtre de leurs camarades, restés loyaux au gouvernement, un certain nombre d’entre eux préfère abandonner le combat et prendre le chemin de l’exil. Une fois de plus, ce gouvernement que tous pensaient être à l’agonie, sort vainqueur de cette épreuve. Les mutins qui sont restés à Caracas sont faits prisonniers. Pour la première fois de sa vie, Douglas Bravo est arrêté (17). Le président Carlos Andrés Perez, ne manquant pas d’humour en la circonstance, le fait incarcérer dans la forteresse où se trouve déjà Hugo Chávez. Les mois de détention qu’ils vont passer ensemble, ne permettront pas que les deux hommes se réconcilient.
Quelques mois après la tentative de coup d’État du mois de novembre, Carlos Andrés Perez est à nouveau sur la sellette. Cette fois, l’affaire est nettement plus sérieuse que celle des golpes manqués. Il est accusé par le procureur général de la République d’avoir détourné la bagatelle de 250 millions de bolívars des caisses de l’État. En mai 1993, les preuves réunies contre lui sont suffisantes pour permettre au Congrès de le destituer. Immédiatement, le Congrès élit comme président intérimaire Ramón J. Velásquez (18) qui sera chargé de conduire le pays jusqu’à l’élection de 1994. Parallèlement, Carlos Andrés Perez est arrêté. Il ne sera jugé qu’en 1996. Compte tenu de son âge et de son état de santé, sa peine sera de deux ans et quatre mois de prison domiciliaire. Action démocratique sentant venir le tsunami politique décide, pour se protéger, de l’exclure. Il est trop tard. Rafael Caldera, en habile tacticien, a quitté son vieux parti COPEI et fondé un nouveau parti qui prend pour nom Convergencia. Ce parti, est un regroupement de tous ceux qui prétendent vouloir en finir avec le bipartisme. Il a un large spectre politique. Il est composé sur sa droite de dissidents de COPEI, nouvellement acquis à l’anti-bipartisme et sur sa gauche, du Movimiento al Socialismo (MAS) dirigé par l’ex-guérillero Teodoro Petkoff (19), en passant par un centre composé par des militants de la gauche traditionnelle. Lors de l’élection de 1994, trois candidats sont en présence. Celui d’AD, de COPEI et Rafael Caldera pour Convergencia. C’est ce dernier qui est élu, pour la seconde fois, président de la République.
Cette élection, marque le début de la fin du bipartisme. Rafael Caldera, pour clore la profonde agitation sociale qui est née lors du mandat de Carlos Andrés Perez et maintenir la fragile unité de Convergencia fait libérer et amnistier tous les putschistes de 1992. Son second mandat débute par une grave crise bancaire et des institutions financières. Près d’un tiers des entités du pays sont gravement touchées et un certain nombre d’entre elles vont disparaître dans cette tourmente. Le gouvernement devra sortir des coffres de l’État 6,6 milliards de dollars de l’époque pour éviter l’implosion de tout le système bancaire. Cette somme représente 10% du PIB. Comme toujours, certains tirent profit de ces situations. Ce sera le cas, en particulier, de deux groupes bancaires espagnols, le Grupo Santander et Banesco qui rachètent un certains nombres de banques en difficulté. Ce qui fera dire, non sans humour, aux Vénézuéliens : « C’est la deuxième conquête du pays par les Espagnols… »
Cette crise a pour conséquence immédiate la fuite de capitaux et une forte dévaluation du bolívar. La spirale inflationniste se poursuit allègrement. Le gouvernement Caldera se retourne vers le FMI qui bien évidemment va lui demander en échange d’un prêt, d’appliquer une politique néolibérale. Réduction draconienne des dépenses publiques et sociales, augmentation du prix de l’essence de 800% (20). En sus, le gouvernement devra procéder à des privatisations industrielles. Ces privatisations, devront toucher aussi l’industrie pétrolière. Ce qui est une chose impensable pour la plupart des Vénézuéliens, et affecte gravement l’orgueil national. Un des ministres chargé de mettre en place ces mesures d’austérité et de négocier avec le FMI n’est autre que l’ex-guérillero Teodoro Petkoff. Comme nous pouvons le constater ces mesures ne diffèrent en rien de celles qui avaient données naissance au Caracazo…
Dès sa sortie de prison, Hugo Chávez que les Vénézuéliens ne connaissent que pour l’avoir vu quelques minutes à la télévision, entame une tournée à travers le pays pour se faire connaître. Il sait que cette amnistie lui permet, s’il le désire, d’être candidat à l’élection présidentielle de 1998. Dans cette perspective, il crée le MVR, Mouvement Ve République. Mais pour avoir une chance d’être élu, il lui faut avoir tissé des liens dans tout le pays et qu’il ait expliqué quel est son programme politique. Celui-ci est simple, il veut changer la Constitution pour mettre fin au bipartisme et pour le reste il reprend l’essentiel du programme du PRV-Tercer Camino. Il dispose d’une arme redoutable, c’est un negrito qui parle comme les negritos et qui est, en outre, un formidable orateur. Au fil des mois, il prend de l’assurance et un mouvement commence à se construire autour de lui. Nombreux sont alors les militants du PRV-Tercer Camino qui, en désaccord avec Douglas Bravo, vont l’aider à devenir le candidat de toute la gauche et de l’extrême-gauche au sein du Pôle patriotique. Rapidement, il devient évident qu’il est le seul homme de gauche à avoir de bonnes chances d’être élu. Cependant, l’affaire est loin d’être gagnée. Action démocratique et COPEI, même s’ils sont totalement discrédités, disposent encore de nombreux relais qui peuvent nuire au candidat d’union qu’est Chávez.
Arrive l’année de l’élection. Une chose semble acquise, c’est que les Vénézuéliens voteront contre les candidats du bipartisme. Ils sont quatre candidats à pouvoir prétendre pouvoir jouer un rôle dans cette élection. Deux d’entre eux représentent AD et COPEI et les deux autres sont Hugo Chávez et Irene Sáez. Chávez est le candidat du Pôle patriotique. Irene Sáez n’est pas totalement une inconnue en politique puisqu’elle a été la mairesse du quartier de Chacao (21) mais, elle est surtout connue et appréciée par les Vénézuéliens pour avoir été miss Univers en 1981. Elle a créé un parti à son nom, Intégration Rénovation Nouvelle Espérance, IRENE. Ce parti, est nettement d’inspiration évangéliste. Chávez et Sáez se présentent comme étant les candidats de l’anti-bipartisme. Dès le début de la campagne électorale, dans ce pays profondément machiste, qui caracole largement en tête des sondages ? Irene Sáez. Loin derrière nous trouvons Hugo Chávez qui précède largement les candidats du bipartisme. Pendant des mois, il semble acquis qu’Irene Sáez va remporter haut la main cette élection. Mal conseillée, elle va commettre l’erreur qu’à aucun prix il ne fallait qu’elle fasse. COPEI, voyant la débandade de son candidat décide de lui apporter son soutien. Elle s’empresse de l’accepter. Pour les Vénézuéliens, ce fait leur montre de façon incontestable que c’est la solution qu’a trouvée COPEI pour continuer à se maintenir au pouvoir. Immédiatement, la quasitotalité de ceux qui s’apprêtaient à voter pour Irene Sáez reportent leurs intentions de vote sur Chávez. C’est une chute vertigineuse. Le jour de l’élection Chávez en sort vainqueur avec 56,2% des suffrages et la belle Irene n’en recueille que 2,82%… Le candidat du Pôle démocratique termine deuxième avec 39,92% et les autres candidats se partagent les voix restantes.
Tels sont les antécédents politiques et sociaux qui ont conduit Chávez au pouvoir. Chaque jour qui passe, nous voyons croître son désir d’y rester le plus longtemps possible. Nous sommes bien loin du Chávez qui, lorsqu’il modifia la Constitution en 1999, introduisit un article qui pouvait conduire un élu, quel qu’il soit, à être révoqué à mi-mandat si les électeurs n’étaient pas satisfaits par sa gestion. Pour cela, il suffit que 20% du corps électoral fasse une pétition demandant l’application du référendum révocatoire. Ensuite, pour que l’élu soit révoqué il faut que les pétionnaires recueillent un nombre de voix égal ou supérieur à ceux que l’élu avait obtenu. Chávez a dû passer, contre son gré, par cette épreuve en 2004.
Chávez, en bon politicien fait le contraire de ce qu’il dit. Plus il parle de Révolution et du socialisme du siècle XXI, plus il en est éloigné. Chávez est arrivé au pouvoir parce que le peuple vénézuélien ne voulait plus du bipartisme. En bon militaire, il l’a transformé en pouvoir personnel. Pour exercer son pouvoir, il dispose de l’émission hebdomadaire Alo Presidente. Ceux qui ont assisté à ce programme savent que c’est un véritable show médiatique que nous donne el Comandante. Ce spectacle lui permet de distribuer les bons et mauvais points. Il lui arrive, au cours de cette émission, de nommer ou de destituer des ministres, au grand ravissement des téléspectateurs. Chávez nous montre, de façon éclatante que le pouvoir est corrupteur. Il y a fort longtemps que les anarchistes savent cela…
José Tomás Boves (22)
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Notes :
1. Venezuela : La Revolución como espectáculo. Una crítica anarquista al gobierno bolivariano. Rafael Uzcátegui. Ce livre est une édition conjointe de : El Libertario, Caracas; Editorial La Cucaracha Ilustrada, Caracas; Libros de Anarres, Argentina et La Malatesta Editorial, Madrid, 2010. Edité en France sous le titre Venezuela : Révolution ou spectacle ?, éditions Spartacus, Paris 2011.
2. Le seul chef d’État à avoir gouverné plus longtemps, de façon consécutive, le pays est le général Gomez. Ce dictateur arriva au pouvoir sur un coup d’État en 1905. Il restera au pouvoir jusqu’à sa mort en 1935. Il dirigea une dictature positiviste et posa les bases du Venezuela moderne.
3. Comité d’organisation politique électorale indépendante (COPEI). Ce parti, lors de sa fondation en 1946, se compose de personnalités conservatrices et réactionnaires. Le but déclaré était de protéger le pays du communisme. Avec le temps, ce parti évolua vers une démocratie-chrétienne modérée. L’un de ses principaux leaders fut Rafael Caldera. Avec Carlos Andrés Perez, il est le seul homme politique de la IVe République à avoir par deux fois dirigé le pays (1969-1974 et 1994- 1999). Lors de son premier mandat, voyant que la guérilla ne pouvait être réduite que dans un bain de sang, il opta pour une sortie en douceur.
4. L’URD, Union démocratique et républicaine, est un parti de centre-gauche nationaliste. Il fut créé en 1945. Lors de la dictature de Perez-Jiménez, ce parti est avec COPEI toléré par le dictateur. Il faudra attendre 1957 pour qu’il rompe tout lien avec la dictature et rejoigne la Junte patriotique dont font partie AD et le PCV. Avec le retour de la démocratie un de ses principaux militants, Fabricio Ojeda, se rendra célèbre en démissionnant de son poste de député et devient guérillero. Il est le premier commandant en chef du Front de libération nationale. Le FLN est la coordination qui regroupe toutes les organisations de guérilla du pays. Il sera assassiné à Caracas en 1966 par les forces de sécurité.
5. La chute de Perez-Jimenez ne calma pas les ardeurs des militaires à vouloir continuer à gouverner le pays. Pour empêcher leur retour et légitimer la démocratie, trois partis (AD, COPEI et l’URD) décidèrent de signer un pacte. Ils se réunirent à Caracas dans la résidence de Rafael Caldera. Cette propriété avait pour nom Puntofijo. C’est en référence au nom de cette propriété que le pacte prit le nom de pacto de Punto Fijo. Ce pacte, qui peut être considéré comme fondateur de la IVe République, fut signé le 13 octobre 1958.
6. Douglas Bravo est incontestablement le guérillero vivant le plus fameux du Venezuela. Il a été militant du PCV à partir de 1946. En 1958, il est le responsable de la branche militaire du PCV. À ce titre, il coordonne avec les militants d’AD, la lutte à Caracas qui conduira au renversement de la dictature de Perez-Jiménez. Il quitte le PCV en 1964, peu avant d’en être exclut. Son départ entraînera une grave crise en son sein. Elle se conclura par la scission de ce parti. En 1966, il crée le PRV/FALN (Parti de la révolution vénézuélienne-Forces armées de libération nationale). À la mort de Fabricio Ojeda, c’est lui qui est choisi pour commander le FLN. Lorsque le PRV décide, comme toutes les organisations d’extrême-gauche, de cesser la guérilla il fonde le Mouvement Ruptura et lance le journal du même nom. Il adopte une position de principe, qu’il conservera jusqu’à aujourd’hui, c’est de refuser toutes les propositions, d’où qu’elles viennent, pour qu’il intègre la vie politique institutionnelle du pays. Cette attitude, fait qu’il est considéré, par un grand nombre de Vénézuéliens, comme une conscience politique. Depuis sa rupture en 1992 avec Chávez, le fossé entre les deux hommes n’a cessé de croître. Accusant le chef de l’État d’être un néolibéral populiste. Nombreuses sont les critiques qu’il émet à son encontre, et que nous retrouvons dans le livre de Rafael Uzcátegui.
7. Caracazo est le nom donné pour parler du soulèvement populaire et spontané de 1989. Ce nom, est en fait une référence au soulèvement de Bogota en 1948. Ce soulèvement, lui aussi spontané, se produisit après l’assassinat du leader libéral Jorge Eliézer Gaitán. Il fit plusieurs milliers de morts, et entra dans l’histoire de la Colombie sous le nom de Bogotazo. C’est peu après le Bogotazo, que les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) virent le jour.
8. Les Barrios sont les quartiers pauvres des grandes villes vénézuéliennes, et sont généralement situés à leur périphérie. C’est l’équivalent des favelas du Brésil. C’est dans ces quartiers que vivent les negritos et que Chávez trouve un très large soutien.
9. Negritos, est le nom qui est donné, par les blancs, aux métis à dominante noire. C’est l’immense majorité de la population du pays. Ce sont surtout des pauvres. Chávez, contrairement à tous les hommes politiques qui l’ont précédé, est issu de cette catégorie sociale. Cette origine, fait que les negritos reconnaissent en lui l’un des leurs. Les discours démagogiques qu’il leur tient les amusent beaucoup. Contrairement aux apparences, bien souvent ils savent que ce ne sont que de belles histoires. Qu’il raconte plusieurs versions d’un même fait ne le dérange guère. Ils ont simplement envie d’écouter Chávez qui est un excellent conteur.
10. La Confédération des travailleurs vénézuéliens est le premier syndicat du pays. Elle est née en 1937 d’un regroupement de syndicats et prend pour nom Confédération vénézuélienne des travailleurs (CVT). En 1947, elle prend le nom actuel de CTV. Ce syndicalisme de cogestion a pu se développer grâce au soutien qu’il a apporté au bipartisme. Malgré son implication dans la tentative de coup d’État de 1992, le gouvernement de Chávez n’a pu réduire son influence.
11. FEDECÁRAMAS est le syndicat patronal, l’équivalent du Medef français. Fondée en 1944, cette organisation patronale se compose de 13 branches professionnelles, couvrant tous les secteurs de l’industrie et du commerce du pays. Lors du coup d’État d’avril 2002, FEDECÁRAMAS et la CTV s’allièrent pour mettre fin à la présidence de Hugo Chávez. Pedro Carmona Estanga qui était alors le président de FEDECÁRAMAS devint, pendant 48 heures le président de la République. Après l’échec du coup d’État, il s’enfuit en Colombie. Le président colombien qui avait soutenu le coup d’État, lui accorda sans problème l’asile politique. Le président de la CTV était, à l’époque de ces faits, Carlo Ortega. À cause de son rôle dans le coup d’État, il dut lui aussi prendre le chemin de l’exil. Il obtint l’asile politique au Pérou. Malgré l’échec du putsch et la fuite de leurs présidents, ces deux organisations, ne désarmèrent pas. Ils organisèrent, en décembre de la même année, la grève du secteur pétrolier. Le pays fut paralysé pendant plusieurs mois.
12. Pendant que nous écrivions cet article, Hugo Chávez fut contraint, une nouvelle fois à procéder à une énième dévaluation. Il avait procédé en 2008, comme l’avait en son temps le général de Gaulle, à une réévaluation de la monnaie. Passant du bolívar au bolívar fort (Bs.F.). Le Bs.F., valant 1.000 bolívars anciens. Le cours officiel du dollar à la création du bolívar fort était de 2,5 Bs.F., soit 2.500 bolívars anciens. Mais comment faire pour que cette dévaluation ne soit pas perçue pour ce qu’elle était ? Ce qui, pour n’importe quel chef d’État serait un véritable casse-tête ne l’est pas forcément pour Chávez. En fin connaisseur de l’histoire de son pays, il se souvint que jusqu’au vendredi noir, le dollar valait 4,30 bolívars. Avec cette réévaluation, il voulait que les Vénézuéliens croient que le bolívar avait cessé de chuter. Mieux encore ! En choisissant un taux de change supérieur à celui d’avant el Viernes negro, il espérait donner l’illusion d’un renouveau du bolívar. Une fois de plus, le remède n’apporta pas la guérison tant espérée et le gouvernement fut contraint de dévaluer la monnaie.
13. La Constitution de la IVe République, pour éviter à la permanence du pouvoir le même chef d’État pendant plusieurs mandats consécutifs, établit que le président sortant devrait attendre deux quinquennats pour pouvoir se représenter. Cette mesure partant d’un bon principe produisit un effet pervers. Les présidents et leurs alliés ne disposaient que de cinq ans pour construire leur fortune. Cette période était pour eux le temps des moissons… Carlos Andrés Perez attendra les deux fatidiques mandats pour revenir à la magistrature suprême et pour Rafael Caldera ce sera bien plus long, puisque vingt années se seront écoulées avant qu’il ne redevienne président de la République pour la seconde fois.
14. Le Barrio 23 de enero, doit son nom à la participation massive de ses habitants dans les manifestations de janvier 1958 qui conduisirent à la chute de la dictature de Perez-Jiménez. Ensuite, ce fut un des bastions du PCV et les guérilleros y trouvaient facilement refuge. Aujourd’hui c’est un des bastions les plus importants du chávisme à Caracas.
15. Bandera Roja, était à son origine en 1970 un groupe de guérilla né de la scission du MIR. À l’origine, ses positions politiques sont d’un marxisme-léninisme des plus doctrinaires. Ce parti était un fidèle défenseur de la politique albanaise élaborée par Enver Hojda. Devenu par la suite un parti légal, il connaîtra de multiples scissions. Dès l’arrivée de Chávez sur la scène politique, il n’a cessé de le combattre en l’accusant d’être un social-traître. Cette ligne politique le conduira à faire alliance avec des candidats de la droite vénézuélienne.
16. Il semble que les 2.000 soldats, qui composaient le gros des forces de Chávez, n’étaient pas tous de véritables mutins. Selon certaines des sources militaires, ils auraient été manipulés. Ce qui paraît confirmer cette information, c’est le manque de détermination que ces soldats auraient eu pendant les combats autour du palais de Miraflores, la présidence de la République.
17. Pendant toute sa période de guérillero, Douglas Bravo ne fut jamais arrêté. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Carlos Andrés Perez, qui livra une guerre sans merci aux guérilleros, tenait absolument à mettre la tête de Douglas Bravo à son tableau de chasse. Il se répandait en déclarations en ce sens dans la presse. De là, naquit entre les deux hommes une profonde inimitié. Il est savoureux de voir que lorsque Douglas Bravo fut arrêté, ce fut par son ennemi juré. Cependant, trente ans s’étaient écoulés depuis l’époque de la guérilla et la situation était bien différente. Carlos Andrés Perez oubliant sa promesse, fit que le vieux révolutionnaire eut droit à une détention de chef d’État, identique à celle que lui-même aurait quelques mois plus tard…
18. Ramón J. Velásquez, avocat de formation fut un adversaire déterminé de la dictature de Pèrez-Jimenez. Ce qui le conduisit à passer plusieurs années en prison. En 1958, après la chute du dictateur, il fut libéré et exerça le métier de journaliste. Il devint le directeur du journal El Mundo. Ensuite, il se lança dans la carrière politique et fut élu à plusieurs reprises député avant de devenir sénateur. Il fut élu président de la République par intérim par le Congrès, après la destitution de Carlos Andrés Perez. Son mandat fut secoué par le début du krach du système bancaire vénézuélien.
19. Teodoro Petkoff, adhéra dès sa jeunesse au PCV. Par la suite, il le quitta et passa à la guérilla. Plusieurs fois arrêté, il est finalement libéré en 1969 par le gouvernement de Rafael Caldera. Il fonde en 1971 son parti le MAS. Il est élu plusieurs fois député et est le candidat à la présidence de la République de ce parti. Lors de l’élection présidentielle de 1993, il décide d’apporter son soutien à Rafael Caldera. Une fois élu, celui-ci l’intègre dans son équipe et lui donne le portefeuille de Cordiplan. Ministère chargé de négocier avec le FMI les mesures néolibérales devant permettre au pays de recevoir un prêt de cet organisme. Dès l’élection de Chávez, il devient un de ses plus farouches opposants. Aujourd’hui, s’il n’est plus membre d’aucun parti politique, il n’en continue pas moins à faire de la politique. C’est grâce à son métier de journaliste qu’il peut continuer à en faire. Les différends titres qu’il a dirigés sont des tribunes néolibérales. Tous ont comme objectif de combattre la politique menée par Chávez.
20. L’essence au Venezuela a toujours été très bon marché. Aujourd’hui encore, Chávez continue d’appliquer, en cette matière comme dans beaucoup d’autres, la même politique que ses prédécesseurs. L’unité de mesure de la vente de l’essence est le gallon américain (3,785 litres). Le prix actuel du gallon est de 12 centimes de dollar ce qui fait que le pays est, pour ce produit, le moins cher au monde. Ce faible coût du carburant est à l’origine d’une importante contrebande vers les pays limitrophes.
21. Irene Sáez, après son titre de miss Univers, a suivi des études en sciences politiques. Cependant, c’est grâce à ses différents titres de beauté qu’elle deviendra mairesse de Chacao à la fin des années 1980. Son discours sécuritaire, reprenant le modèle californien trouve un écho favorable dans la population de ce petit quartier de Caracas, qui se compose essentiellement d’émigrants européens faisant partie de la classe moyenne. Rapidement, Chacao va devenir un des bastions de l’anti-chávisme.
22. José Tomás Boves fut, pendant la guerre d’indépendance du Venezuela, un adversaire impitoyable de l’oligarchie et de Simón Bolívar qui en faisait partie. Ce fut le premier cacique populaire de l’histoire du Venezuela. Il conduisit une rébellion qui mit en déroute les forces républicaines conduites par le Libertador. Il fut tué le 5 décembre 1814 à la bataille de Urica. Sa mort, sonna le glas de ce mouvement populaire. Le programme de Boves était d’une redoutable simplicité : « Il faut tuer tous les blancs propriétaires terriens. » Joignant le geste à la parole, nombreux furent les propriétaires qui périrent sous les coups des lances de ses soldats. Avec la mort des propriétaires, les esclaves étaient automatiquement libres. L’armée de Boves se composait pour l’essentiel, de blancs pauvres, d’anciens esclaves et d’indiens. Pour ceux qui sont intéressés par la guerre d’indépendance du Venezuela et qui lisent l’espagnol, nous ne pouvons que leur conseiller de lire l’ouvrage de l’historien vénézuélien Juan Uslar Pietri : Historia de la rebelión popular de 1814. Contribución al estudio de la historia de Venezuela écrit en 1946 ; ainsi que le roman de l’écrivain vénézuélien, Francisco Herrera Luque : Boves el Urogallo écrit en 1972. Ces deux ouvrages nous content une histoire des guerres d’indépendance du Venezuela différente de celle que veut bien nous raconter Hugo Chávez.