Une mauvaise année et la persistance de l’espoir
L’année qui s’est achevée le lundi 31 décembre, selon le calendrier occidental, n’a pas été très heureuse pour l’intelligence, le débat ou la libre expression des différences inévitablement existantes parmi les visions et les aspirations des Cubains. Plus précisément, plusieurs blogs de grande valeure ont du cesser d’exister en cette fin d’année en raison de la censure.
Je m’excuse si je ne peux pas m’étendre sur les différentes manifestations de répression sous d’autres latitudes. Je ne vis pas et je ne connais pas la situation d’autres pays, de même que je ne peux aborder ou tenter d’améliorer depuis Cuba ce qui se passe là-bas, il ne me servirait pas de réconfort de penser que leur situation est pire que la notre. Ce que je connais de mon pays me fait mal et c’est pour trouver un remède que je prends la parole.
Je fais une exception, je vais exclure de cette analyse la question des groupes cubains qui ont des liens avec les agences du gouvernement américain. Je suis intéressé par ce que nous faisons ici, par notre propre volonté, guidés par les authentiques idéaux de la nation, nous qui sommes de gauche et anti-capitalistes. Nous sommes en total contradiction avec cette puissance voisine qui renouvelle périodiquement ses attaques pour saper notre indépendance. Cela n’empêchera pas quiconque de faire son propre résumé sur les aspects qui le préoccupe.
Le printemps 2012 a débuté par une réunion de blogueurs de tout le pays, initiative intéressante mais éclipsé par le manque de clarté des critères utilisés pour sélectionner les invités. Les organisateurs du BlogazoxCuba organisateurs, le collectif de Matanzas La Joven Cuba, ont attribué l’étiquette révolutionnaire à discrétion, ils ont fait en sorte de mettre en évidence uniquement les blogs politiquement corrects et intégrés au système, ceux qui sont connus pour être officialistes et ils ont laissé de côté ceux qui pouvaient apporter une richesse conceptuelle et des contenus proposant d’autres voies vers un socialisme démocratique et vers la participation populaire. Les tiraillements se sont vite manifestés et les hostilités se sont reflétées dans les journaux des différents espaces.
Les blogs regroupés sous le parapluie officialiste ont, selon la tradition, continué à utiliser les armes de l’accusation en remettant en question les autres blogs pour des postures diversionnistes et en les accusant d’être manipulés par un ennemi dont ils serviraient les intérêts. L’unique pensée pertinente, selon le parti communiste, semble être celle qui suit les canaux établis, dans un temps et dans des espaces imposés, en s’écartant soigneusement de tout questionnement concernant les dirigeants historiques, et de préférence en ne blâmant que ceux qui se trouvent de l’autre côté du détroit de Floride, pendant que l’on glorifie la politique menée par nos dirigeants. Du côté alternatif, on a critiqué cette vision manichéenne du bien et du mal, de la duplicité dans le fait de défendre inconditionnellement la politique actuelle qui se révèle être en contradiction avec les idéaux sociaux soutenus autrefois, voir même opposés aux politiques défendues avec le même enthousiasme acritique au cours des années précédentes.
Un point tragi-comique dans cette histoire est ce qu’il y a de discutable dans sa transcendance. La portée négligeable d’Internet dans notre pays exclut une majorité écrasante de la population de ces débats, il produit son impact le plus important à travers la diffusion auprès des élites intellectuelles, malgré la surveillance des autorités gouvernementales et par l’écho suscité dans les milieux internationaux intéressés par notre pays, que ce soit à travers les immigrants cubains, les collectifs solidaires avec Cuba et à travers le regard attentif de consortiums troubles peu enclins à nous souhaiter de bonnes choses.
Les mois d’été ont apporté les plus grandes inquiétudes. Le collectif Jeune Cuba est devenu un fardeau excessif pour le système, et il a subi une flagellation brutale. Ils n’ont jamais eu le courage de dénoncer clairement les détails de leur défenestration, mais il en ressort suffisamment d’éléments pour nous permettre d’avoir une idée précise : des réunions avec des hauts fonctionnaires, des coups de poings sur la table, des mises en doute de leur statut en tant que révolutionnaires, des accusations de faire le jeu de l’ennemi, des menaces évidentes de les licencier de leur travail en tant que professeurs de l’Université de Matanzas, etc.
Nous avons besoin d’introduire ici quelques détails importants. Le blog La Jeune Cuba ne surgit pas, à la différence des textes d’autres salariés de la pensée officielle, d’une orientation imposée par les niveaux supérieurs, avec des facilités offertes avec l’objectif de créer des connexions et des possibilités de navigation, des stimulants avec des objectifs à atteindre en plus. Ces jeunes fans de Antonio Guiteras se sont jetés dans l’eau de la rivière Morrillo de leur propre initiative et sans gilets de sauvetage, et ils ont utilisé pour cela les possibilités très limitées de connection qui existaient dans leur centre de travail. De fait, l’entreprise navigua dans des eaux interdites depuis le départ, même si, les autorités, moyennement satisfaites, avaient choisi de ne pas intervenir. Le détail qui a aidé La Joven Cuba a été de manifester intensément et de façon fréquente ses affinités avec la conduite politique de l’État. Mais il semble aussi qu’il partait d’une motivation légitime, authentique, d’une préoccupation sociale et nationale. À partir de là, ils produirent du matériel de réflexion et provoquèrent des discussions d’un grand intérêt, avec un contenu critique et des exigences militantes contre les maux bureaucratiques et autoritaires existants. Ces deux (ou trois) animateurs du blog, en s’exprimant spontanément (avec les ressources de l’Université) et en émettant quelques critiques avec sérieux, décrétèrent la fin de leur romance avec les autorités. Le fait de revendiquer leurs sympathie pour le système ne leur a servi à rien et le fait que la majorité des invités à leur réunion de bloggeurs révolutionnaires leur ait tourné le dos a été également très frustrant pour eux.
Avant de tirer des conclusions pertinentes, nous devons observer d’autres faits. Elaine Díaz, l’une des voix les plus reconnaissables de la blogosphère cubaine, a annoncé de manière subite la fin de son activité, avec une argumentation qui ne convainc pas tout le monde, pour se concentrer sur son développement professionnel. Ceux qui ne connaissent pas cette femme courageuse, ne peuvent guère imaginer l’intensité de la pression à laquelle elle a été soumise, les menaces et les réunions où cette pression a été manifestée. Elaine Díaz a montré sa volonté de protéger sa communauté agressée contre les excès bureaucratiques, de convoquer des actions de défense de la volonté et de l’intérêt populaire, de dénoncer les accapareurs des télécommunications à Cuba et d’autres péchés de gravité similaire. Il convient également de considérer que Díaz a toujours répudié toute tentative de manipulation contre-révolutionnaire et que son blog tentait de maintenir ouverts les canaux établis par le gouvernement.
Le déclin de Bloggers Cuba a commencé en 2012. Les écrits récents et isolés, publiés sur ce site autrefois prospère, n’ont fait que confirmer son malheur. C’était alors un autre collectif que celui qui pendant pendant années a donné vie à un espace joyeux, dynamique, informatif et varié, sans concessions à l’officialisme manichéen, ni complaisance vis-à-vis d’une dissidence sans prestige. Après lui avoir permis d’avoir la possibilité de naviguer entre deux eaux, les autorités ont porté des coups successifs, séparément, à plusieurs des membres du collectif, et celui-ci n’a pas résisté à la pression, au point que le nom de domaine du blog a été perdu.
Elaine Díaz, justement, était l’une des principales voix de BloggersCuba. Sandra Álvarez aussi, et son blog personnel portait le titre provocateur de Noire cubaine je devais être. Dans cet espace, l’auteure fustigeait les méfaits de la discrimination contre les femmes, le racisme et l’homophobie agissant dans la société et les institutions cubaines. Ce n’est pas un secret pour personne, Álvarez a également subi des pressions et des interrogatoires intenses par les agents de l’État, qui jusqu’à présent n’avaient pas réussi à étouffer cette voix puissante et courageuse.
Je laisse pour la fin le blog de l’Observatoire critique, dont j’ai l’honneur de faire partie, et qui a eu à mener un dur combat sous les salves officialistes de ceux qui nous accusent de toute une série de péchés. Les conséquences ont été payés par plusieurs membres de notre réseau en perdant leurs postes de travail ou par d’autres membres qui se trouvent sous la menace constante de se retrouver au chômage.
Une fois ce compte-rendu effectué, je poserai deux questions. Pourquoi les jeunes, appelés à jouer des rôles de premier plan dans tout processus révolutionnaire, qui devraient exaltés par le cri du guevarien Homme nouveau, pourquoi ces jeunes sont décapites lors de toute tentative d’aller au-delà du rôle qu’on leur assigne pour obéir ? Quels sont les messages qui sont très clairement émis à travers ces événements ? De toute évidence, le pouvoir n’est pas prêt à permettre de nouvelles expressions, toute voix nouvelle, spontanée, qui osera juger les politiques de la bureaucratie dominante, est en danger et subira la censure au moment opportun. Il n’y aura aucune tolérance pour le débat ouvert, l’analyse honnête des idées diverses, même dans le champ des courants politiques qui respectent les idéaux socialistes et les défendent sous divers points de vue. L’unité monolithique et l’obéissance à la classe bureaucratique dirigeante restera la seule norme acceptable. La clameur de Lagarde, d’Ubieta, de qui se cache derrière le pseudonyme de Yohandry, de Ángel Hernández, Noel Manzanares Blanco et le reste de la troupe des bloggeurs à la solde du pouvoir se manifeste tout d’abord contre toute note discordante, puis ensuite, si ceux qui résiste persistent, tomberont les représailles sur le lieu de travail, le lieu d’études, le harcèlement, les coupures de connexion ou le licenciement pur et simple dans un pays où l’État reste la seule option pour travailler et pour exercer une profession de type universitaire.
Dans ce contexte, les propos du général en chef Raúl Castro sur le respect des désaccords et des différences honnêtes concernant les idéaux sociaux ne sont pas prêts de prospérer. Néanmoins, nous existerons toujours, nous qui croyons que la jeunesse générera éternellement de nouvelles voix et de nouveaux projets, des collectifs et des espaces d’idées et de débats, avec de fortes convictions sociales et des valeurs révolutionnaires et démocratiques de la meilleure souche et qui, même si elles sont écrasées une et autre fois, alimenteront continuellement la renaissance de l’espoir.
Rogelio M. Díaz Moreno
Traduction de Daniel Pinós
_________________
Lire le texte en espagnol sur le site de l’Observatoire critique :
Les sites dont il est question dans cet article :
http://lajovencuba.wordpress.com/
http://negracubanateniaqueser.wordpress.com/