Nous sommes dans l’île de la liberté
La tradition libertaire à Cuba a été sauvegardé – en plein XXIe siècle -, par une génération de jeunes qui a survécu au naufrage de la révolution des humbles. [Durant les années 60, Cuba fut baptisé l'Île de la liberté ou le Pays du sourire.] Le naufrage de cette révolution est la conséquence de l’instauration d’un État ouvrier dans les années 1970-1980.
La trahison de cette révolution passée aux mains des staliniens (du Parti socialiste populaire) a facilité l’intégration de la nation à l’empire soviétique. Mais cette résurgence de la tradition libertaire n’est pas du au hasard, car celle-ci a des racines profondes à Cuba. [Nous situons son point de départ dans la société coloniale du XVIIe siècle. (Nous parlons de la sauvegarde des libertés et des droits communautaires de la période de la Reconquête en Espagne, désormais entre les mains des créoles.)] Lorsque l’île fut abandonnée à son sort, fleurirent alors les cabildos (1). Lorsque l’État ouvriériste fait naufrage, refait surface parmi les Cubains la tradition libertaire.
Parce que cette tradition est contenue dans le magma populaire. Les forces de la réaction ont essayé d’étouffer le feu de la rébellion. Ce fut l’histoire du XXe siècle : caudillisme, populisme ou fidelisme. Peu importe. Cette tradition a resurgi instantanément mille fois au cours de la longue marche vers la liberté.
Tous les orthodoxies ont fait référence à la liberté : des indépendantistes aux communistes… [en incluant les libéraux et les populistes.] La liberté s’est développée avec les capacité anthropophagiques et culturelles du peuple et elle a toujours été repoussée jusqu’à ces derniers retranchements. Dans l’histoire de Cuba, les martyrs de la tradition libertaire - depuis Aponte (2) jusqu’à Guiteras (3) – ont été l’expression du sentiment populaire. [Cela explique cette réalité vécue entre Cubains : parce qu'être libertaire est plus qu'être anarchiste. (Nous qui avons fondé l'Atelier libertaire Alfredo López, nous luttons pour une refonte du socialisme qui sera un jour libertaire.)] Le fond émotionnel de la dissidence (ou le mal être populaire) est peut-être l’expression de cet esprit libertaire qui bout au fond du chaudron.
Nous comptons dans cette bataille sur la force de la tempête qui fit nauvrager le régime étatiste. Le modèle de l’homme de masse qui a été institué dans le processus a endommagé l’auto-estime de millions de Cubains. La réaction pendulaire, jusqu’à l’épuisement, du socialisme étatiste et autoritaire bascule vers la récupération de l’intégrité et de la plénitude de personnes. [En effet, rien n'est plus dramatique à Cuba que de reconstruire un projet de vie individuel et collectif.]
L’alternative offerte par les libertaires est fondée sur une individuation désintéressée (sinon altruiste) pour libérer le potentiel de créativité populaire. En ce sens, le trait qui distingue les libertaires à l’intérieur de la gauche à Cuba parle de l’absolu priorité que les libertaires donne à la lutte contre l’aliénation. (Il ne s’agit pas de parvenir au développement, mais de quel type de développement nous voulons atteindre.) La lutte des libertaires à Cuba est contre la pauvreté, l’écocide, l’homophobie, le racisme, l’exclusion et l’élitisme qui définissent l’ancien régime.
Ramón García Guerra
http://observatoriocriticodesdecuba.wordpress.com/
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(1) Un cabildo était un conseil d’administration coloniale qui régissait une municipalité à l’époque de l’Empire espagnol.
(2) José Antonio Aponte était l’organisateur d’un projet d’insurrection abolitionniste à La Havane à Cuba, prévue pour le 5 janvier 1812, la première révolte d’esclaves de l’île, une quinzaine d’années après l’arrivée esclaves noirs et mulâtres amenés par les réfugiés français de Saint-Domingue à Cuba. Il fut décapité et sa tête, comme celle d’autres meneurs exhibée dans les lieux publics.
(3) Antonio Guteras Holmes fut un leader révolutionnaire cubain qui participa à la révolution de 1930. Sa pensée libératrice et anti-impérialiste, et son activisme firent de lui un révolutionnaire très respecté. Il fut assassiné en 1035 par les troupes de Batista.
La photo qui illustre cet article est un portrait du journaliste et anarchiste Marcelo Salinas, né en 1889 à La Havane, il est mort en exil aux États-Unis en 1967.