Cuba minimise la réélection d’Obama, pour justifier le verrouillage politique
Le quotidien Granma, « organe officiel du comité central du Parti communiste de Cuba », ne consacre pas la manchette de ce mercredi à la réélection de Barack Obama, mais à la visite du ministre russe de l’industrie et du commerce au général Raul Castro, à La Havane. Le résultat de l’élection présidentielle aux Etats-Unis arrive en quatrième position et se trouve relégué en page intérieure.
Même chose dans Juventud Rebelde, moins guindé que le journal « officiel ». La presse cubaine annonce tout de même une émission de « Mesa Redonda », mercredi soir, consacrée à l’élection américaine. Contrairement à ce que laisserait supposer son titre, « Table ronde » n’est pas un programme où les téléspectateurs pourraient assister à des échanges entre différents points de vue, mais un temple de la pensée unique et de l’agit-prop.
Le fils de Raul Castro, le colonel Alejandro Castro Espin, avait donné le la, à Moscou, sur la chaîne Russia Today, à la veille du scrutin.
A son avis, les conditions qui régnaient il y a cinquante ans, à l’apogée de la guerre froide, lors de la crise des missiles russes découverts à Cuba, n’ont pas vraiment changé.
Washington manipulerait les dissidents cubains pour justifier une invasion de l’île, selon le scénario libyen. De ce point de vue, les différences entre Barack Obama et Mitt Romney sont « minimes ». La victoire de l’un ou de l’autre ne modifieraient pas la diplomatie des Etats-Unis. Comme on disait jadis, « blanc bonnet, bonnet blanc ».
C’est un tel raisonnement, qui s’apparente à un déni de réalité, qui explique la réaction des médias cubains. D’autant plus curieuse que le scrutin en Floride a montré la mutation de la communauté cubaine de l’exil. Le démocrate Joe Garcia a été élu à la Chambre des représentants à la place du républicain David Rivera.
Ces deux hommes incarnaient des positions différentes, qui divisent les institutions cubano-américaines de Miami. Joe Garcia est en phase avec les nouvelles générations d’immigrés cubains, en rupture avec l’exil historique, de plus en plus isolé dans sa défense intransigeante de l’embargo américain contre La Havane. L’évolution du vote en Floride montre aussi que le noyau d’origine cubaine, naguère attaché aux républicains, est désormais dilué dans un conglomérat latino plus vaste et hétérogène, aux provenances nationales diverses.
Le second mandat d’Obama et le poids des Latinos devraient favoriser la détente entre Washington et La Havane. A l’évidence, une partie du pouvoir cubain mise sur une telle normalisation. Ainsi, l’élargissement du port de Mariel et la création d’une zone franche sur la côte cubaine sont stratégiquement liés à la perspective d’échanges fluides avec les Etats-Unis, et donc à une levée de l’embargo. Or, Mariel est le plus important investissement en cours à Cuba, avec l’aide du Brésil.
Cependant, à La Havane, d’autres secteurs, très bien représentés dans les médias et la Sécurité de l’Etat, ont fait de l’affrontement avec Washington la raison de leur perduration, après plus d’un demi-siècle. Colonel au ministère de l’intérieur, Alejandro Castro Espin justifie par ses positions le maintien d’un verrouillage politique, au risque de freiner ou de compromettre l’ouverture économique.
Le schéma cubain fait des émules ailleurs. Au Venezuela, le site pro-gouvernemental Aporrea a trouvé la formule la plus percutante : « La bonne nouvelle est que Romney a perdu ; la mauvaise nouvelle est qu’Obama a vaincu. »