A Cuba, le castrisme entre totalitarisme, autoritarisme et populisme

Quelle est la nature du régime implanté par Fidel Castro à Cuba, il y a plus d’un demi-siècle ? Est-ce une variante tropicale du totalitarisme ? Ou bien une forme d’autoritarisme ? Faut-il plutôt le rattacher à la tradition populiste en Amérique latine ?

Ce débat récurrent a rebondi lors d’une soutenance de thèse de doctorat à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, le 29 octobre. Les thèses sur Cuba sont extrêmement rares en France. L’auteur de celle discutée à cette occasion s’appelle Vincent Bloch. Son titre : “Le joug de la lucha : L’ancrage socio-historique du régime castriste (de 1959 à nos jours)”.

A Cuba, une bonne partie des dissidents caractérisent le régime comme totalitaire. Dans les sphères académiques, en Europe ou aux Etats-Unis, la question est loin de faire l’unanimité.

D’autant qu’elle a des enjeux diplomatiques et économiques qui dépassent les spéculations universitaires : si le régime totalitaire a entamé une transition vers un régime autoritaire, il devient plus fréquentable et donc les sanctions ou pressions n’ont plus de raison d’être.

L’alliance entre Fidel Castro et l’Union soviétique, l’intégration de Cuba dans le système économique du Comecon (organisation du bloc communiste, dissoute en 1991), le décalque de la Constitution cubaine sur celle de l’URSS, ont amené à privilégier le totalitarisme comme matrice pour l’analyse du castrisme, sans pour autant faire l’impasse sur les différences.

L’identification du castrisme avec le communisme a fait perdre de vue ses liens avec le populisme latino-américain. Le getulisme ou varguisme (Getulio Vargas) au Brésil, le nationalisme mexicain, avec notamment le général Lazaro Cardenas, le péronisme en Argentine (à partir des premières présidences du général Juan Peron), sont des expériences auxquelles ont peut rattacher le Cubain Eduardo Chibas, mentor de Fidel Castro, dont l’exil au Mexique a laissé des traces.

Stratégie de survie dans le socialisme castriste

Cependant, le cœur de la thèse de Vincent Bloch se situe ailleurs. Il part de l’analyse de la « lucha » (lutte), devenu un terme polysémique de l’argot cubain, qui désigne la débrouille, les stratégies de survie à travers les mailles du socialisme castriste.

« La lutte est la réponse à une contrainte qui ne peut être écartée en pratique, et à laquelle il faut s’accommoder et faire face dans la durée, écrit Vincent Bloch. La lutte soumet à son joug ceux qu’elle étreint : ses protagonistes acceptent l’état d’indécision chronique, et la limite consistant à n’agir qu’à la marge du possible. »

« En ce sens, la lutte est ce qui reste du projet totalitaire cubain, une fois que les dirigeants ont accepté le fait que son idéal, transformer la société en communauté conquérante, épurée et indivisible, au sein de laquelle “l’homme est réduit à une identité immuable d’action et de réactions”, est hors d’atteinte à court ou moyen terme. »

« Mais elle est aussi la modalité à travers laquelle la société et les individus se sont adaptés à un ensemble de règles et à un sens de la réalité dont ils acceptent la fatalité, ce dès lors qu’ils parviennent à habiter l’espace social. Pour cela, ils s’attachent perpétuellement à créer et à préserver des routines disparates. Celles-ci, tout en s’écartant de la légalité socialiste et de la pureté idéologique de “l’homme nouveau”, intègrent les attentes normatives des dirigeants. »

En attendant la publication du travail de Vincent Bloch, on peut lire la thèse de Marie-Laure Geoffray, Contester à Cuba (Dalloz, 340 pages, 50 euros), qui résume le débat sur la nature du castrisme et étudie trois collectifs de jeunes artistes et intellectuels contestataires : les rappeurs, Omni Zona Franca et l’Observatoire critique.

Paulo A. Paranagua

Blog Amériques du  ”Monde” du 31 octobre 2012

________________

Pour une illustration photos :

http://mathieurouillard.blog.lemonde.fr/2012/10/31/cuba-details-quotidiens-pour-differences-mondiales/#xtor=RSS-32280322


Enrique   |  Analyse, Histoire, Politique, Société   |  11 2nd, 2012    |