Religion : le chemin accidenté de l’église catholique
L’Église Catholique a débarqué à Cuba en 1511 avec la colonisation espagnole. À côté des conquérants, quatre moines ont traversé l’île lors des expéditions qui ont scellé la domination de l’Espagne. « Sur le même chemin la croix et l’épée, et une soif insatiable d’or dans le cœur [...] », comme l’a écrit le père Bartolomé de las Casas, défenseur des populations aborigènes exterminées.
Cette contradiction a marqué l’existence du catholicisme dans ce pays caribéen. L’Église a survécu à la fin d’un empire, à la décadence d’une république et aux contradictions d’un système socialiste ; elle n’est jamais restée au-dessus de la mêlée, mais elle est plongée dans les cinq siècles d’une histoire nationale agitée.
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À la droite des rois d’Espagne
L’Église a accompagné les troupes du conquérant Diego Velázquez et elle a établi le premier évêché dans la ville de Nuestra Señora de la Asunción de Baracoa en 1518. La première messe avait eu lieu bien avant, le 13 juillet 1494, dans la région de Jatibonico, l’actuelle province de Sancti Spíritus, en présence de l’Amiral Christophe Colomb.
À l’abri du Real Patronato, qui plaçait ses affaires sous l’égide des rois d’Espagne, elle a crû continuellement durant trois siècles, au point de posséder un tiers de la richesse nationale.
« L’œuvre évangélisatrice de l’Église de cette époque est à nuancer. En rapport aux esclaves noirs, dans la majorité des cas, l’évangélisation a été précaire. Leur catéchisation et leur baptême obéissait plus à une démarche formelle qu’à un désir sincère de les convertir, car il existait une peine d’excommunication pour ceux qui apportaient des esclaves non baptisés », a reconnu le document final de la Rencontre Nationale Ecclésiale Cubaine (ENEC) en 1986.
En pratique, le clergé, qui avait béni l’extermination de milliers d’indigènes et le travail inhumain, a ensuite approuvé et profité de la soumission forcée de millions d’hommes et de femmes arrachés d’Afrique et de leurs descendants.
Plongés dans une société coloniale où la corruption était quotidienne, certains représentants de l’Église étaient plus préoccupés par les plaisirs terrestres que par le salut de leurs âmes. Un synode diocésain, convoqué par l’évêque de Santiago de Cuba, Gabriel Vera Calderón (1621-1676), a interdit aux prêtres des coutumes comme porter des armes ou réaliser des bals publics dans les temples. Toutefois, les tentatives de discipliner le clergé, entreprises par le gouvernement ou l’Épiscopat, ont plusieurs fois échoué.
Pendant les deux guerres d’indépendance, celle des Dix Ans (1868-1878) et la Guerre du 95 (1895-1898), la haute hiérarchie catholique, dominée par des prélats d’origine espagnole, s’est placée à côté des autorités coloniales. Elle s’est alors éloignée davantage de la majorité de la population cubaine, sympathisante de la cause séparatiste.
L’évêque de La Havane, Manuel Santander y Frutos (1835-1907), qui qualifiait les troupes insurgées de « fléau de Dieu », en est arrivé au point de conseiller qu’on remette les temples à l’armée espagnole pour les utiliser à défendre les communes.
Santander fût ami du capitaine général Valériano Weyler, qui est célèbre pour son ordonnance de Reconcentración, par laquelle la population cubaine a été décimée : elle était concentrée dans des villages sans la moindre condition de subsistance.
Cet évêque a fait chanter le Te Deum d’action de grâce pour la mort de José Martí (1853-1895), le Héros National de Cuba, et d’Antonio Maceo (1845-1896), le second général de plus haut rang de l’Armée Libératrice.
Pour sa part, le Saint-Siège a approuvé les efforts de la Péninsule ibérique pour maintenir sa domination sur Cuba. En septembre 1896, dans un message aux militaires espagnols qui embarquaient vers l’île, le Pape les a exhorté à « […] combattre contre les ennemis d’Espagne, contre les noirs et les mulâtres comme contre les blancs et les créoles, contre les ingrats de la mère patrie qui, abusant de la liberté qu’on leur a accordé, lui font une guerre cruelle. » Et plus tard il affirmait : « Vous allez soutenir une guerre sainte parce que les insurgés détruisent les églises, empêchent le culte divin et tuent nos fidèles. »
Toutefois, quelques prêtres cubains ont soutenu l’indépendance du pays et ils ont parfois questionné le rôle de leurs supérieurs espagnols, au prix de leur vie. Le 30 septembre 1898, peu avant la fin de la lutte, un groupe de 52 ecclésiastiques a publié le Manifeste du Clergé cubain natif, dans lequel ils ont exprimé leur soutien à la séparation de l’Espagne. Ils ont manifesté leur inquiétude quant à la disparition du catholicisme dans la société cubaine.
« Le clergé Natif a eu la même raison que le Peuple Cubain pour se lever en armes ; pour ne plus jamais vouloir dépendre du Clergé Espagnol », assurait le texte.
Comme le signale le dit document de l’ENEC : « […] une Église qui ne répondait pas aux valeurs profondes ni aux inquiétudes réelles du peuple ne pouvait pas être un signe efficace ni un instrument d’appui suffisant pour l’évangélisation. »
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La lumière de l’Évêque Espada et de Félix Varela
Le premier a introduit d’importantes réformes dans la vie quotidienne de la colonie et a appuyé les institutions culturelles les plus avancées de son temps. Il a construit le Cimetière Général de La Havane, connu comme le Cimetière de Espada, dans le but d’éradiquer la coutume malsaine des enterrements dans les églises. Il a aussi créé la Junte du Vaccin pour étendre la lutte contre la variole, et a fondé le Jardin Botanique de La Havane, l’Académie de Peinture de San Alejandro qui existent encore. Il a également été à l’initiative de la création du premier laboratoire de physique et de Chimie du pays.
Après avoir été ordonné prêtre le 11 décembre 1811, en la Cathédrale de La Havane, Varela a assumé la Chaire de Philosophie, de Physique et d’Éthique au Séminaire de San Carlos et de San Ambrosio, qui concentrait le meilleur de la pensée cubaine au début du 19ème siècle, au dessus de l’Université Royale et Pontificale de San Jéronimo de la Havane, fondée par les prêtres dominicains en 1728. Plusieurs illustres intellectuels cubains de l’époque, comme José Antonio Saco, José de la Luz y Caballero et Domingo del Monte, ont été formés par les enseignements de Varela. En outre, il a fondé la première Société Philharmonique de La Havane et il a intégré la Société Économique des Amis du Pays.
Il a été élu Député aux Cortes d’Espagne en 1821. En partant il ignorait qu’il ne foulerait plus la terre cubaine. Durant son année en tant que représentant de Cuba, il a demandé la reconnaissance de l’indépendance des nations d’Amérique Latine, l’autonomie pour les provinces espagnoles d’outre-mer – Cuba, Porto Rico et les Philippines – et l’abolition de l’esclavage.
Après l’invasion française et la réinstauration de Fernando VII en 1823, il a dû s’exiler aux Etats-Unis. Convaincu qu’il n’y avait pas d’autre voie pour Cuba que son indépendance, il a plaidé jusqu’à sa mort pour la libération totale de l’île. « Je suis le premier à être contre toute union de l’île à un quelconque gouvernement, et je souhaiterais la voir comme une île politiquement comme géographiquement [...] », a-t-il soutenu.
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L’Église durant un demi-siècle de République
Les Constitutions de 1902 et de 1940, bien qu’établies dans la division de l’État et de l’Église, ont réaffirmé la morale chrétienne comme modèle de conduite sociale à suivre. L’article 26 de la première Grande Charte de la République – ratifié dans l’article 35 de 1940 – affirmait :
« La profession de toutes les religions est libre, ainsi que l’exercice de tous les cultes, sans autre limitation que le respect de la morale chrétienne et de l’ordre public. »
Dans un pays où coexistaient d’autres pratiques religieuses, en particulier celles d’origine africaine, cette législation a représenté, dans la pratique, une restriction de la liberté de culte.Toutefois, le soutien de la haute hiérarchie catholique aux gouvernements successifs a été le plus polémique, en particulier le soutien au coup d’État du 10 mars 1952, fondateur de la dictature du Fulgencio Batista.
Pendant les années du régime militaire l’épiscopat s’est divisé en trois : ceux qui soutenaient résolument le tyran ; un courant dirigé par le cardinal Manuel Arteaga plus intéressé à protéger la stabilité et les intérêts de l’Église Catholique ; et un groupe critique conduit par l’évêque de Santiago de Cuba, Enrique Pérez Serantes, qui est arrivé à proposer un changement de gouvernement pour obtenir la paix.
Cependant, des laïcs et des prêtres se sont opposés ouvertement à la tyrannie et ont collaboré plus ou moins activement avec le mouvement révolutionnaire qui a abouti avec le triomphe de l’Armée Rebelle de Fidel Castro le 1 janvier 1959.
Dans les années 50 la population cubaine se déclarait majoritairement catholique – 72,4 pour cent selon un sondage effectué par le Groupe Catholique Universitaire en 1954. Néanmoins, dans les secteurs ouvriers et la population rurale, l’assistance fréquente aux messes atteignait seulement 4,5 pour cent. D’autre part, le clergé était principalement espagnol, formé sous le régime de Francisco Franco, et avait des idées contraires à tout mouvement gauchiste.
Le bouleversement produit par la Révolution a révélé l’influence relative d’une Église Catholique trop attachée au pouvoir et tournant le dos aux réalités qui exploseraient avec le nouveau changement social.
Le 8 janvier 1959 Fidel Castro entre à La Havane avec sa caravane de « barbudos », entourés d’une mer de peuple ; étaient mélangés les catholiques, les protestants, les santeros, les spiritistes, les athées… des personnes de diverses idéologies qui accueillaient avec joie la fin de sept ans de dictature. Cela paraissait le début d’une ère de possibilités infinies, de paix et de fraternité. Cependant, les contradictions n’ont pas tardé à apparaître.
Bien que l’Église Catholique se soit jointe aux festivités pour la fin de la guerre, elle a compris rapidement que ses relations avec le nouveau gouvernement ne seraient pas aussi calmes que lors des cinq dernières décennies de la République. Sa méfiance envers le communisme et son opposition aux mesures radicales des nouvelles autorités la placerait en position d’opposition et d’exclusion par rapport aux changements qui auraient lieu dans la société.
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L’exode catholique
« Alors, que se passe-t-il ? Les curés fascistes et phalangistes espagnols sont venus ici pour faire la guerre contre la Révolution ? Très bien : nous allons annoncer ici, au peuple, que le Gouvernement Révolutionnaire décrétera dans les prochains jours une loi en vertu de laquelle il déclarera nulle toute autorisation de rester sur le territoire national à tout prêtre étranger qui se trouve dans notre pays. »
Le leader de la Révolution a soutenu que les curés avaient utilisé les collèges religieux pour inculquer aux jeunes « le poison de la contre-révolution » et pour exciter « des mentalités terroristes ».
L’exode des prêtres et des religieuses a commencé immédiatement. Selon des sources ecclésiastiques, 132 prêtres ont été expulsés, et en peu de temps 600 ont quitté le pays. Le nombre de religieuses est tombé de plus de 2000 à seulement 200. Cela a été dévastateur pour l’Église Catholique, qui ne s’en est pas encore remise.
Le 6 juin 1961, le gouvernement a décrété l’étatisation de l’éducation publique, et par conséquent la disparition des collèges catholiques et des autres institutions privées. Lors de son discours du 1er mai, Fidel Castro avait exigé que l’Église garde ses enseignements dans les murs des temples.
« Est ce que les églises pourront rester ouvertes ? Oui, les églises pourront rester ouvertes, et ils pourront enseigner la religion là, dans les églises », a affirmé le dirigeant cubain.
C’est ainsi que l’Église a perdu les moyens fondamentaux de diffusion de ses doctrines : les écoles et les moyens de communication, qui sont passés progressivement aux mains de l’Etat et ont fermé leurs portes aux programmes à caractère religieux. En outre, elle a dû s’adapter aux conditions d’un pays déclaré socialiste en avril 1961, dans lequel le marxisme-léninisme est devenu l’idéologie officielle et le communisme un objectif souhaité par ses dirigeants.
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Le catholicisme, l’anti-communisme, la contre-révolution
Les évêques pensaient que la majorité de la population contesterait la possibilité d’établir un régime communiste dans l’île puisqu’elle était catholique. Mais cela ne s’est pas produit ainsi. La déclaration de Fidel Castro du 16 avril sur le caractère socialiste de la Révolution a été approuvée par la majorité des Cubains. Cependant, l’athéisme matérialiste n’a jamais percé dans la conscience populaire, traversée par des croyances de racine chrétienne, afro-cubaine, chinoise, judaïque, spiritiste ou simplement par des cultes locaux et des superstitions.
Fidel Castro a dit explicitement que dans le nouvel ordre des choses, l’anti-communisme ne serait pas toléré.
« Car, simplement, oui nous croyons qu’être anti-communiste c’est être contre-révolutionnaire, a-t-il soutenu dans un discours le 16 décembre 1960, comme est contre-révolutionnaire celui qui est anticatholique ou antiprotestant. Etre anti n’importe quoi tend à diviser les Cubains. Tout ce qui tend à diviser le peuple pour faire le jeux de l’impérialisme est contre-révolutionnaire. »
Certains membres de la communauté catholique et chrétienne ont souffert du penchant anti-religieux de la Révolution qui, vers la fin des années 60 et au début de 1970, soupçonnait des croyants. Des prêtres, des séminaristes et des laïcs catholiques, parmi eux l’actuel cardinal Jaime Ortega, ont été mobilisés dans les Unités Militaires d’Appui à la Production (UMAP), des camps de travail où l’on devait réformer des éléments « antisociaux », comme les délinquants, les homosexuels et les opposants.
De la constitution du Parti Communiste de Cuba (PCC) dirigeant en 1965, en passant par le Congrès National de l’Éducation et de la Culture en 1971, jusqu’au premier Congrès du PCC en 1975, plusieurs déclarations officielles contre la religion comme phénomène social se sont succédées. L’État a alors proposé de supprimer définitivement les « […] survivances idéologiques du passé parmi lesquelles se trouvent les critères mystiques religieux et les croyances dans le surnaturel. »
Les croyances sont devenues des tabous et elles ont trouvées refuge dans la sphère privée. La vie spirituelle a été ajustée aux objectifs du processus révolutionnaire, auquel rien ne pouvait s’opposer. La communauté catholique s’est alors divisée entre ceux qui avaient opté pour l’émigration, surtout vers les Etats-Unis, et les sympathisant de la Révolution qui ont préféré cacher leur foi pour ne pas avoir de problèmes sur leur lieu de travail ou d’étude.
Les fêtes religieuses ont aussi été éliminées des espaces publics. Les paroles de Fidel Castro le 7 décembre 1970, au milieu de la Zafra de los 10 millones (Récolte pour produire 10 millions de tonnes de sucre), expliquent cette politique, en vigueur durant plus de 20 ans.
« Regardez : si la Nativité était fêtée le 24 juillet, nous serions enchantés, nous ne protesterions pas. Mais ils ont imposé universellement la même tradition à tout le monde. Alors, sommes-nous obligés ? Les conditions du capitalisme sont-elles égales ? Et devons-nous nous mettre à genoux devant certaines traditions ? Oui, les traditions sont historiques : elles viennent d’avant, mais elles sont aussi un phénomène subjectif. Et nous pouvons changer une pour une autre. »
En 1997, quand le gouvernement a approuvé la restauration du jour férié pour la Nativité, l’ancienne tradition a émergé dans les maisons des croyants et des non croyants, comme la preuve que le sentiment religieux n’avait jamais disparu des familles cubaines.
Dans les années 80, le gouvernement de Cuba a commencé un processus de « rectification des erreurs et des tendances négatives », après une décennie de forte institutionnalisation, nuancée par des périodes de marginalisation d’intellectuels, de religieux et d’autres personnes éloignées de l’orthodoxie officielle.
La tentative de réforme du socialisme cubain a été accompagnée de signes de reconnaissance de la part de la communauté catholique. Ses relations avec les autorités ont amorcé une période de détente, seulement interrompue par quelques crises dans les années 90.
Bien avant, en 1969, les deux parties avaient trouvé leur premier terrain d’entente en condamnant l’embargo des Etats-Unis. Cette année là, la Conférence Épiscopale Cubaine s’était manifestée contre cette politique de restrictions économiques et financières en vigueur depuis 1962.
La présence du Nonce Apostolique Cesare Zacchi à La Havane, dans les années 60, a aussi contribué à apaiser les tensions. Zacchi a maintenu une relation personnelle avec le président Fidel Castro, leur penchant commun pour la pêche sous marine leur permettant d’échanger leurs opinions en dehors des espaces officiels.
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L’Église Catholique s’ouvre à la société
Selon les documents du conclave, le socialisme cubain avait aidé l’Église « […] à mieux considérer l’être humain ; acquérir une plus grande conscience de la dimension sociale du péché, particulièrement face aux différentes formes d’injustice et d’inégalité ».
« Il nous a appris à donner par justice ce qui, avant, était donné par charité ; à mieux apprécier le travail, non seulement comme facteur de production, mais aussi comme élément de développement de la personne ; à comprendre la nécessité des changements structurels pour une meilleure distribution des biens et des services ; à rendre propice un plus grand don de soi et une aide solidaire envers les autres. »
L’ENEC a marqué la fin d’une période de repli de l’Église, recluse dans une dimension culturelle qui l’avait éloignée des problèmes sociaux. Les 121 délégués de tous les diocèses du pays ont décidé d’une action plus ouverte sur le monde, sur la base de trois piliers fondamentaux : la prière, la solidarité et la tâche missionnaire.
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La fin de l’athéisme officiel
Le premier pas en ce sens a été le quatrième Congrès du Parti Communiste de Cuba (PCC) à Santiago de Cuba en octobre 1991. Le grand rendez-vous des communistes cubains a approuvé l’entrée des croyants dans ses rangs.
Lors d’une déclaration à la presse, le président de l’Union des Écrivains et des Artistes de Cuba (UNEAC), Abel Prieto (actuel ministre de la Culture), a assuré que la mesure voulait éradiquer « […] tout type d’élément sectaire de son schéma de travail (du PCC) et que toute forme de discrimination soit éliminée, quelle soit philosophiques, politiques ou religieuses, etc… »
Ce geste d’ouverture a été confirmé un an plus tard par l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, le plus haut organe législatif de Cuba. La réforme constitutionnelle de 1992 a inclus la déclaration du caractère laïc de la société cubaine, auparavant, officiellement athée, la reconnaissance de la liberté religieuse et la condamnation de tout acte discriminatoire pour ce motif.
Ainsi, en quelques mois, le gouvernement a mis fin à 30 ans de politiques religieuses contestées. Crucifix, colliers des saints, autels et images pieuses sont réapparues dans les maisons et dans les rues, également stimulé par la crise économique. Les gens cherchaient dans le surnaturel les réponses que le discours officiel, souvent éloigné de la dure réalité, ne pouvait pas leur donner.
Aujourd’hui le kaléidoscope religieux de Cuba reflète la superficialité de l’orthodoxie athéiste. Dans ce pays caribéen coexistent les églises protestantes, les religions d’origine africaine, le spiritisme, le catholicisme et d’autres expressions religieuses arrivées avec les migrants et perpétuées par leurs descendants, comme le judaïsme, le vaudou haïtien et les croyances des émigrants chinois.
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« El amor todo lo espera »
Dans leur longue missive, les évêques ont offert leur vision des graves problèmes nationaux, comme l’émigration, la récession économique, la baisse de moral des personnes et l’effet de la crise sur les familles. Ils ont demandé expressément à établir un dialogue entre tous les Cubains.
« Nous, les Cubains devons résoudre les problèmes entre nous, à Cuba. Nous devons nous demander sérieusement, pourquoi tant de Cubains veulent partir et partent de la Patrie ? Pourquoi certains renoncent, dans leur Patrie, à leur propre citoyenneté pour une citoyenneté étrangère ? »
Le texte ajoutait : « Le beau et fertile sol de notre île, la Perle des Antilles, a cessé d’être la terre mère, comme fatigué et incapable de nourrir ses fils avec ses doubles récoltes des fruits les plus ordinaires comme la citrouille et le yucca, la malanga et le maïs, et des fruits qui ont rendu célèbre notre sol fertile. Le peuple se demande comment il est possible que ces choses manquent et qu’elles coûtent si cher. »
L’Épiscopat, qui ne souhaitait pas devenir une alternative politique, critiquait certaines pratiques officielles et appelait à éradiquer « le caractère exclusif et omniprésent de l’idéologie officielle, qui amène à l’identification de termes qui ne peuvent pas être univoques, comme : Patrie et socialisme, État et Gouvernement, autorité et pouvoir, légalité et moralité, cubain et révolutionnaire. »
Au centre de la proposition de la haute hiérarchie catholique il y avait la nécessité d’ouvrir un dialogue social incluant tous les cubains, même s’ils résidaient à l’étranger. « Un dialogue non seulement de compañeros, mais d’amis à amis, de frères à frères, de cubains à cubains que nous sommes tous, des cubains « qui se comprennent en parlant » et en pensant ensemble nous serons capables d’arriver à des compromis acceptables. »
La Pastorale a mis le doigt sur certaines des blessures les plus douloureuses du moment, provoquant une réponse musclée de la part du gouvernement et de ses médias. Le président Fidel Castro a publié une réponse dans le journal officiel Granma, dans laquelle il affirmait qu’on écouterait « […] les critères, même discordants, de ceux qui sont sincèrement intéressés à promouvoir notre œuvre de progrès social, mais ceux qui cultivent l’insinuation, servent l’ennemi et trahissent leur peuple et leur Patrie ne mériteront jamais notre respect ni ne seront écoutés. »
Les relations entre l’Église et l’État se sont tendues à nouveau pendant environ trois ans jusqu’aux premiers préparatifs de la visite du Pape Jean Paul II.
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La visite du Pape Jean Paul II
Peu après son arrivée, le Souverain Pontife a assisté à une rencontre privée avec Fidel Castro au siège du Conseil d’État. Avant de partir, il a aussi rencontré des évêques et des membres de la communauté catholique cubaine.
Ses paroles lors de la cérémonie de bienvenue ont été rappelées en de nombreuses occasions, comme l’expression d’un désir à accomplir : « Que Cuba s’ouvre au monde avec toutes ses magnifiques possibilités et que le monde s’ouvre à Cuba, pour que ce peuple, qui comme tout homme et nation cherche la vérité, travaille à aller de l’avant, aspire à l’harmonie et à la paix, puisse regarder le futur avec espoir. »
Le périple de Jean Paul II a eu des conséquences immédiates sur l’activité de l’Église et ses relations avec le gouvernement cubain. Dès lors, le nombre de publications catholiques a augmenté, ainsi que l’accès de l’Église aux médias d’Etat, surtout à l’occasion des festivités telles que le jour de la Vierge de la Caridad del Cobre le 8 septembre, ou de la Nativité déclarée jour férié en 1997. En plus, les autorités ont autorisé la célébration des processions, alors que sont apparus de nouveaux diocèses et des maisons de prières dans les villages et les villes.
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Une médiation inédite
Un exemple significatif de cette orientation a été la négociation commencée le 19 mai entre le gouvernement et la hiérarchie de l’Épiscopat, en la personne du cardinal Jaime Ortega et de l’évêque Dionisio García, pour libérer 52 des 75 dissidents jugés et emprisonnés en 2003.
Le dialogue, soutenu aussi par l’Espagne, a donné lieu presque immédiatement à une série d’élargissements, qui ont inclus non seulement des condamnés lors des procès sept ans auparavant, mais aussi d’autres détenus accusés de piraterie, de terrorisme ou d’autres activités contre la sécurité de l’État.
Les résultats de cette entente, et les sourires télévisés de Raúl Castro et de Jaime Ortega alors qu’ils parcouraient ensemble le nouveau séminaire de San Carlos et San Ambrosio, inauguré récemment dans les alentours de La Havane, annoncent, peut-être, la fin de leurs divergences et l’ouverture d’une nouvelle ère dans laquelle l’Église catholique pourrait occuper à nouveau une place très proche du pouvoir dans la plus grande île des Caraïbes.
Avec la bénédiction du Pape Alexandre VI, l’Espagne des Rois Catholiques s’est jetée sur l’Amérique dans le but d’étendre la foi et de convertir les populations du Nouveau Monde. Toutefois, l’évangélisation des peuples autochtones ne s’est pas passée calmement et les autels ont été tachés de sang dans le tourbillon de la conquête.
Cependant, l’Église Catholique a aussi apporté des hommes illustres à l’histoire de Cuba. Leur empreinte a transcendé le temps et les mouvements politiques. Les deux exemples les plus notoires sont peut-être l’évêque Juan José Díaz de Espada y Fernández de Landa (1832-1756) et le prêtre Félix Varela (1788-1853).
Malgré ses liens étroits avec la métropole espagnole, l’Église catholique a survécu à la fin de la domination espagnole sur Cuba. Son influence dans les structures du pouvoir s’est maintenue, elle a même récupéré des possessions confisquées par le gouvernement colonial dans les années 1830.
Un peu plus de deux ans après le 1er janvier 1959, les tensions entre l’Église Catholique et l’État sont arrivées à un point critique. Dans son discours du Jour des Travailleurs, Fidel Castro a annoncé des mesures dures contre le clergé étranger établi dans l’île :
La Révolution, qui avait commencé comme un mouvement de libération nationale, avec un programme de profondes réformes économiques et sociales annoncé par Fidel Castro dans son manifeste de 1953 L’histoire m’absoudra, a pris au bout de deux ans le chemin du socialisme de la main de l’Union Soviétique et de ses alliés d’Europe de l’Est.
L’Église Catholique a précocement signalé cette tendance et elle a manifesté son rejet du communisme dans la Pastorale du 7 août 1960. Bien que l’épiscopat ait approuvé « […] les réformes sociales qui, en respectant les droits légitimes de tous les citoyens, tendent à améliorer la situation économique, culturelle et sociale des humbles », précisait que « […] le catholicisme et le communisme répondent à deux conceptions totalement opposées de l’homme et du monde, qu’il ne sera jamais possible de réconcilier. »
Toutefois, ce n’a été qu’en 1986, avec la célébration de la Rencontre Nationale Ecclésiale Cubaine (ENEC), que l’Église Catholique a ouvertement exprimé sa sympathie pour certains aspects du régime socialiste.
Bien que le processus de « rectification des erreurs » ait avorté avec la chute du socialisme en Europe de l’Est et la disparition de l’Union Soviétique, l’État cubain a compris qu’il était nécessaire de lever certaines barrières sociales. Sans la tutelle de Moscou, les autorités de La Havane ont pu mettre en œuvre une politique plus conforme à la réalité d’un pays dont la population n’a jamais abandonné ses croyances.
Le 8 septembre 1993, le Conseil des Évêques Catholiques de Cuba a publié la Charte Pastorale « El amor todo lo espera ». L’île venait de passer l’été le plus angoissant de son histoire contemporaine. L’économie était encore bouleversée, les coupures d’électricité duraient jusqu’à 16 heures, la pénurie s’étendait de l’alimentation au transport, le pays vivait dans le fond d’un abîme dont on apercevait à peine la sortie.
Le Pape Jean Paul II est venu à Cuba entre le 21 et le 25 janvier 1998. Le plus haut représentant de l’Église Catholique a célébré des messes devant des foules à La Havane, Santa Clara, Camagüey et Santiago de Cuba. En outre, il a rencontré des intellectuels dans l’Amphithéâtre de l’Université de La Havane et a visité la léproserie d’El Rincón, dans la périphérie de la capitale.
Avec l’arrivée de Raúl Castro à la présidence du Conseil d’État, en février 2008, Cuba a commencé à expérimenter des changements guidés par un plus grand pragmatisme, quant à l’économie, la politique et, évidemment, la vie quotidienne de ses habitants.
Habana XXI