2. Cuba : l’unité du peuple

Fragments du livre “Cuba. Depuis la Révolution de 1959″ de Samuel Farber, publiés en décembre 2011 sur le site HAVANA TIMES.

Le gouvernement cubain justifie le refus de permettre des débats politiques fondamentaux entre les candidats aux niveaux les plus bas des élections de l’Assemblée du pouvoir populaire, ou dans un quelconque autre endroit, en défendant la thèse de maintenir l’unité nationale révolutionnaire.

Comme Raul Castro lui-même l’a déclaré dans son discours le 26 Juillet 2009, «Cuba ira de l’avant avec une unité monolithique.” (63)

Le vieux slogan de l’unité prend ses racines dans les débuts de la Révolution, et il s’opposa au développement d’institutions véritablement démocratiques dans le pays.

Fait intéressant à noter, dans les premières années après le triomphe de la Révolution, et avant l’adoption du modèle soviétique, les dirigeants révolutionnaires reconnaissaient de manière implicite l’existence d’intérêts et de points de vue contradictoires, bien qu’ils insistèrent sur la suppression de ceux-ci pour le bien de l’unité nationale

Lorsque Jean-Paul Sartre s’est rendu à Cuba au début de 1960 et qu’il a demandé à Antonio Nunez Jimenez, alors directeur de l’Institut de réforme agraire, pourquoi un référendum n’était pas organisé pour valider le gouvernement et sa politique afin de répondre efficacement aux critiques hostiles, le dirigeant cubain de façon symptomatique :

“Pour une seule raison… Nous ne voulons pas payer pour le triomphe de la Révolution, en balayant a révolution. Quel est le sens des idées de notre groupe ? L’unité des opinions, l’union pratique. Nous sommes nombreux en un seul. Un seul homme, le même homme, dans tous les lieux au même moment… Une nation sous-développée, après l’expulsion des propriétaires fonciers, convertit la production avec un dénominateur commun pour toutes les classes, dans leur intérêt commun. Que serait une assemblée élue en ces moments ? Le miroir de notre discorde.” (64)

Pour Fidel Castro, le mot unité est un euphémisme pour le pouvoir monolithique et autocratique. Déjà en 1954, presque cinq ans avant la victoire, il écrivit à Luis Conte Agüero, qui était alors un bon ami :

“Les conditions qui sont indispensables pour la formation d’un moment véritablement civique : l’idéologie, la discipline et le leadership. Toutes les trois sont importantes, mais le leadership est essentiel… L’appareil de propagande et d’organisation doivent être si puissantes qu’elles détruisent tous ceux qui créent des tendances, des cliques, ou des schismes, ou celui qui s’élève contre le mouvement “. (65)

Les points de vue de Fidel Castro sur ces questions ont une affinité élective avec les vieux arguments russes staliniens justifiant le monopartidisme étatique totalitaire de l’Union soviétique. Il est important de noter que 38 ans après que Fidel Castro a écrit à Conte Agüero, il a exprimé des points de vue similaires en relation avec l’Union soviétique, dans une longue entrevue avec le leader sandiniste Tomás Borge. Fidel a critiqué Staline sur un certain nombre de questions, notamment l’invasion de la Finlande et le pacte Staline-Hitler. Mais quand Borge lui demanda : “selon vous, quelles ont été les mérites de Staline ? La première chose que le leader cubain a mentionné est le fait  que Staline “établit l’unité de l’Union soviétique. Il a consolidé ce que Lénine avait commencé à faire : l’unité partidaire”. (66)

En comparaison avec Fidel Castro, le stalinisme russe a développé, comme c’était son habitude, un argument pseudo-marxiste plus “défini” pour justifier l’état unipartidaire. Les staliniens russes ont fait valoir que parce que le socialisme avait aboli la lutte des classes et qu’il avait unit la classe paysanne et la classe ouvrière en Union soviétique, parce que les partis d’opposition s’étaient créés pour représenter historiquement pour représenter les intérêts des classes contradictoires, il n’y avait pas besoin qu’existe plus d’un parti.

La version actuelle de Cuba, qui a commencé à avoir des accents particuliers durant les années 90, prend pour acquise l’idée soviétique de l’homogénéité et l’harmonie des intérêts du peuple et les combine avec sa propre interprétation de la pensée politique de José Martí, le père fondateur de Cuba.

À la fin du XIXe siècle, Marti a appelé tous les groupes et toutes les factions soutenant l’indépendance de Cuba par rapport à la colonie espagnole, à s’unir sous la bannière du Parti Révolutionnaire Cubain, qu’il a fondé et dirigé pour lutter plus efficacement contre l’Espagne.

Le gouvernement cubain affirme que son peuple doit rester uni dans un seul parti pour lutter contre l’ennemi impérialiste, en suivant le modèle de Martí et avoir un seul parti. L’appel à l’unité de Marti pour l’amour d’une cause n’a pas été unique dans les annales de l’opposition et des mouvements révolutionnaires.

Lorsque Marti s’exprimait à propos de l’unité, il essayait de transcender les jalousies mesquines et les tendances autoritaires des dirigeants rebelles afin de former des troupes unies militairement, mais contrôlées par les civils contre le pouvoir espagnol dans l’île

En 1891, dans une résolution qui fut considérée comme un prologue à la fondation du nouveau parti, Marti proclama que le nouveau Parti révolutionnaire “ne travaillera pas pour le pouvoir actuel et pour le pouvoir du futur d’aucune classe, mais pour l’organisation, en accord avec des méthodes démocratiques de toutes les forces actives du pays”. (67)

Martí a essayé d’atteindre ses objectifs par des moyens politiques : la persuasion, l’éducation et la création d’une organisation unie pour atteindre l’indépendance de Cuba, en prenant les armes contre l’Espagne. Il ne prônait pas la répression violente, ni la prison, ni l’exécution de ces Cubains qui étaient en désaccord avec lui et qui s’opposaient à ses efforts.

Les idées de Martí, par rapport à “l’unité” dans la lutte contre l’Espagne n’avaient rien à voir avec le système d’un seul parti. Lui, comme d’autres leaders indépendantistes pensaient que devait s’établir une nouvelle République cubaine indépendante, ils étaient contre la création constitutionnelle d’un parti unique qui interdirait l’existence des autres.

Une telle idée n’aurait pas été typique de cet homme qui était ancrée dans les courants progressistes et politiquement démocratiques de la fin du XIXe siècle. (68) Historiquement, la première tentative de créer un système politique monolithique  politique à parti unique qui contrôle toute la vie d’une société survenus plusieurs décennies après la mort de Martí en 1895.

Au-delà de cela, le peuple cubain, sous le commandement des frères Castro n’est pas uni au sens d’avoir transcendé les classes sociales et de nombreux autres types de conflits ayant des racines sociales et politiques, de la même manière que les Soviétiques sous le pouvoir de Staline et de ses successeurs. En fait, il n’existe pas une classe sociale homogène avec un seul type d’idéologie et de conscience politique. Comme Léon Trotsky le résuma dans les années trente.

“En réalité les classes sont hétérogènes, elles se divisent par des antagonismes internes et elles résolvent les problèmes communs uniquement à travers une lutte interne de tendances, de groupes et de partis. Il est possible d’admettre, sous certaines réserves, qu’un “parti est une partie d’une classe”. Mais comme une classe a plusieurs “parties”, et que certaines regardent vers l’avant, d’autres regardent vers l’arrière, la même classe peut créer plusieurs partis. Pour cette même raison un parti peut s’appuyer sur des parties de différentes classes. L’exemple d’un seul parti correspondant à une classe, ne se trouvera pas durant tout le cours de l’histoire politique, à condition que vous ne croyiez pas aux apparences policières correspondant à la réalité”. (69)

Il existera toujours des points de vue hétérogènes, y compris dans une strate d’une même classe, en raison des inévitables différences d’opinion des groupes et des personnes individuellement. L’histoire de la Révolution cubaine est pleine de conflits et de divergences au sein du gouvernement lui-même.

Ces différences peuvent conduire à de graves désaccords tactiques et stratégiques. Ce fut le cas lors de la décision de Fidel Castro de mener à bien la désastreuse campagne des 10 millions de tonnes de sucre en 1970, ou avec la stratégie précédente, adoptée sous la pression russe, pour restaurer le sucre en tant que clé de l’économie cubaine.

Bien sûr, que l’objectif ici n’est pas de promouvoir en vain de promouvoir l’esprit de “désunion” révolutionnaire. Chaque dirigeant politique, révolutionnaire ou non, essayera d’obtenir l’unité qui appuyé ses programmes et ses décisions. La question est de savoir si cette “unité” va être tentée à travers la persuasion et d’autres moyens politiques ou par des méthodes policières ou administratives, telles que l’interdiction constitutionnelle d’autres associations ou d’autres partis politiques. En outre, la discussion sur des divergences politiques en public renforce l’éducation politique populaire et le potentiel de chacun pour l’autodétermination et pour l’autogestion.

63. “Avec l’unité monolithique Cuba va continué à avancer, a déclaré Raul Castro,”Journal Granma 13, no 208 (26 juillet 2009), www.granma.co.cu/2009//07/26/nacional/artic27.html.

64. Jean-Paul Sartre, Sartre à Cuba (Westport, CT: Greenwood Press, 1974), 86.

65. Luis Conte Agüero, 26 lettres de prison (La Havane : Editorial Cuba, 1960), 73. Ce livre a été publié avant que Conte Agüero ne rompe avec Fidel Castro.

66. Fidel Castro, Un grain de maïs (La Havane : Office des publications du Conseil d’Etat, 1992), 76.

67. José Martí, “Résolutions prises par l’émigration cubaine de Tampa et de Key West en novembre 1891″, dans Œuvres choisies, 3 : 23, cité dans Dimas Castellanos, Qu’a à voir Martí avec le parti unique, 27 août 2010, www. desdecuba.com / Dimas.

68. Manuel Pedro Gonzalez et Ivan E. Schulman, José Martí : Schéma idéologique (Mexico City : Publications de l’Editorial Cubana, 1961) ; et Joan Casanovas, “La nation, l’indépendance et les classes”, Rencontre de la culture cubaine (Madrid) 15 (hiver 1999-2000) : 177-86.

69. Léon Trotsky, The Revolution Betrayed  (New York : Merit, 1965), 267.

CUBA SINCE THE REVOLUTION OF 1959
A Critical Assessment
Copyright Samuel Farber 2011.
(www.haymarketbooks.org)


Enrique   |  Analyse, Histoire, Politique   |  01 13th, 2012    |