RELIGION : San Lázaro, Babalú Ayé ou le vieux Lázaro
Par Jorge Ramírez Calzadilla*
Publié dans Cultura y Sociedad, numéro 12, 2002
Comme cela est une tradition à Cuba, plusieurs milliers de pèlerins vont allés, les 16 et 17 décembre de cette année, au Sanctuaire de San Lázaro, une annexe de l’hôpital anti-lépreux du village de Rincón à l’ouest de la capitale, pour rendre culte à ce saint considéré populairement le plus miraculeux. De cette façon ils accomplissent des promesses, ils font des prières ou, simplement, ils expriment une dévotion en démonstrations spontanées de haut contenu émotionnel, suivant les motivations les plus variées.
Différentes versions confluent sur cette figure. Pour l’Église Catholique il s’agit de Lázaro de Betania, ressuscité par le Christ, qui est devenu apôtre et durant son pèlerinage, apportant le nouveau message chrétien, il est arrivé à Marseille où il est parvenu à être évêque. Le San Lázaro évêque a été inclus par le pape Paul VI dans la liste des saints dont l’Église n’assure pas leur historicité, même s’il a laissé la faculté de conserver son culte à la décision des ordinaires, et les évêques de Cuba ont opté de le maintenir, comme d’autres exclus, entre eux Santa Bárbara et San Cristóbal, très vénérés dans le pays.
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San Lázaro ou le vieux Lázaro
Mais il y a un autre Lázaro, celui de la parabole de l’Evangile de Lucas, pauvre et affamé dont les chiens léchaient les plaies, celui qui demandait infructueusement à un riche vorace qu’il lui donne quelques miettes et, en mourant, les deux ont suivie des destins contraires, Lázaro est allé au ciel et le riche insensible à l’enfer, de sorte que les rôles ont été inversé, ce dernier lui demandant son aide pour apaiser sa soif. Dans la transculturation vérifiée à Cuba, le Lázaro de la parabole est le syncrétisme des dieux africains, comme cela s’est produit avec Babalú Ayé, d’origine dahoméenne, et avec d’autres qui ont souffert de la maladie et de la pauvreté.
Dans l’ère médiévale européenne, la figure du lépreux présidait les chapelles ou d’autres temples construits à côté des lieux de quarantaine, spécialement dans les léproseries, un grand nombre de celles-ci près des ports maritimes, d’où s’est peut-être produite l’identification avec l’évêque de Marseille de la tradition catholique.
Durant la colonie, les Espagnols ont introduit le culte à ce saint à Cuba et ils ont construit un temple dans une léproserie dans La Havane extra-muros, situé dans un lieu qui a donné le nom à l’actuelle rue de San Lázaro, sur les terrains où plus tard était la Casa de Beneficencia. Quand la ville s’est agrandie, l’hôpital se trouvait dans une zone peuplée, ce qui a obligé son transfert vers l’ouest, d’abord à côté du port de Mariel et, finalement, dans une ferme donnée par son propriétaire dont le fils a contracté la lèpre.
Pendant un certain temps la lèpre a été un fléau pour la société cubaine. Les avances de la médecine l’ont détenue, maintenant il y a très peu de cas de cette maladie et, en outre, les risques de contagion sont très faibles. Dans l’hôpital, les religieuses de l’ordre des Filles de la Charité, sous l’administration étatique, s’occupent exemplairement des malades les plus touchés physiquement. D’autres qui ont contracté ce mal, maintenant guéris, se sont réincorporés à la vie sociale, certains même comme travailleurs de l’installation hospitalière.
Toutefois, pour le commun des dévots de San Lázaro, son objet de culte n’est pas le saint évêque, ni le personnage de la parabole – bien que sa représentation comme un ancien lépreux, entouré de chiens, en haillons et avec des béquilles, soit proche à celui-ci –, ni un d’origine africaine. C’est simplement « le vieux Lázaro », considéré très miraculeux et exigeant avec ceux qui lui contractent des obligations. C’est plutôt le résultat de ce surprenant mélange culturel et religieux, une synthèse de composants hispaniques, africains, avec une pointe de spiritisme et beaucoup d’imagination populaire qui a conformé la religiosité la plus étendue dans la société cubaine depuis que la cubanité est apparue.
En réalité la majorité des pèlerins ne connaissent pas ou ne sont pas intéressés par l’explication de l’origine de la figure dont ils sont dévots. Ils ne l’assument pas comme un intermédiaire mais avec une capacité propre pour changer le cours des événements à faveur de celui qui fait la prière. Il n’est pas placé, non plus, dans un système religieux et les dévots ne conforment pas des groupes. Ils le qualifient sans plus de « quelque chose de grand », « de miraculeux », « de puissant », capable de résoudre les problèmes les plus complexes, spécialement les maladies, en même temps qu’il protège. Le sage cubain Fernando Ortiz l’a valorisé comme une sorte de patron des malades.
Ces croyants ne se déclarent pas proprement catholiques, ni santeros, ni spiritistes, ni protestants, bien qu’à cet endroit accourent des pratiquants de ces formes religieuses systématisées et certains admettent qu’ils assistent quelque fois à certain culte de ces dernières. Dans le temple le comportement est majoritairement celui des personnes ignorantes du cérémonial catholique, elles ne prêtent pas attention aux messes, elles n’accompagnent pas les cantiques ni les prières. Il y a seulement une certaine participation quand les responsables des microphones, laïques ou membres du clergé, font reprendre des chansons entraînantes et faciles à apprendre, alors retentissent des vives San Lázaro, appelé fréquemment ami et miraculeux.
Par moments un groupe charismatique, rarement présent dans d’autres lieux catholiques, égaye l’office avec des battements de mains, des rythmes et des chants en attirant l’attention. Il ne se passe guère de temps pour que le clergé fasse des réprimandes, insistant sur le fait que, dans ce lieu saint, les hommes doivent se découvrir, que l’on ne doit pas fumer, que l’on doit garder le silence pendant les cérémonies, que l’on ne doit pas crier. Lors des prêches est répétée la version du Lázaro évêque, et on dit que ce n’est pas un dieu africain, bien que contradictoirement, dans certaines messes, la lecture de l’Evangile soit la parabole mentionnée. De temps en temps l’eau qu’apportent les assistants dans les plus variés récipients est bénite, même si l’on sait bien que l’utilisation qu’on lui donnera n’a rien à voir avec ce qu’admet l’orthodoxie catholique.
Le pèlerinage
Comme le temple est éloigné de la concentration urbaine, le pèlerinage a lieu. La religiosité cubaine s’unie ainsi à la tradition commune de plusieurs religions, comme c’est le cas, par exemple, de la Mecque pour les islamiques, de Fátima et de Lourdes pour les Catholiques. En Amérique Latine il y a plusieurs centres de pérégrination, le plus représentatif est sans doute celui de la Vierge de Guadalupe. La différence avec l’Europe est dans l’influence de la culture aborigène, comme l’africaine pour le Cubain.
Il existe d’autres endroits semblables où se concentrent massivement des croyants à Cuba. De telles concentrations ont lieu dans les Sanctuaires dédiés à la Virgen de la Caridad, dans le village del Cobre, province Santiago de Cuba ; dans la ville de Camagüey et à Centro Habana ; le Sanctuaire de la Virgen de Regla, les églises de la Virgen de la Merced et celle de Santa Barbara. Mais le sanctuaire le plus concouru, très au-dessus des autres et en quantités supérieures aux membres des églises et même de plusieurs d’entre elles réunies, est celui du Rincón.
Le temple est très visité quotidiennement, en majeure quantité les 17 de chaque mois et de forme populaire celui de décembre, la date destinée à ce saint par l’Église et que la population croyante a accepté sans inconvénient. L’assistance commence à croître dès le 16, particulièrement près de minuit, en suivant la coutume de commencer les célébrations la veille et d’attendre le début du jour suivant. Il est habituel qu’à ce moment se regroupent autour de 20.000 personnes qui, au milieu des battements de mains, des vivats au saint, des Notre Père avec les bras levés, avec une émotivité particulière stimulée par le clergé à travers les haut-parleurs et le carillonnement des cloches, se bousculent pour entrer dans le temple dont les dimensions sont incapables de recevoir tant de personnes.
Entre 60.000 et 80.000 personnes s’y concentrent durant ces deux jours, avec des variations suivant les années, en rythme croissant lors des années 90, suite à un accroissement religieux étant données les conditions d’une crise économique qui a eu ses moments les plus difficiles durant la première moitié de ces années, coïncidant avec le plus grand nombre de pèlerins au Rincón, suivi par des réductions postérieures irrégulières. Cette année, selon les spécialistes, plus de 70 000 personnes étaient présentes.
Les dévots de San Lázaro ne sont pas uniquement ceux qui assistent à ces journées dans le Sanctuaire, dans de nombreuses maisons de tout le pays ont lieu, la veille, de différentes cérémonies, des veillées, des récitals de violon, des bembés, entre des groupes plus réduits. D’autres croyants se concentrent dans l’ancien hôpital de San Lázaro de Camagüey, ainsi qu’au siège de l’Association Hijos de San Lázaro à Guanabacoa, présidée par un babalawo (un prêtre d’Ifá dans la Regla Ocha ou santería). Des centaines de personnes accourent au Rincón les jours préalables et postérieurs à cette date, surtout en fins de semaine. Ce fait est en augmentation depuis les trois dernières années, apparemment il se produit une rupture avec la tradition de « tenir ses promesse avec le saint » à la date marquée – même si pour beaucoup San Lázaro se présentera dans son Sanctuaire d’où le fait que soient si nombreux ceux qui veulent être là, à l’intérieur, à minuit, pour remettre leurs offrandes, car ils sont encore des milliers à conserver cette tradition.
Les motivations pour ce pèlerinage sont très dissemblables, bien qu’en majorité elles soient en relation avec la santé et la protection personnelle et familiale. Certains avancent d’autres raisons, en rapport aux améliorations économiques, au changement de travail, aux relations interpersonnelles, aux conflits amoureux, etc… Certains accomplissent des promesses, quelque fois depuis de nombreuses années, d’autres pour faire des prières ou exprimer une dévotion. On offre de l’argent, spécialement des pièces de monnaies associée à la mendicité, un cigare qui est allumé comme une fumigation particulière, des fleurs mauves qui est la couleur propre du saint, de l’huile. Des dizaines de pèlerins font des promesses comportant des autosacrifices, comme marcher pieds nus, à genoux, en rampant, en se frappant, en chargeant des poids. Ce qui est regrettable est que, parfois, des enfants sont incorporés à de telles actions. Pour beaucoup, le sacrifice consiste à de longs parcours.
La massivité prolongée durant ces jours implique un effort pour son bon développement dans un climat approprié. Le clergé renforce sa présence et même la hiérarchie l’appuie. Cette année, le matin du 17, la messe a été célébrée par le cardinal Jaime Ortega, ce qui est une coutume chaque année, et celles de l’après-midi et du soir par ses évêques auxiliaires Salvador Riverón et Alfredo Petit. Des séminaristes, des moines et des diacres permanents offrent leur aide aux cérémonies et, entre les messes, avec des prières et des chants, alors que des volontaires laïques collaborent à la réception des offrandes et au maintien de l’ordre.
Pour l’État c’est aussi une période d’efforts et d’emploi de ressources, non seulement pour garantir la tranquillité mais aussi quant à d’autres services comme l’attention médicale urgente, avec le concours de la croix rouge ; la disponibilité d’eau potable grâce à des citernes qui sont placée le long du parcours des pèlerins ; la vente de rafraîchissements ; l’illumination de nuit ; le renforcement du transport, aussi bien avec des autobus locaux qu’avec un train interprovincial.
Le commerce indépendant en profite pour augmenter ses ventes. Des produits alimentaires, des rafraîchissements, des images, des estampes, des fleurs, des oraisons imprimées et d’autres produits sont proposés, ainsi que des transports, cycles, automobiles et voitures tirées par des chevaux. La vente de boissons alcoolisées, étatique et privée, est interdite dans la zone pour éviter les écarts. Ce qui a lieu ici est égal à ce qui se passe sous d’autres latitudes, ce qui est particulier se trouve dans l’association entre la pérégrination religieuse massive et le marché avec les particularités cubaines.
On peut être assuré, en fin, sans crainte de se tromper, que c’est la forme la plus ouverte, spontanée, libre, sans préjugée, de l’expression de la religiosité. Il convient d’ajouter que pour mieux comprendre les Cubains, il est souhaitable de connaître la façon avec laquelle se réalise la dévotion à San Lázaro, qui est ce saint pour ses dévots et comment ils le font intervenir dans leur quotidienneté.
Spécialiste du Département des Études Socioreligieuses, Centre des Recherches Psychologiques et Sociologiques du Ministère des Sciences, de la Technologie et de l’Environnement.