Des cinéastes cubains accusent le festival de La Havane de marginaliser leurs films
Pour la première fois depuis sa création, en 1979, des cinéastes cubains critiquent publiquement le Festival du nouveau cinéma latino-américain de La Havane, qui a lieu du 1er au 11 décembre 2011.
La polémique a été lancée par le réalisateur Eduardo del Llano, dont le premier long métrage, Vinci, produit par l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographiques (ICAIC), a été refusé par le comité de sélection.
Les sélectionneurs ont invoqué des raisons « thématiques ». Le film aborde un épisode de la vie du jeune Leonardo de Vinci.
Eduardo del Llano s’est fait connaître par une série de courts métrages décapants, de Monte Rouge (2005) à Exit (2011), mettant en scène un personnage récurrent, Nicanor.
L’auteur se demande si les sélectionneurs n’auraient pas agi par « méfiance politique » à son égard.
Plusieurs collègues de métier ont exprimé leur soutien à Eduardo del Llano. Parmi eux, un des fondateurs de l’ICAIC, Enrique Pineda Barnet, auteur d’un des plus importants succès du cinéma cubain, La Belle de l’Alhambra (1989), dont le dernier titre, Verde Verde, n’a pas été sélectionné par le festival. Tomas Piard, réalisateur de deux films sur l’écrivain José Lezama Lima, s’est exprimé dans le même sens.
L’affaire a été relancée par une lettre ouverte d’Enrique Colina, un vétéran de l’ICAIC, longtemps animateur du principal programme de la télévision cubaine consacré au cinéma, 24 por segundo. Son documentaire de long métrage Los bolos en Cuba y una eterna amistad a été également refusé par le comité de sélection, qui l’a cantonné dans une section non compétitive, Hecho en Cuba, une voie de garage.
Colina rappelle à ce propos un précédent de 2010, le magnifique film Memorias del desarrollo du jeune Miguel Coyula, très iconoclaste, écarté de la compétition à La Havane, alors qu’il a tourné dans les festivals d’autres pays avec beaucoup de succès. Colina qualifie ce type de décision de « censure molle ».
Colina s’était distingué dans les années 1980 par des documentaires de court métrage, où il croquait les travers des Cubains et employait des chansons populaires en guise de contre-point ironique, bien avant qu’Almodovar n’utilise le procédé. Los bolos en Cuba y una eterna amistad évoque la présence des Soviétiques dans l’île avant l’implosion de l’URSS, par un montage d’actualités de l’époque et des témoignages d’intellectuels ou de gens de la rue.
Coproduction franco-cubaine présentée sur la chaîne française Histoire dans une version plus courte sous le titre Les Russes à Cuba, le film de Colina confirme le regard aigu qu’il porte sur son pays et le talent dont il fait preuve pour donner du sens à des matériaux hétérogènes. C’est un excellent documentaire, plein d’humour, et une réflexion stimulante sur l’histoire contemporaine, qui éclaire la crise du socialisme cubain.
Dans sa lettre, Enrique Colina discute les critères de sélection du festival et demande « davantage de rigueur intellectuelle ». « La vieillesse entraîne la sagesse, mais aussi la décrépitude, écrit-il. J’espère que le festival ne sera pas contaminé par le vieillissement qui est en train de nous ronger les os. »
Le président du festival, Alfredo Guevara, fondateur de l’ICAIC et ami de jeunesse de Fidel Castro, a défendu son comité de sélection. « Moi, il faudra me sortir d’ici à coups de canon », a-t-il lancé à l’adresse de ses détracteurs.
Le festival 2011 présentera 445 films, dont 121 en compétition.
http://www.habanafilmfestival.com/
Paulo Antonio Paranagua