DÉMASQUÉ – Le masque de « V pour Vendetta », symbole de toutes les contestations
La fiction rattrape la réalité. Ce masque est aujourd’hui devenu le symbole de toutes les luttes. Indignés, Occupy Wall Street, jeunes du printemps arabe, militants anti-G8 et G20, sans oublier les pirates Anonymous (dès 2008), tous les mouvements de contestation l’arborent par goût de l’anonymat et du refus de la personnification. Peut-être aussi pour le sentiment étrange – de l’inquiétude si ce n’est de la crainte – qu’il suscite quand on le regarde.
Ce masque a été remis au goût du jour en 1989, dans la BD d’Alan Moore : V pour Vendetta, qui raconte l’histoire d’un anarchiste, révolutionnaire dans une société anglaise dévastée aux main d’un parti fasciste appelé le Norsefire (le ”Feu nordique” en français). Alan Moore et son dessinateur David Lloyd s’étaient eux-mêmes inspirés de la réalité puisque ce masque est en fait la représentation du visage de Guy Fawkes, un (presque) régicide anglais qui en 1605 avait élaboré la Conspiration des poudres pour tenter d’éliminer le roi Jacques I, coupable, selon lui, de persécution religieuse.
Invité à réagir à ce nouvel élan pour ce visage de plastique dans les colonnes du Guardian, Alan Moore n’est pas étonné de voir son invention pulluler. “Je suppose que je suis habitué à l’idée que certaines de mes fictions passent dans le monde réel”, dit-il. Ce qui n’empêche pas l’homme à l’épaisse barbe, qui vit sans connexion Internet, de s’en féliciter. “Je suppose que quand j’écrivais V pour Vendetta, je pensais au fond de mon coeur : ne serait-ce pas génial si ces idées avaient un impact ? Quand vous vous apercevez que le fruit de votre imagination pénètre le monde réel…
C’est étrange. C’est comme si le personnage que j’ai créé trente ans auparavant quittait le royaume de la fiction.”
Plus prosaïquement, il remarque aussi que les ventes en hausse de ce masque profitent à la multinationale du divertissement Time Warner, qui, en 2006, a produit une adaptation cinématographique du comic d’Alan Moore et qui depuis en détient les droits. “Ce doit être un peu embarrassant pour une telle entreprise de profiter d’un mouvement anticapitaliste. Ce n’est pas un phénomène avec lequel ils veulent être associés. Et pourtant, ils n’aiment pas refuser de l’argent – cela va contre leur instinct !” s’amuse-t-il.
Les contestataires de tous horizons nourrissent donc malgré eux l’une des incarnations de ce qu’ils abhorrent. Reste à leur souhaiter une meilleure fin que celle de Guy Fawkes. Le conspirateur, aux aspirations révolutionnaires, a fini pendu, éventré et équarri en place publique.
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