De Cuba libertaire

Entretien publié dans le supplément au Monde libertaire de la semaine du 3 au 9 novembre 2011, avec Daniel Pinós, militant anarchiste (du GALSIC, Groupe d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba) et Karel Negrete, libertaire cubain (coordinateur pour l’Europe du réseau Observatoire critique).

Propos recueilli par Agnès Pavlowski  pour Radio libertaire et  l’émission « Pas de quartier ».

Le régime castriste a la vie longue. Le 8 janvier 1959, Fidel Castro entre à La Havane à la tête de son armée rebelle. Le régime dictatorial de Batista est remplacé par une dictature communiste ; Fidel Castro détient tous les pouvoirs. La terre est partagée entre les paysans (mais on ne peut parler d’autogestion généralisée : les terres socialisées appartiennent à l’État, des plans de type soviétique sont mis en œuvre par des ingénieurs souvent coupés des paysans et de leur réalité), les biens privés et les moyens de production sont distribués. Les progrès dans la santé et dans l’éducation vont faire la renommée du pays.
Depuis 2008, Fidel Castro, malade, a cédé sa place à son frère, Raul Castro. Et, ces dernières années, le paysage politique et économique de Cuba a, quelque peu, évolué.

De petites entreprises privées et un marché étatique composent une économie mixte en développement. En outre, depuis longtemps, cohabitent un secteur public – où les employés, peu payés, accèdent aux denrées des magasins d’État – et une économie « dollarisée », celle de la débrouille, du marché noir et des entrées de devises, grâce à l’argent qu’envoient les Cubains vivant à l’étranger.
Depuis la chute de l’Union soviétique dont le pays dépendait, Cuba connaît une crise économique endémique qui a fait voler en éclats tous les mythes des acquis de la Révolution.

Dans le régime cubain, quelques brèches entrouvrent des espaces étroits et bien fragiles d’expression d’opposition, dans lesquels les libertaires donnent à entendre leur propre voix.
Pour nous éclairer sur ce pays et les libertaires cubains, Daniel Pinós, militant anarchiste (du GALSIC, Groupe d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba), qui se rend régulièrement à Cuba et dont le dernier voyage date de l’été, et Karel Negrete, libertaire cubain (coordinateur pour l’Europe du réseau Observatoire critique[1]), résidant à Paris depuis deux ans, ont été invités, à Radio libertaire, dans l’émission « Pas de quartier », du groupe Louise Michel.

Karel Negrete revient sur le contexte passé dans lequel régime s’est instauré.
Karel Negrete : « Le castrisme s’est établi lors de la guerre froide. Dans les années soixante/soixante-dix, celles de la plus forte répression à Cuba : les USA préparaient des attentats terroristes avec des Cubains de l’intérieur au pays et avec des paramilitaires à Miami. Il y a eu la crise des missiles.
La tension était intense ; il était opportun d’empêcher toute critique, alors qu’il y avait dans l’île des anarchistes, des mouvements démocratiques, Révolutionnaires, en désaccord avec Fidel Castro, avec le gouvernement Révolutionnaire. »
Daniel Pinós souligne : « La Révolution cubaine avait un esprit libertaire. La volonté de libération était très forte, mais une chape de plomb s’est installée. La constitution soviétique a été copiée. Durant leur enfance, les Cubains ont été gavés des valeurs du combattant, des guérilléros, des héros.
Fidel Castro a mis en place le parti unique, la presse inféodée au pouvoir, au Parti, les organisations affilées. À Cuba, il n’y a que la presse officielle ; publier une revue libertaire est interdit[2].
Dans les années soixante, à une époque où des gens souhaitaient un changement sur des bases plus libertaires, Fidel Castro, se rapprochant de l’Union soviétique, devait avoir une main ferme. Dans un discours célèbre, il s’adresse aux intellectuels en leur déclarant : ‘’Dans la Révolution tout, hors de la Révolution rien !’’
Aujourd’hui, à Cuba, on vit toujours sous ce diktat, même s’il y a une possibilité d’expression plus importante. »

Sous la présidence de Raul Castro, le régime a effectivement un peu changé. Pouvez-vous nous éclairer sur ses changements et leur portée ?
Daniel Pinós : « Cela fait maintenant quelques années que Raul est devenu chef d’État. Fidel[3] a pris de la distance parce qu’il ne pouvait plus exercer ses fonctions, pour des raisons médicales.
Raul les exerce toutes. Il a été reconduit lors du dernier congrès du PC cubain, en avril, dans son rôle de dirigeant du parti. Il est le chef de l’État.
Il y a une transformation dans l’exercice du pouvoir. Fidel, impulsif, avait une tendance à un autoritarisme très marqué. Il imposait beaucoup de réformes, parfois malgré les avis des spécialistes.
Raul est arrivé au pouvoir en plein marasme économique, consécutif à la période spéciale[4], cela imposait de mener des réformes. Or, réformer est plus aisé lors d’un changement dans la direction du Parti et de l’État. Il a été nommé parce qu’il était alors le numéro deux du régime, mais aussi parce qu’il fallait donner de l’espoir aux Cubains. »


Dans ce régime, qui s’est assoupli, qu’en est-il des prisonniers politiques ?
Daniel Pinós : « Bien que, ces derniers mois, des prisonniers d’opinion ont été libérés grâce l’intervention du Vatican, notamment, et du gouvernement espagnol, il y a toujours des prisonniers d’opinion, des prisonniers politiques, qui ne sont pas reconnus comme tels, puisqu’à Cuba ce statut n’existe pas.
« Il n’y a pas de liberté d’expression, même si le rapport avec ceux qui veulent changer les choses se transforme. Mais, pour eux, le danger est permanent.
Ainsi, nos amis de l’Observatorio crítico et de l’atelier libertaire de La Havane ne sont pas arrêtés comme par le passé, mais ils subissent des pressions pour les empêcher d’agir. Il leur est difficile de trouver le juste milieu pour s’exprimer, faire face.
J’étais au forum social de La Havane, en mars, organisé par l’Observatoire critique. Il a été interdit parce qu’il devait avoir lieu à Santa Clara, dans un centre culturel réputé pour une programmation ouverte. Le directeur a subi des pressions de la sécurité de l’État, et le forum a dû se tenir dans un lieu inconnu de la police, dans des conditions compliquées. »

Contrairement à d’autres régimes dictatoriaux, ici les règles, les interdits sont quelque peu fluctuants. Ce qui est aujourd’hui toléré, ne le sera peut-être pas demain. Cela est particulièrement insécurisant.
Daniel Pinós : « Oui, résister, développer des idées différentes est encore plus difficile de ce fait.
Nos camarades, qui se disent Révolutionnaires et font un bilan critique de la Révolution, reconnaissent, contrairement à l’opposition traditionnelle de droite, voire socio-démocrate, que dans le domaine social, l’éducation, la santé, il y a eu des avancées. Selon eux, ces avancées doivent se poursuivre. Leur mot d’ordre est ″ la Révolution dans la Révolution ″. Le pouvoir ne peut pas agir, vis-à vis d’eux, comme avec les opposants capitalistes, pro-américains. »

La liberté de circuler, de voyager est-elle encore très limitée pour les Cubains ?
Karel Negrete : « Beaucoup de personnes attendent l’autorisation du ministère de l’Intérieur. La procédure est lourde. Paradoxalement, aujourd’hui, près de deux millions de Cubains sont à l’extérieur. C’est pour cela que l’on dit qu’à Cuba, il est difficile de sortir, mais que ce n’est pas impossible. »

Est-ce que, comme dans certains pays, pour certaines personnes, l’autorisation de sortie est assortie d une interdiction de revenir ?
Karel Negrete : « Oui, bien des gens autorisés à quitter le pays ne sont pas autorisés à y rentrer. »
Daniel Pinós : « Les dissidents libérés dernièrement ont été contraints de partir pour la plupart en Espagne, avec une interdiction de retour. »

Les militaires ont-ils une place importante dans le gouvernement ?
Daniel Pinós : « À Cuba, la moyenne d’âge des principaux dirigeants est de 78 ans. Il s’agit d’une gérontocratie militaire, dans laquelle non seulement les personnes sont âgées, mais elles sont, en plus, malades. Qu’arrivera- t-il si, demain, ces individus se maintiennent au pouvoir ?
À chaque tentative de renouvellement des cadres, cette génération, qui a fait la Révolution, a montré combien elle avait du mal à passer la main. Ces vieux militaires sont davantage contestés au sein du Parti qu’auparavant, mais cela n’affecte pas leur mainmise sur les organes dirigeants. »

Ces militaires ont, par ailleurs, investi les secteurs de l’économie les plus florissants, tel le tourisme, au sein d’une économie brisée par la chute du régime soviétique, qui lui assurait l’importation de nombreux produits et un soutien financier, comme l’explique Daniel Pinós :
« L’influence soviétique a été importante dans nombre de domaines, au point que Cuba appartenait au bloc de l’Est, bien qu’étant dans les Caraïbes, et même si les dirigeants cubains se situaient dans le camp des Non-alignés.La fin du bloc soviétique à entraîné, à Cuba, un effondrement de l’économie. L’île ne s’est jamais remise de ce lâchage, qui a mis fin à la perfusion soviétique. Pourtant, le tourisme s’est développé. L’industrie sucrière, qui n’était plus compétitive ─ le sucre était alors payé au prix du marché, alors qu’auparavant l’URSS le payait bien au-dessus ─, a été abandonnée. Il y a eu des investigations dans le domaine du pétrole, de la recherche. Les Cubains ont essayé de trouver un peu de souffle. Mais cela n’a pas suffit à enrayer la crise.Aujourd’hui, au quotidien, les Cubains sont confrontés à de graves difficultés, dues aussi à la désorganisation, à la corruption liée au marché noir et à la bureaucratie omniprésente.Depuis longtemps, l’armée a un pouvoir économique important. Les principales entreprises touristiques, qui produisent une manne considérable, sont dirigées par des militaires. Ces derniers n’ont aucun intérêt à une « libéralisation » de l’économie, telle que le voudraient certains se disant progressistes et qui tentent d’ouvrir le pays à des sociétés étrangères.Des ministres, au rôle économique important, ont été évincés du gouvernement, soupçonnés d’entretenir des liens trop étroits avec des sociétés étrangères, et, notamment, avec les Vénézuéliens. Ainsi, en est-il de Carlos Lage, ex ministre de l’Économie, supposé prendre les fonctions suprêmes, après le départ de Raul.Il y a une lutte au sein du pouvoir pour préserver sa place. Certains veulent accéder à davantage de pouvoir, en s’appuyant sur des réformes. »

Quelles sont les conséquences de la crise économique dans la vie de la majorité des Cubains ?
Daniel Pinós : « Vivre sous la période spéciale signifie s’affronter aux difficultés économiques avec les moyens dont on dispose sur place : les possibilités agricoles, les conditions de distribution des denrées. Il a fallu improviser pour couvrir les besoins médicaux dans les zones où les médicaments manquaient.
« Dans les années quatre-vingt-dix, il y a eu des cas de malnutrition à la Havane. Des coupures d’électricité duraient des jours, des coupures d’eau se prolongeaient. Et sans pétrole, il n’y avait plus d’essence.
« Tout le monde était dépassé, et, en premier lieu, le gouvernement. Alors, les symptômes d’une économie en crise sont apparus. Parallèlement au développement du tourisme, on a vu celui de la prostitution, du marché noir.
« Dorénavant, les coupures d’électricité sont de moindre importance ; le Venezuela livre le pétrole aux Cubains. Il a proposé un accord pour se ravitailler en pétrole au moindre coût, avec un tarif au dessous du prix du marché.
« Des domaines phares de la Révolution cubaine, l’éducation, la santé, le logement sont très affectés. L’objectif fixé par la Révolution : la fin de l’illettrisme à été atteint. Mais, aujourd’hui, il est difficile de trouver des enseignants. Certains renoncent à leur poste pour exercer dans le tourisme où ils toucheront plus d’argent et, notamment, des devises. »

Quelle est la journée type d’un cubain ordinaire ?
Karel Negrete : « J’ai vu des Cubains se réveiller à 5 heures du matin pour travailler à 9 heures. Il faut se réveiller tôt à cause du manque de transport[5]. Les véhicules privés sont rares, les transports en commun sont très insuffisants, même si la situation s’est un peu améliorée depuis les années quatre-vingt-dix. Voyager deux, trois heures, aller et retour, dans de mauvaises conditions, est le lot quotidien de la majorité des Cubains. Parfois, arrivés au travail, ils ne peuvent rien faire à cause des coupures d’électricité, du manque de matières premières. Alors, ils bavardent, boivent et passent ainsi la journée. »
Daniel Pinós : « La désorganisation est terrible. Elle n’est pas nouvelle. Je me souviens, dans les années quatre-vingts, en plein essor de l’île, avec l’aide soviétique, on parlait déjà de problèmes de planification, interrogeant ainsi le type de régime et le système économique.
À partir de 1984, le ‘’Processus de rectification des erreurs et des tendances négatives‘’ a été initié, visant à mettre fin aux mécanismes bureaucratiques et centralisateurs. Il fut interrompu lors de l’effondrement de l’Union soviétique. Cette question de la désorganisation de l’économie est une maladie chronique.
Le régime n’est pas tout à fait le même ; on parle de réformes, de libéralisation, mais il y a encore des scories.
Aujourd’hui, faire porter la responsabilité sur tous les cadres du régime est facile. Mais nous savons que la politique générale n’est pas définie par la bureaucratie, mais par les plus hauts dirigeants, les mêmes depuis le début. Fidel Castro détenait les rênes du gouvernement, du Parti, et il était l’inspirateur des grandes réformes, des grandes campagnes. L’économie a été gérée sur ce mode autoritariste[6]. »
Karel Negrete : « Les effets négatifs de l’embargo américain sont indéniables, mais on peut incriminer un embargo intérieur dont le gouvernement est responsable. La politique de ‘’rectification‘’ signifie bien que le gouvernement reconnaît s’être trompé. »

Dans ce contexte, comment les jeunes vivent-ils la politique ? S’y intéressent-ils ?
Daniel Pinós : « Une vraie fracture générationnelle existe entre ceux qui ont connu les années précédant la période spéciale et ceux qui n’ont rien connu d’autre que les difficultés, les restrictions.»
Les jeunes sont victimes de la détérioration du système, c’est pourquoi ils n’adhèrent plus au modèle Révolutionnaire. »
Karel Negrete : « Les plus âgés, qui ont donné leur vie à la Révolution, sont frustrés, sans espoir pour l’avenir. Les jeunes sont le produit de ces frustrations et ils ne sont pas indemnes des modes de consommation américaine. Ils sont très influencés par les modes de consommation occidentaux importés par les touristes et les Cubains vivant aux États-Unis.
« Le cinéma américain commercial, la musique américaine sont très présents. La mode américaine a une grande influence. Ceci est possible parce que, si Cuba a bien un régime totalitaire, celui-ci n’est pas carré. Le pays n’est pas totalement fermé aux influences étrangères.
Donc, cette génération réfléchit différemment de celle de ses parents. Elle a d’autres idées, d’autres envies. Le rêve de la consommation est bien là. Certains veulent surtout avoir de l’argent pour posséder une voiture, être bien habillé, sortir, aller en discothèque.
Mais parmi ces jeunes, certains puisent dans les idées marxistes, féministes, écologistes ou libertaires pour comprendre les problèmes de Cuba et trouver des pistes pour mieux vivre. »

Nombre de ces derniers ont rejoint l’Observatoire critique. Comment celui-ci fonctionne-t-il ?
Karel Negrete : « Au début, de petits groupes, des associations ont réalisé qu’ils avaient des points communs, qu’ils partageaient les mêmes critiques sur le gouvernement, tout en concevant le futur de la société cubaine selon une base commune. »

Quelle est leur vision commune de l’avenir pour la société cubaine ?
Karel Negrete : « Tous mettent en avant le respect de la nature, de l’environnement. À Cuba, les idées écologiques sont très importantes, surtout en ce moment où l’on projette d‘y introduire le maïs transgénique, et où la faune et la flore du pays sont détruites en de nombreuses régions par des projets touristiques délirants, avec la construction de terrains de golf nécessitant beaucoup d’eau et de résidences grand standing pour les touristes les plus riches.
D’autre part, au sein de l’Observatoire critique, nous allons à la rencontre du peuple. Le gouvernement affirme que ‘’le socialisme c’est le pouvoir du peuple‘’. Ce n’est qu’un discours. Aujourd’hui, c’est bien aux ouvriers, aux travailleurs de décider et non aux spécialistes. Les citoyens ne sont pas pris en compte, leurs besoins sont négligés. Nous appelons au pouvoir des citoyens.
Nous n’avons pas à chercher des exemples à l’étranger. À Cuba, existent des expériences intéressantes : le pouvoir municipal, le pouvoir des quartiers. Dans ces espaces, les membres de l’Observatoire critique vont à la rencontre des personnes. »
Daniel Pinós : « C’est important que des décisions comme l’implantation du maïs transgénique soient remises en cause par l’Observatoire critique, à travers le groupe ‘’Le garde forestier‘’, dont des membres se réclament des idées libertaires.
Ce réseau de l’Observatoire rassemble des personnes qui proposent un socialisme vraiment participatif et démocratique, avec un esprit libertaire. Formé d’activistes de terrain, il réalise des expériences dans ce sens.
Le ‘’Trencito‘’ (le petit train) est un groupe formé d’activistes travaillant sur un quartier populaire de La Havane. Depuis des années, ils proposent à des enfants une pédagogie libertaire. Elle est bien différente de celle endoctrinante du pouvoir, visant à fabriquer des petits soldats du régime. D’ailleurs, elle n’a plus son efficacité, même si on l’inculque encore : saluer le drapeau le matin, chanter l’hymne national, lancer des odes à Che Guevara, à Camillo Cienfuegos et aux héros de la Sierra Maestra. »
Karel Negrete précise : « Les gens du Trencito ont puisé des idées contre l’éducation traditionnelle dans les expériences libertaires, et, en particulier, en Amérique latine. Leur éducation amène à chercher la vérité, avec quelqu’un qui aide à la trouver, en montrant le chemin. Il s’agit bien de donner les moyens de penser par soi-même. »
Daniel Pinós poursuit : « Dans l’Observatoire critique, les membres de Socialisme participatif et démocratique – une tendance marxiste critique – travaillent en harmonie avec les libertaires. Ils apportent des idées, parfois d’ailleurs reprises par le gouvernement. Par exemple, créer des coopératives de production gérées par les travailleurs eux-mêmes. Le dernier congrès du Parti communiste a accepté l’idée que ces coopératives se développent dans l’agriculture et dans l’industrie.
Socialisme participatif et démocratique se bat pour que ces projets prennent naissance contre la bureaucratie. En son sein, il y a des anciens cadres déchus du Parti communiste parce qu’ils répandaient une critique à l’intérieur même du système en place. Ils ont beaucoup apporté, grâce à leur expérience militante. Aujourd’hui, ils ont une grande aisance à travailler avec des libertaires, des écologistes, des féministes. Tous ont une vision commune sur ce qu’il faut transformer dans la société cubaine. »

Quelle est la place des libertaires dans l’Observatoire critique ?
Daniel Pinós : « Les libertaires y jouent un rôle important. Ils sont regroupés au sein de l’Atelier libertaire de La Havane, un groupe clandestin, puisqu’il ne peut pas avoir pignon sur rue.
Par leur dynamisme, ils sont mobilisateurs parce qu’ils agissent sur le terrain et sont très novateurs. Je pense pouvoir le dire en toute impartialité, tout en reconnaissant les contributions des autres.
Ces libertaires ne partagent pas la vision insurrectionnaliste de certains jeunes anarchistes en France, très révolutionnaires, très radicaux dans leurs prises de position, mais peu efficaces sur le terrain social, en raison de leur manque de liens avec les travailleurs. Les Cubains ne sont pas comme cela.
La première fois que j’ai rencontré les copains de l’Observatoire et ceux qui ont formé l’Atelier libertaire, j’ai cherché à les comprendre. L’un d’eux m’a dit : ″La violence, ce n’est pas notre moyen de lutte pour combattre un pouvoir, qui, depuis notre prime enfance, nous rabâche que nous sommes les héritiers des guérilléros, des héros de la patrie. Il est évident qu’afin de transformer les choses, nous n’allons pas reproduire le modèle insurrectionnaliste de Fidel et du Che. Si nous tentions de prendre les armes aujourd’hui, nous serions impitoyablement réprimés et condamnés à mort. Ce n’est que par le débat d’idées, avec des méthodes non-violentes et beaucoup d’imagination que nous y parviendrons.″ »
Karel Negrete ajoute : « Les libertaires sont très présents dans le domaine culturel, car nombreux sont les intellectuels, les artistes proches des idées libertaires. Ainsi, ils peuvent s’exprimer. Nombre d’articles, de livres sur la réalité cubaine sont l’œuvre de libertaires.
Il existe une musique contestataire et interdite dans toute l’île, le hip hop, la trova – un style musical né avec la Révolution, fait de poésies et de chansons –, qui parle de ce qui se passe à Cuba. Les chansons abordent les contradictions entre les générations. Les jeunes questionnent et critiquent les anciens. Ils veulent réfléchir par eux-mêmes»
« Ils enregistrent dans des studios clandestins. C’est de bouche à oreille qu’ils se font connaître, au moyen de CD auto-produits et de clés USB, qui passent de mains en mains », précise Daniel Pinós.


[1].http://www.polemicacubana.fr
[2]. L’accès à Internet est limité et contrôlé.
[3]. Daniel Pinós explique « À Cuba, on dit Fidel, et non Fidel Castro, comme on dit le Che. Il y a une certaine ambigüité liée au paternalisme où on reconnaît l’existence du chef, avec une sorte de familiarité. »
[4]. La période spéciale débute dans les années quatre-vingt-dix, avec la chute de l’Union soviétique. Elle augure d’une crise économique qui perdure.
[5]. Avant, comme dans tous pays communistes, pour avoir une voiture, il fallait obtenir une autorisation qui dépendait du « mérite » de chaque travailleur. Pour avoir une maison, il en était de même, mais les brigades de volontaires, qui travaillaient gratuitement les fins de semaine à la construction de leur maison, avaient longtemps masqué le problème. Selon Karel Negrete, ces expériences intéressantes ne sont plus d’actualité.
[6]. Un exemple frappant est souvent repris : en 1970, Fidel Castro a décidé, seul, du jour au lendemain, d’accroître, autour de La Havane, tout près du centre ville, la production du café. On a déblayé des terrains, déboisé, laissé des terres en friche. Des volontaires sont venus planter du café. L’échec a été cuisant, le volontarisme des Cubains n’était pas suffisant, le manque de méthode, l’absence d’outils et la désorganisation globale ont mis fin au rêve de Fidel Castro.


Enrique   |  Politique, Société   |  11 7th, 2011    |