Le graffeur et le tyran
« Quel plus grand malheur peut subir un État quand des gens honnêtes sont condamnés à l’exil comme des criminels, parce qu’ils pensent de manière différente et ils ignorent les faux-semblants ? Quelle est la chose, je le répète, la plus nocive ? Celle de conduire à la mort et de considérer comme des ennemis des hommes qui n’ont commis aucun crime ou délit, mais des hommes qui ont une pensée libre ? ».
Baruch Spinoza (1632-1677).
Ce n’est pas une fable, mais une situation très réelle où le pouvoir d’un général président se déchaîne contre un humble dessinateur de graffitis. Il est impossible d’imaginer un combat plus inégal, c’est pour cela que les oppresseurs essayent de se justifier en inventant des complots et des réseaux qui téléguideraient l’artiste. Ils ont honte de confesser qu’ils craignent ce qu’ils ont appelé eux-mêmes des “papelitos” (des flayers). Mais la vérité c’est qu’ils n’ont pas tiré parti de cette affaire. El Sexto, le Sixième – un jeune homme, mince, pauvre, isolé dans sa propre ville et même reclus selon certains – a maintenu le régime en haleine durant la période qu’il passa en prison, alors que le nombre ses admirateurs augmentait.
Et Aristote, du fond de la Grèce antique, soulignait une chose curieuse, les tyrans étaient entourés par des individus de la pire espèce, par les éléments de la société ayant le moins de scrupules. Il convient de poser la question aujourd’hui à Cuba – une île surnageant au milieu d’un brouillard de honte d’où transpire une corruption et une impunité sans aucun soupçon –, qui a exécuté l’ordre de détention contre le graffeur ? La réponse ne se fait pas attendre : certains de nos compatriotes, nommés par le pouvoir révolutionnaire en provenance des coins les plus reculés du pays et prêts à vendre leur âme afin de parvenir à s’installer dans la capitale et dans la maison d’un habitant de La Havane peut considéré.
C’est le rêve provincial des futurs agents de police, ceux qui frappent avec plaisir les habitants de la capitale, déchargeant ainsi toutes leurs frustrations sexuelles, économiques et sportives. Si La Havane a été congelée dans la « période spéciale », à l’intérieur du pays on vit toujours à l’époque soviétique. C’est pour cela qu’on y voit des abus d’autorité et une répression plus brutale et plus visible. Rien de plus logique, donc, d’extraire de cette pépinière les sbires révolutionnaires.
Mais, je pose la question : Qui a ordonné l’arrestation ? Il n’est pas difficile d’imaginer que les responsables sont des officiers supérieurs, la tête pensante de l’appareil répressif, ce qui met en évidence l’amalgame impliquant toutes les provinces aussi, le point le plus important n’étant pas la géographie, mais « l’efficacité bureaucratique », accompagné de la flatterie, du léchage de bottes des supérieurs.
Mais qui sont les supérieurs ? Le reste de la pyramide, dont nous connaissons tous le sommet : la plus haute des hiérarchies révolutionnaires, entourée par ce fléau à laquelle Aristote faisait allusion, des fonctionnaires exclusivement dédiés à la construction d’un mur d’inconditionnalité et d’aveuglement autour du tyran.
Dans l’ancienne Union soviétique, une blague indiquait les 5 règles du socialisme, à savoir :
• Ne pense pas.
• Si tu penses, ne parles pas.
• Si tu penses et tu parles, n’écris pas.
• Si tu penses, tu parles et tu écris, ne signes pas.
El Sexto a violé tout cela et, par conséquent, on lui a appliqué la cinquième et dernière règle :
• Si tu penses, tu parles, tu écris et tu signes, ne sois pas surpris.
Et voici la dernière question : comment un tyran peut craindre un graffeur ? Le tyran ne fait confiance à personne, c’est pour cela qu’ils s’entourent des pires individus. Mais ce qui est sûr c’est que le tyran est aussi un vieil homme devenu fragile et craintif. Avec le vieillissement s’empare de lui la terreur de la mort, tout simplement, il ne l’accepte pas comme un phénomène naturel et dans le même temps, il commencer à réaliser qu’il n’est pas immortel et qu’il devra payer s’il y a une vie après la mort. Ainsi, au crépuscule de son existence, après une vie d’athée sans loyauté, le tyran se convertit en dévot. Tout le pouvoir et toute son autorité au-dehors contraste avec la fragilité et la petitesse qui le consume à l’intérieur, ce qui ne cesse de rendre plus maladroites encore ses décisions.
Le général président pourrait entrer dans l’histoire nationale en faisant un pas vers la démocratisation et la pleine liberté pour tout le pays, fermant ainsi un demi-siècle d’exécutions, de répressions et d’intolérances. Au lieu de cela, il préfère harceler un graffeur solitaire.
El Sexto a été libéré et tout restera identique : ses flayers continueront à montrer au monde que les Cubains rejettent le caractère fallacieux de la pseudo liberté révolutionnaire, tandis que le tyran se contemple dans le miroir et n’y voit que du vide.
Alexis Jardines
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El Sexto s’exprime sur le site Estado de SATS sur son arrestation par la Sécurité d’État :
Informations parus sur le site de l’Observatoire critique de La Havane :
Sur les murs de La Rampa, l’avenue où se trouve à La Havane, les bars, les cinémas, les boîtes de nuit et tous les lieux à la mode, sont apparus des graffitis innovants.
Sur les tâches de peinture qui tentent d’occulter les graffitis, il y a un texte qui se répète à l’infini :
NO STREET ART. ZONA LIMITADA
Est-ce pour célébrer le 25e anniversaire de l’Association des frères Saïz ? (une dépendance pour la jeunesse reliée au Ministère de la culture)
Sinon, peu importe. Nous disons : ¡LIBERTAD, WELCOME, FREEDOM!