Cuba prépare de nouveaux terrains de golf socialistes
Par Isbel Díaz Torres, membre du groupe écologiste “le Garde forestier” et du réseau Observatoire critique
Publié en espagnol sur le blog du réseau Observatoire critique :
Traduction de Daniel Pinós
Nous connaissions la nouvelle, Cuba va permettre aux étrangers d’acquérir des propriétés à perpétuité sur des terrains de golf très modernes situés sur notre territoire national. L’objectif final semble être de construire d’énormes complexes résidentiels faits d’hôtels et de golfs pour les touristes et la future bourgeoisie cubaine.
À vos marques… Prêt… Partez…
« Ils nous ont dit que ce projet est la plus importante priorité en investissement », a déclaré Graham Cooke, le concepteur canadien de terains de golf, il est l’architecte d’un projet sur la plage de Guardalavaca, sur la côte nord-est de l’île. Le projet, qui s’élève à plus de 455 millions de dollars, est promu par un consortium de sociétés canadiennes et a été signé au début du mois d’août.
Selon le ministre du Tourisme de Cuba Manuel Marrero, le gouvernement a négocié avec différentes sociétés étrangères le création des premières entreprises mixtes qui construiront ces terrains de golf à Cuba et les “développements immobiliers” touristiques qui correspondent.
La société Standing Feather internationale (SFI) a signé un protocole d’accord avec le gouvernement cubain à la fin avril, et le 6 juillet un accord a été trouvé afin de créer avec la société d’Etat cubaine Palmares, l’entreprise “Cuba-Kanata Golf SA.” Elles seront les premières à construire un golf, les travaux ont commencé en septembre, même si le projet n’a pas été divulgué dans les journaux télévisés, ni dans la presse écrite de l’île.
Nous savons aussi que le directeur exécutif du groupe londonien Essence Group, qui a parrainé des tournois internationaux de golf à Varadero, a pour projet de devenir le propriétaire d’un club champêtre de 300 millions de dollars sur la plus célèbre des plages cubaines.
À la fin juillet, Dianna Melrose, ambassadrice du Royaume-Uni sur l’île, a annoncé dans le cadre du ministère cubain des affaires étrangères que des hommes d’affaires de son pays désirent investir dans le secteur du tourisme à Cuba, et en particulier dans les nouveaux projets d’hôtels et de terrains de golf.
“Le Mexique est l’un des pays les intéressés par le fait de partager des expériences avec Cuba dans le développement du tourisme de golf”, a déclaré Gloria Guevara Manzo, responsable du secrétariat fédéral du tourisme, lors de la foire du tourisme FITCUBA 2011, en mai dernier. Des consultants de l’entreprise mexicaine “Piza : architecture de golf” apporte leur aide dans la conception et la construction des complexes touristiques Palmares, la société chargée du développement du golf en matière de tourisme.
Selon des déclarations des dirigeants mexicains, leur pays se trouve parmi les dix premiers partenaires commerciaux de Cuba, avec des échanges de 325 millions de dollars en 2010. En outre, l’investissement mexicain dans l’île est d’environ 730 millions de dollars, “ce qui nous positionne comme l’un des premiers investisseurs latino-américains dans l’île.”
Au total, les quatre premiers projets totalisent plus de 1 500 million de dollars, tandis que le New York Times affirme que le pourcentage des bénéfices revenant au gouvernement cubain sera d’environ la moitié.
Cuba possède actuellement trois terrains de golf de 18 trous : le camp de golf Capdevila, le Habana Golf Club, tous deux à La Havane, et le Varadero Golf Club, situé dans la station touristique populaire de Matanzas. Ce dernier a été construit avant 1959 par la famille Dupont. La perspective est de construire à court terme et à moyen terme 16 projets immobiliers qui conteront des terrains pour la pratique de ce sport.
Le ministre cubain du tourisme, lors de la première session parlementaire de 2011, avait assuré que l’accord a eu l’approbation du Conseil des ministres. Le fonctionnaire a indiqué que les quatre premiers projets seront développés dans les provinces de Holguin, Pinar del Rio, La Havane et Matanzas.
Questions de propriété
Dans sa volonté de devenir une destination exclusive et de référence dans les Caraïbes, Cuba a décidé de promouvoir un sport d’élite comme le golf, cherchant apparemment à revitaliser son économie.
À cette fin, le gouvernement ne s’est pas opposé à offrir des propriétés et des terres à vie aux acheteurs avec un usufruit de 99 ans. «Nous sommes fiers d’annoncer que le titre de propriété de luxe que les “compadres” vont acquérir n’auront pas un bail de 99 ans. En revanche, les propriétés résidentielles seront vendues avec un droit de propriété à perpétuité”, a révélé le consortium canadien au journal El Universal.
De telles exceptions attirent l’attention au moment où le gouvernement cède aux agriculteurs des terres en usufruit pour une période limitée de dix ans à peine, sous couvert du décret-loi 259. Ce n’est que récemment, que le gouvernement a autorisé la construction de maisons sur les terres louées aux paysans, cependant il ne permettra pas l’entrée des machines, comme les tracteurs, venant de l’étranger.
Pour Orlando Lugo Fonte, président de l’Association nationale des petits agriculteurs, le bail de dix années “est une limite et une contradiction.” C’est ainsi que s’est exprimé le dirigeant qui a défendu l’idée d’usufruit permanent et héréditaire pour les travailleurs agricoles.
D’autre part, il faut se rappeler des critiques que les dirigeants cubains ont émis historiquement à propos des terrains de golf, terrains qui furent démantelés après la victoire de 1959. Connu pour être “le sport de riches”, le golf a été supprimé à Cuba par Fidel Castro, celui-la même qui ridiculisa, en compagnie de Che Guevara, ce sport “pour bourgeois”.
Plus récemment, le président du Venezuela, Hugo Chavez, a également prononcé des critiques explicites contre les excès des classes supérieures et moyennes dans son pays. Avec le manque de logements dont souffre le Venezuela, le président sud-américain ne comprend pas pourquoi les golfs devraient s’étendre sur des terres de grande valeur “pour qu’un petit groupe de bourgeois et de petits bourgeois puissent aller jouer au golf.”
Parmi les nouvelles qui ont transpiré sur ce sujet, aucune n’insiste sur la priorité donnée aux pays de l’ALBA pour ce type d’investissement touristique. Il semble que l’intégration régionale devra se développer en marge des priorités de développement économique qu’a dessiné la plus grande île des Caraïbes.
Il ne semble pas possible de voir se développer ce sport pour le cubain moyen, car il n’y a pas de déclarations publiques des dirigeants sportifs dans ce sens, et les projets proposés sont clairement axés sur le tourisme international de premier plan. Sans compter que l’accès à de tels lieux et l’achat des équipements sportifs propres au golf sont hors de portée de la plupart des habitants de l’île.
En marge des débats idéologiques, la société Standing Feather internationale (SFI) s’est engagée à construire une série d’hôtels de cinq à six étoiles afin de rivaliser avec des destinations comme Saint-Domingue, les Bahamas ou Cancún. En prime, les résidents et les propriétaires de maisons dans le complexe de golf “Loma Linda”, de SFI, seront autorisés à importer leurs véhicules et ils pourront s’offrir des produits alimentaires importés “exclusivement” achetés et livrés à leurs domiciles.
La surface occupée par le complexe sera déclarée « zone spéciale de développement économique », selon les déclarations d’El Universal, et le gouvernement cubain va émettre un visa de “résident immobilier” qui permettra d’obtenir la résidence à long terme pour ces étrangers.
Ce mouvement ce projet faisant miroiter une prospérité future implique le réaménagement des terres, et la construction d’urbanisations associées aux terrains de golf. Au niveau international, le golf dépend de l’activité immobilière et provoque la hausse des valeurs immobilières.
La vraie affaire réside précisément dans ces urbanisations associées au golf, ce qui fait que les prix de ces maisons sont réévalués en moyenne de plus de 50 %. Généralement, ce ne sont pas des résidences principales, mais elles sont achetées par des investisseurs du golf et par des familles de classe moyenne ou supérieur qui les utilisent comme résidences secondaires dans des “régions exotiques” comme notre île dans les Caraïbes.
Demande en eau contre sécheresse chronique
Les terrains de golf sont traditionnellement contestés en raison de leur impact environnemental négatif. Chaque terrain de golf dépense un volume d’eau équivalant à la consommation d’une ville de 12 000 habitants. Un parcours de golf moyen à 18 trous et de 40 à 60 hectares d’extension. Sa consommation quotidienne moyenne est de 1 500 000 litres d’eau.
Il est facile de prédire l’impact sur l’environnement cubain, souffrant d’une sécheresse qui s’annonce sans fin. En outre, en plus de l’eau nécessaire à l’arrosage des pelouses, il faut ajouter l’exigence de créer pour stockage de l’eau des lacs artificiels qui font partie de la construction. Ceux-ci affectent la perte d’eau de surface par évaporation et par conséquent, conduisent à une consommation accrue de l’eau.
La mauvaise utilisation traditionnelle des engrais chimiques entraîne une altération majeure de la qualité des eaux souterraines, elle est due au composant de l’azote et du phosphore qui sont utilisés dans la revitalisation de la base de la pelouse, pour favoriser la croissance et lui donner plus de couleur. Il y a aussi les pesticides couramment utilisés qui provoquent une forte dégradation des aquifères, en raison d’une utilisation excessive ou en raison dans les zones irriguées d’une infiltration rapide.
Pendant la phase de construction et de stabilisation du terrain, l’impact négatif sur les écosystèmes est considérable. La nécessité d’irriguer, le drainage, le remodelage des pentes et de la construction, obligent à retourner les sols autochtones et à utiliser une machinerie lourde qui transforme le substrat, pour installer toute une série de canaux pour l’irrigation. Finalement, on remplit le terrain avec du gravier, du sable, un manteau végétal et la pelouse est déposée sur la terre.
D’autre part, l’esthétique du golf représente un type de paysage étranger, originaire d’autres pays avec des conditions sociales et environnementales différentes. L’implantation de ce sport implique une transformation radicale du paysage. D’un point de vue visuel, ce paysage peut représenter une esthétique, subjective et belle, mais il restera toujours étranger à l’environnement d’origine.
Externaliser l’impact
Comme indiqué, les terrains de golf nécessitent une grande surface de terrain, ce qui rend sa construction impossible dans les zones urbaines. C’est pourquoi traditionnellement on utilise des terrains non aménagés et des zones proches des zones naturelles. Une façon d’externaliser l’impact.
Bien sûr, ces coûts ne disparaissent pas en fumée, mais ils s’ajoutent au coût sans limite lié aux écosystèmes, ils détruisent en quelques décennies ce qui a été construit et stocké pendant des siècles. Bien sûr, on ne voit pas tout ça, sauf lors des tremblements de terre, des glissements de terrain spectaculaires, ou lorsque des cheminées gigantesques rejettent des gaz toxiques dans l’atmosphère, pour le grand public c’est comme si cela ne se produisait pas.
Après avoir fait disparaître les sources naturelles d’eau douce en détruisant les aquifères, il sera nécessaire de rediriger l’eau provenant de bassins éloignés. Une telle gestion externalise aussi l’impact de la sous-traitance, en exportant le problème “sécheresse” vers des colonies lointaines.
Bien sûr, l’obtention de permis environnementaux pour de tels changements ne sera pas très difficile, si le gouvernement souhaite justifier la nécessité de faire entrer des devises dans le pays, et s’il promet dans des rapports détaillés qu’il minimisera les impacts. D’autant plus, si une amende dérisoire pour des millionnaires venait à “équilibrer” la situation.
Ce ne serait plus une surprise si dans ces propriétés venaient à fleurir des casinos, avec des jeux de cartes et des paris durs, des machines à sous et d’autres formes de “tourisme de loisir”.
Pour l’instant, ce tourisme de première classe que Cuba n’a pas réussi à développer avec qualité durant toutes ces années, lié à la culture extensive du soja et du maïs transgénique, et l’exportation des services médicaux semblent être un élément important du pari gouvernemental menant à l’ouverture économique et au capitalisme global.