Macroéconomie : Les dilemmes de l’agriculture cubaine
Par Boris Leonardo Caro/Habana XXI
Depuis l’arrivée de Fidel Castro à la tête de l’État cubain, il y a plus de 40 ans, la majorité des terres ont été nationalisées. Sous l’influence de l’URSS, l’ex-président tenta d’établir un système agricole industrialisé dépendant de facteurs externes de production. C’est ainsi que, lorsque le mur de Berlin s’est effondré, la production agricole commença à chuter.
Raúl Castro, l’actuel président cubain, lança une vaste réforme en 2008 dans le but de donner à la population cubaine l’usufruit de nombreuses terres en friche. Le général des armées eut l’intuition que la subsistance du pays allait passer par une amélioration des conditions alimentaires de ses compatriotes. C’est pourquoi, bien avant d’arriver à la tête du pouvoir, il créa l’Armée « Jeunesse du Travail » à l’intérieur même des Forces Armées cubaines dans laquelle des milliers de jeunes recrues se dédiaient principalement aux travaux agricoles. « Les haricots sont plus importants que les canons », assurait Raúl Castro en 1993.
La fin de la grande propriété étatique ?
Le décret-loi 259 est entré en vigueur en septembre 2008. Ce fut le coup d’envoi de la grande réforme agricole à Cuba. Néanmoins, selon les chiffres officiels, on estime que plus de 3,7 millions d’hectares restent encore en friche soit 53% des terres cultivables du pays.
La loi permet à tous les Cubains de prendre possession de l’usufruit de terres en friche durant une période de 10 à 25 ans renouvelables.
Ceux qui en bénéficieront le plus seront probablement les paysans et les coopératives agricoles. En 2010, le secteur possédait plus de 40% des terres cultivables et en extrayait 70% de toute la production agricole du pays.
Pendant ce temps, plusieurs centaines d’entreprises et de coopératives publiques ont disparu, victimes de réorganisations du Ministère de l’Agriculture.
Toutefois, ce processus ne fonctionne pas avec la rapidité attendue. Les bureaucrates ont mis des bâtons dans les roues aux personnes souhaitant exploiter ces terres disponibles. Les délais d’approbation peuvent aller jusqu’à trois mois. Si la réponse des bureaux municipaux est négative et que l’on demande une réévaluation, les délais peuvent s’étendre jusqu’à six mois.
Pendant ce temps, les familles cubaines attendent encore cette hausse de la production agricole qui conduira à une baisse générale des prix. Mais rien ne semble venir. D’autres obstacles s’accumulent empêchant les fruits à se rendre sur la table des ménages.
Le nœud de la commercialisation
Les Cubains ont observé avec stupeur ces dernières années comment d’immenses récoltes de tomates, d’ails, de bananes et d’autres légumes ont été perdues par manque de camions pour approvisionner les commerces ou par des obstacles bureaucratiques empêchant leur commercialisation. Certains fonctionnaires semblent alimenter ce système où les étalages des magasins d’État sont vides alors que les échoppes privées sont remplies de denrées à des prix astronomiques. Quelqu’un a même osé dire à la télévision que cette abondance n’était qu’une « illusion d’optique ».
Les paysans cubains doivent vendre la majorité de leur récolte à l’État à des prix moindres que ceux pratiqués sur le marché libre. Seuls 10% des surplus agricoles se retrouvent dans des magasins privés régis par la loi de l’offre et de la demande.
Le secteur agricole a rapidement répondu à Raúl Castro quand celui-ci demanda un effort additionnel pour diminuer les importations. Le problème intervient lors de la commercialisation des produits. Le voyage entre les champs et les étals urbains est des plus incertains. La défaillance du système public de distribution a provoqué la perte de milliers de tonnes de produits alimentaires depuis le début de la réforme agricole. Cependant, les autorités ne prévoient pas de transformer ce système.
L’économiste Armando Nova, spécialiste des questions agricoles, propose la création de coopératives de transport qui se chargeraient de la vente et la distribution des produits agricoles dans l’intérêt des paysans locaux. En outre, il conseille d’autoriser la vente directe aux consommateurs par les producteurs qui seraient intéressés. De cette façon, les désastres du monopole public de commercialisation seraient atténués.
« L’objectif est que le producteur reçoive la plus grosse part du gâteau et que cela devienne stimulant pour le secteur afin que la production globale d’aliments s’accroisse », affirme Armando Nova dans la revue EconomicsPressService »
Alors que la pression s’accentue sur les fonctionnaires et sur les producteurs, Raúl Castro s’était exprimé sur la question dans un discours le 26 juillet 2009 : « La terre est bien là, les Cubains aussi. Nous verrons alors si nous pourrons produire, si nous pourrons travailler ensemble. Il n’est pas question de s’éprendre à crier « la Patrie ou la Mort » ou « à bas l’impérialisme ». La terre fertile est là, attendant qu’on s’occupe d’elle. Bien que les chaleurs soient de plus en plus étouffantes, il n’y a pas d’autres remèdes que de rendre cette terre productive ».