Les réformes arrivent au cœur de La Havane
L’atmosphère de l’avenue 23, une des principales artères de La Havane, a changé du jour au lendemain lorsque les autorités ont autorisé l’ouverture des commerces privés. Le quartier s’est dynamisé au rythme des nouvelles licences accordées aux candidats rêvant de succès.
Aucun nouveau bâtiment n’a été construit. L’asphalte de la rue n’a pas non plus été refait. C’est en fait toujours la même avenue qui traverse la ville du pont de la rivière Almendares jusqu’au Malecón. Elle est parsemée d’endroits emblématiques dans l’histoire de la ville : l’angle des rues 23 et 12 où Fidel Castro annonça l’avènement du socialisme, le glacier Coppelia appelé « la Cathédrale de la glace », le cinéma Yara (un des plus célèbres de l’Île), l’hôtel Habana Libre (Habana Hilton avant 1959) ou le tronçon allant de la rue L jusqu’au Malecón connu comme La Rampa. Les changements ont lieu sous un autre aspect : le développement du petit commerce.
Cafétérias et « timbiriches »
L’ouverture gouvernementale à l’initiative privée a conduit à une explosion du nombre de cafétérias à La Havane. Les « timbiriches » (le nom donné à ces petits points de vente à Cuba) font preuve de beaucoup d’imagination pour attirer les clients. Dans un pays où la publicité commerciale est inexistante depuis cinq décennies, le marketing est rudimentaire mais parfois très drôle.
Les Cubains ont réinventé le mall des pays capitalistes. Sous un même toit, on peut trouver des hamburgers, des rafraîchissements, du café mais aussi des disques « copiés » ou encore des vêtements et des bijoux présentés sur un rustique présentoir et vendus par une vieille dame.
Car Cuba est devenu un nouveau paradis pour la piraterie. Produits localement ou importés d’obscurs ateliers chinois ou de Miami, les faux tee-shirts « Dolce & Gabbana » côtoient le dernier disque de Shakira. C’est peut être le seul endroit au monde où on paye des impôts tout en violant les lois du copyright sans préoccupation.
Certains artistes cubains se sont déjà plaints de cette invasion discographique des particuliers. Toutefois, les institutions culturelles hésitent à se lancer dans une campagne brimant le travail privé. En fait, le feu vert est venu de très haut : du président Raúl Castro en personne qui a besoin de ces emplois pour reclasser le million de fonctionnaires qui va être licencié dans les prochaines années.
En réalité, l’explosion commerciale n’est pas nouvelle. Mais la validation de 178 nouvelles activités a conduit ceux qui exerçaient leur métier discrètement à s’afficher dorénavant au grand jour, sans chercher la complicité d’un inspecteur de l’état ou d’un agent de l’ordre public. D’autres ont cependant décidé de continuer illégalement pour ne pas être obligé de payer des impôts ou parce que leurs compétences professionnelles, plus sophistiquées que celles nécessaires pour vendre des palitroques, n’ont pas été prises en compte dans la récente réforme du marché du travail.
La bureaucratie réticente
L’invasion commerciale est plus dramatique dans la zone proche de Coppelia. On a vu ressortir du néant des anciens chariots de supermarchés des années 70 et 80 où autrefois s’entassaient des produits de l’ancienne Union Soviétique.
Les compotes bulgares et les confitures est-allemandes ont évidemment disparues. Les chariots sont aujourd’hui remplis de petites galettes, de biscuits, de malangas frits et d’autres gourmandises. Ce phénomène nous rappelle combien la population cubaine survit aussi grâce au marché noir.
Les vendeurs, bons ou mauvais communicants, se trouvent confrontés à une bureaucratie encore peu à l’aise avec la liberté d’entreprise. L’aversion officielle envers le secteur privé se ressent jusque dans le nom de « travail à son compte ». « Papa État », maintenant incapable d’offrir un bien-être matériel suffisant à la nation, se méfie de l’indépendance économique de ses enfants.
Les anecdotes abondent depuis quelques temps. Une marchande ambulante fut avertie par un inspecteur qu’elle n’avait pas le droit de rester au même endroit de la rue 23. Selon les autorités, l’adjectif « ambulant » présent sur la licence de la vendeuse signifiait clairement que cette femme ne pouvait pas rester au même endroit mais qu’elle devait se déplacer sans cesse. Des choses qui se passent aujourd’hui à Cuba…
Habana XXI