Le ministère de la Culture interdit le Festival de Rotilla
Nous avons évoqué il y a peu, dans Polémica cubana, l’existence du Festival de Rotilla. Un grand événement qui a permis ces dernières années de promouvoir largement la musique électronique et les musiques avant-gardistes sur l’île de Cuba, comme le hip hop par exemple. Le concept de base du festival était d’organiser chaque année, au mois d’août, un festival dans l’ambiance naturiste de la plage de Jibacoa, à 15 km de La Havane.
C’était le mariage permanent pendant trois jours et pendant trois nuits intenses de la nature et de l’art sous différentes formes. Il y existait une liberté de ton qu’on ne retrouve généralement pas lors d’autres festivals. L’an dernier un groupe d’activistes y distribua un appel pour la libéralisation du cannabis. Ce qui est inimaginable dans d’autres espaces publics à Cuba. L’an dernier également, le festival rassembla 20 000 personnes pendant trois jours, ce qui a fait de lui le plus grand rassemblement de jeunes qu’a connu Cuba ces dernières années.
Le mouvement alternatif, souvent réprimé, a reçu une autre attaque, dans les dernières semaines, avec le vol et l’interdiction du Festival de Rotilla. L’événement n’est pas un cas isolé, si l’on considère l’histoire des projets alternatifs dans le pays. Ce qui a été inhabituel cette fois c’est la déclaration des productions Matraka, auto-organisatrices de l’événement. Matraka a dénoncé l’interdiction faite par le Ministère de la Culture cubain en se réservant le droit de porter plainte. Ce qui serait une première à Cuba, dans la mesure où dans des situations identiques, d’autres organisateurs d’événements culturels ont préféré se taire afin de ne pas s’attirer les foudres des autorités.
Le ministère a rebaptisé le festival sous l’appellation un “Été à Jibacoa”, et un autre festival a eu lieu au mois d’août pendant les mêmes jours et sur la même plage où a été célébré le Festival Rotilla au cours des cinq dernières années.
Les organisateurs du festival, un groupe d’amis réunit à partir de 1996, a commencé par mixer de la musique et à créer, sous l’influence de DJ allemands très connus, de la musique électronique, un genre qui n’était pas encore écouté à Cuba. Les clubs n’aimaient pas cette musique et quand des fêtes avaient lieu dans des appartements, la police intervenait et arrêtait la musique. C’est alors que les initiateurs de Rotilla Festival décidèrent d’organiser une fête sur une plage. C’est ainsi, avec des hauts et des bas et malgré les pressions et les arrestations, que ces fêtes furent organisées les premières années.
En 2006, le festival fut organisé sur la plage de Jibacoa, mais le nom de Rotilla fut gardé. L’année suivante, les organisateurs commencèrent à travailler sur une plus grande échelle. À partir de là, le festival a eu une visibilité politique et les organisateurs travaillèrent avec les institutions cubaines, bien qu’ils soient indépendants et malgré leur capacité à auto-financer l’évènement avec l’aide d’un certain nombre d’ambassades étrangères.
Selon une déclaration faite par Matraka qui a circulé sur Internet, le gouvernement ou les personnes qui le représentent ont toujours décidé de qui pouvait ou qui ne pouvait pas chanter ou jouer au festival. La censure est une chose acceptée à Cuba, mais les organisateurs ont toujours rechigné à la mettre en pratique. L’année dernière, les organisateurs ont été approchés par le vice-ministre de la Culture Fernando Rojas, qui organisa plusieurs réunions avant le festival. Lors de l’une d’elles, le ministre demanda à ce que le groupe de rappeurs et de performeurs Omni Zona Franca ne participe pas au festival, pour la raison qu’il représentait un problème pour la sécurité nationale et les intérêts de la politique culturelle du pays.
Si un artiste est capable de déstabiliser un gouvernement, n’est-ce pas la preuve que ce gouvernement est fragile et instable ? Et pourtant, Raul Castro a récemment déclaré, à la septième session de l’assemblée nationale du Pouvoir populaire, qu’il ne peut y avoir d’ intolérance envers la critique et qu’il est nécessaire d’écouter tous les points de vue pour que le pays puisse avancer. Toutefois, certains de ses vice-ministres et de ses adjoints ont gardé un discours radical digne des années 80.
Certains groupes de rap, officiellement interdits comme los Aldeanos et Escuadron Patriota, ont aujourd’hui une audience de dix mille personnes, certains festivaliers se déplaçaient uniquement pour les entendre. Les autorités ont peur que Rotilla soit le générateur d’une révolution, d’une explosion sociale chez les jeunes. C’est une des causes de cette interdiction.
La Sécurité de l’État demandait à lire avant chaque concert ce qui allaient être chanté, et même la musique des DJ était vérifiée. Pourtant, la musique des DJ n’a pas de paroles. Heureusement les censeurs n’avaient pas le temps d’écouter tout ce que le festival programmait. Une année, ils voulurent voir l’ensemble films programmés pendant quarante-huit heures, ils n’ont pas pu les voir tous. Ils créèrent à l’occasion une équipe pluridisciplinaire de la Sécurité d’Etat et de la culture. Ils placèrent aussi deux de leurs conseillers sur chaque scène pour contrôler le déroulement des concerts.
Le Festival de Rotilla reposait sur une structure solide qui a fonctionné jusqu’à l’an dernier. Il y a des équipes de directeurs généraux, des producteurs qui se chargent de la logistique, de la sécurité, de l’approvisionnement. Chaque scène a sa propre structure : son réalisateur, son producteur. Ces gens travaillent pendant des mois pour Rotilla, ils ne pouvaient pas accepter que, deux semaines avant l’évènement, un fonctionnaire de la Sécurité de l’État les questionne à propos de tout et leur indique ce qu’ils doivent faire.
Les organisateurs du festival travaillent aujourd’hui avec un groupe indépendant, l’Association juridique de Cuba. Elle est dirigée par Wilfredo Vallín, un avocat ayant eu des problèmes pour avoir défendu des opposants. Sa position est de défendre tous les citoyens de manière égalitaire. Wilfredo Vallín a été avocat à la cour provinciale à Santiago de Cuba pendant vingt ans. Un jour, il a réalisé que les lois ne répondent qu’à un seul secteur du pays, l’État, et que la plupart des gens ne connait pas les lois et ne croit pas en la loi.
D’un point de vue légal, les organisateurs de Rotilla ont peu de chance de voir annuler la décision du ministère de la culture. L’État sait comment se défendre, Il a toutes les armes et toutes les ressources pour le faire. À Cuba, depuis les années soixante, il n’y a qu’une politique culturelle, initiée par Fidel, qui déclara alors s’adressant aux intellectuels : “Avec la Révolution, tout contre la révolution, rien”. Les acteurs du monde culturel et politique ont toujours fonctionné sur la base de cette censure. Lors des précédents festivals, un certains nombre de groupes devaient être censurés, mais les organisateurs les incluaient dans la programmation et ils laissaient aux censeurs la tâche d’interdire les groupes.
À ce jour, la maison de production Matraka n’a pas reçu une explication pour l’interdiction et le vol de Rotilla, et le ministère de la Culture n’a jamais montré l’intention de s’engager dans un dialogue avec les organisateurs. Par l’intermédiaire de son directeur Michel Matos, Matraka a affirmé récemment dans un entretien publié par Havana Times que le Festival de Rotilla aura lieu à nouveau dès l’an prochain et avec le permis des autorités. Nous partageons sa confiance et son optimiste…
Daniel Pinós
Découvrez les documentaires “Aire libre” et “Si Dieu le veut et le Parti le permet” sur Rotilla Festival (produits par le collectif Matraka) en allant sur les liens suivants :
http://www.youtube.com/watch?v=8unfoi-JDME