Une protagoniste du mouvement des “Indignés” espagnols à Cuba
Par Isbel Díaz Torres
Photos : Jimmy Roque Martínez et Isbel Díaz Torres
Traduction : Daniel Pinós
L’Atelier libertaire Alfredo López du réseau Observatoire critique a organisé le 19 août une réunion public ayant pour thème : “Ni le Real Madrid, ni Barcelone… le 15-M”, sur le mouvement espagnol des “Indignés”. Elle a eu lieu dans un Parc du quartier du Vedado, les activités de l’Atelier libertaire étant interdites à Cuba. Les activistes du réseau ont fait preuve de sérénité, de maturité et de courage malgré les intimidations et les manipulations de la Sécurité d’État. Les connexions que nos ami-e-s établissent avec les luttes anticapitalistes et anti-autoritaires en Europe sont très importantes à l’heure où l’on assiste à la dérive cinique de l’État-parti cubain vers une restauration du capitalisme sous prétexte de “perfectionner le socialisme” selon Raul Castro.
À Cuba, d’après le pouvoir, toutes les initiatives autonomes sont financés par la CIA, le réseau de l’Observatoire critique nous prouve depuis des années le contraire avec ténacité…
L’article d’Isbel :
“Une membre du mouvement du 15 mai espagnol (15-M) ; ici, à mes côtés !” dit quelqu’un avec émotion. Sa joie exprimait ce que ressentait peut-être la majorité des membres présents à cette réunion à l’appel de l’Observatoire critique. Marta a été impliqué dans les manifestations qui ont lieu en Espagne, et elle est venu passé un moment avec nous.
Il y a déjà quelques jours que j’attendais ce moment. Ce fut un soulagement quand je l’ai entendu parler. Une fille simple, une enseignante du primaire dans une école publique exceptionnelle, une jeune femme espagnole, à la pensée agile et au verbe facile.
Marta se débarrassa rapidement de l’étiquette d’ambassadrice du 15-M. Nous savons tous que c’est un mouvement sans hiérarchies et sans représentants. Elle se définie comme une personne normale, qui ressent de la gêne quand elle parle devant beaucoup de gens, et qui reconnaît que lors de ce rassemblement entre amis, elle ne peut nous donner qu’une vision personnelle de ce qu’elle a vécu à Madrid depuis mai dernier.
Quand j’ai lu, totalement surpris, ce mois-là les chiffres, je pouvais à peine y croire. Plus de 50 000 personnes à Madrid, plus de 15 000 à Barcelone, entre 10 000 et 12 000 à Murcia, entre 10 000 et 15 000 à Valencia, entre 7 000 et 11 000 personnes à Tenerife, et ainsi dans toute l’Espagne. Au total, environ 129 000 personnes mobilisées pour dénoncer la corruption du gouvernement et le manque d’alternatives durables dans le cadre de ce monde consumériste et égoïste qui a construit le capitalisme “développé”.
Ils sont très fainéants, ils n’aiment pas travailler
Un investisseur français m’a dit récemment que le problème est que les Espagnols sont très fainéants. Ils n’aiment pas travailler. C’est pour cela que c’est le pays le moins développé en Europe. Toute cette histoire du15-M était une crise de colère de mômes de la classe moyenne qui s’ennuient et qui veulent plus de discothèques.
Comme moi, je n’ai jamais été en Espagne, je ne pouvait pas beaucoup en parler, mais bien sûr, je n’ai pas avalé la vieille solution capitaliste des peuples paresseux et celle des peuples travailleurs.
Marta nous a expliqué qu’il n’était pas exclusivement question du grave problème du chômage dans la péninsule ibérique. La privatisation des services publics permet des coupes dans le budget géré par l’Etat. Les actes racistes et les lois contre une grande quantité d’immigrés sont en augmentation. La corruption du gouvernement, des partis politiques et des syndicats, ont fini par irriter une grande partie de la population.
“Les indignés”, c’est ainsi que l’on appelle ces jeunes dans les médias. Mais Mara dit que non seulement ils s’indignent, mais qu’ils s’auto-organisent aussi, qu’ils dénoncent, qu’ils construisent de nouveaux modes de relations, qu’ils génèrent de la solidarité. Ils étudient collectivement la réalité qui les entoure, et ils dessinent de nouvelles stratégies. Certaines ont été couronnées de succès.
La meilleure des choses est que l’esprit de rébellion se répand dans toute l’Europe, et s’étend jusqu’à l’Afrique du Nord. La création d’un nouveau “sujet social” semble être l’un des principaux résultats de ce processus, comme certains l’ont dit à la réunion.
Internet et nouvelles technologies
Les Cubains et les cubaines qui ont participé à cette réunion se sont intéressés à l’usage des nouvelles technologies. Entre la diabolisation d’internet par l’État cubain, les blogs, les réseaux sociaux, etc, et la réelle guerre cybernétique des États-Unis contre Cuba, il est parfois difficile de savoir où est le piège.
Des agents de la sécurité d’État enregistrant les débats
Quelqu’un a parlé de théories conspiratives qui organisent des “révolutions” dans les pays européens, africains, asiatiques, et même Cuba. Pour Marta et le 15-M c’est claire. Jusqu’à présent, la stratégie consiste à utiliser ces médias comme outils pour informer et mobiliser en Espagne, mais toutes les décisions sont prises dans la rue, face à face, lors des assemblées.
Pourtant, le schéma participatif de 15-M n’est pas quelque chose qui peut être considéré comme achevé. Les débats sur la démocratie directe et représentative sont dans les forums. Certes, la préférence pour la participation directe à la prise de décision a de nombreux adeptes, mais les choses se compliquent lorsque le mouvement est en pleine croissance.
Marta raconte les nombreuses commissions qui ont été créées selon les besoins et les intérêts des participants, en réponse à cette forte croissance. Pour ceux ayant un grand désir de parler, un micro est toujours ouvert, de sorte qu’au moment des assemblées ils n’occupent pas tout le temps des autres.
Ce serait bien si nous avions un microphone comme celui-là à Cuba ? Ne pensez-vous pas ?
Quoi qu’il en soit, parmi les amis et les amies de l’Observatoire, il y avait certains jeunes qui ont appris l’organisation de la réunion sur internet, d’autres qui étaient dans le parc et qui nous ont rejoint, et quelques agents de la sécurité de l’État qui nous ont enregistrés. Au total, nous étions un total de 35 personnes. Le débat fut très riche. Une chose est très symptomatique, parmi les adolescents fréquentant le parc, aucun n’avait entendu parler du 15-M.
Sans désordres publics, ni provocations, dans le respect mutuel entre tous, nous avons appris d’autres expériences de lutte anticapitaliste. Bien sûr, le regard des décolonisateurs a toujours été en vigueur. Il n’est pas possible d’importer des formules, des noms ou des stratégies. La lutte anti-capitaliste et anti-autoritaire suit des schémas divers selon les espaces et les personnes.
Il fut annoncé, que bientôt l’atelier organisera une nouvelle réunion, il s’agira d’une approche de la contestation étudiante au Chili. Nous espérons vous y voir. Sinon, je vous raconterai.
Havana Times, 20 août 2011.
Vous trouverez cet article et d’autres photos sur le site d’Havana Times :
http://www.havanatimes.org/sp/?p=48346