Fernando Trueba : “Chico et Rita, un hommage à l’histoire du jazz”
Dans la galerie Martel du Xème arrondissement, des jeunes femmes affairées finissent d’accrocher des toiles. Les œuvres représentent des scènes des rue, des décors fouillés, parfois fouillis amplifiés de traits singuliers. Au centre, le dessinateur Javier Mariscal, accompagné du réalisateur Fernando Trueba, surveille d’un coin de l’œil l’installation de ses dessins tout en revenant sur le boléro musical et visuel : Chico et Rita.
Pour voir la bande-annonce :
Le film « Chico et Rita » s’inspire de la vie du pianiste Bebo Valdès, pourquoi avoir choisi cet artiste plutôt qu’un autre ?
Fernando Trueba : Le film évoque plus l’époque et la musique de Bébo Valdès que de sa vie véritablement, qui est très différente de celle de Chico. Tout simplement parce que c’est quelqu’un qu’on aime beaucoup. Il y a des grands pianistes, des musiciens cubains mais Bébo est vraiment à part. Quand il y joue, c’est uniquement pour la musique. Il ne joue pas pour le prestige, pour amuser la galerie, mais uniquement par amour de la musique. Sa générosité, son humilité, sa bonté : tout est là. Quand tu es avec lui, il te complète. Il incarne la beauté en tant qu’être humain et il est évident que l’inspiration était là…
Donc il ne s’agit pas vraiment d’un récit biographique…
Fernando Trueba : La vie de Bebo Valdès est complètement différente de celle de Chico. Bebo Valdès est resté à Stockholm alors que Chico a vécu les affres de la révolution. Mais on retrouve toutefois quelques détails de sa vie dans le récit de Chico. La fin par exemple, lorsqu’on lui propose d’enregistrer un disque alors qu’il est à la retraite…
En dehors du récit d’un pianiste, c’est également le panorama de toute une histoire de la musique jazz…
Fernando Trueba : Plus qu’une histoire, c’est un hommage à l’histoire du jazz. Lorsqu’on a commencé le scénario, on a choisi de placer l’action dans les années 40 lorsque le jazz américain et la musique cubaine ont trouvé une vrai concordance : ils s’aiment, ils se fréquentaient, ils s’écoutaient bien que leur rythme était très différent. C’est à ce moment que les musiciens comme Dizzy Gillepsie, Charlie Parker sont arrivés à un genre d’arrangement musical entre ces deux univers : c’est ainsi qu’est né un nouveau genre, une révolution musicale ! Alors on a décidé de faire le film à cette époque, on a pioché des éléments ci et là qui ont considérablement enrichi l’histoire…
Vous avez procédé à des enregistrements spécialement pour le film ?
Javier Mariscal : Oui, c’est moi qui ait joué ! (rires) Non, c’est pas vrai…
Fernando Trueba : Le film se compose de 50% de la musique de Bebo. L’autre moitié est la musique de l’époque mais qu’on a enregistré à nouveau. Par exemple, pour Dizzy Gillepsie, ce n’est pas lui qui joue mais un musicien dans le style de Gillepsie. Pour Nat King Cole, ce n’est pas lui chante mais son frère. Donc il y a un peu de tout. Mais on a vraiment choisi la musique en fonction de l’histoire, d’une logique pour chaque scène, pour les personnages et en même temps pour constituer un panorama de l’histoire de la musique de cette époque…
Le film est le fruit de vos deux talents. Comment avez-vous fait pour répartir les tâches entre vous, Fernando, réalisateur et vous, Javier, animateur ?
Fernando Trueba : Bah, chacun faisait son boulot
Javier Mariscal : Mon rêve était de faire quelque chose pour le grand écran. Fernando aimait beaucoup les dessins que j’avais faits auparavant. Et pour moi, le projet de Fernando était un vrai cadeau. C’est quelqu’un qui connaît bien la grammaire cinématographique, donc je peux aller très loin dans mon domaine et me reposer sur lui parce que si je n’avais pas ses bras et ses jambes, je n’y arriverais pas tout seul. Le cinéma possède ses propres règles… Nous étions très complémentaires dans les idées qu’on apportait chacun de notre côté. Et il m’a vraiment aidé dans la recherche de l’expression graphique des personnages et le feeling qu’on voulait leur concéder.
Justement, pour en venir à l’animation des personnages, vous vous êtes autorisés une véritable liberté dans l’animation des personnages ! J’ai en tête la scène où Chico joue du piano et Rita qui danse à ses côtés. Les courbes du corps la femme semble accompagner la musique…
Javier Mariscal : Pour cette scène, pendant que je m’occupais à dessiner la décoration des lieux,Fernando a filmé une vraie jeune femme en train de danser. J’ai pris peur, je ne pensais pas que ça marcherait. Mais lorsque les animateurs m’ont apporté la bêta animée de cette femme en train de danser : j’ai vu que ça fonctionnait parfaitement, c’était magique !
Vous êtes donc partis de prises de vue réelles.
Javier Mariscal : Oui, et il y avait à la fois un véritable travail de direction d’acteurs pour que l’animation colle parfaitement avec ce qu’on voulait traduire en animation. Mais aussi un travail de direction musicale pour que par exemple la chanteuse qui double Rita corresponde avec la mouvance du personnage.
Fernando Trueba : On voulait rester vraiment dans l’esprit de la bande-dessinée. Mais l’interprétation des personnages a apporté une dimension supplémentaire, un niveau de réalisme plus élevé. Certes, le film ne prétend pas être réel puisqu’il s’agit finalement que d’une illustration mais ces procédés ont vraiment apporté… du cœur au dessin-animé.
Ravith Trinh/Mondomix