La blogosphère cubaine
Parler de blogs made in Cuba nous emmène au-delà de la simple sphère virtuelle. On rejoint alors des dimensions politiques. Plus ou moins explicitement, la politique est un facteur omniprésent sur la blogosphère cubaine.
Quant au contenu, on en trouve de deux catégories générales : les blogs gouvernementalistes, alignés sur l’idéologie dominante et reproduisant les informations des médias d’État ainsi que les blogs « alternatifs », souhaitant s’affranchir de la pensée majoritaire.
Dans le premier groupe, on trouve des blogs de journalistes travaillant pour la presse officielle. Ces espaces sont contrôlés par l’État et répondent à un seul objectif : défendre la Révolution. Ils propagent l’idée d’une « cyber guerre » contre les institutions internationales en place. La propagande gouvernementale est leur principale source d’information.
L’autre groupe, composé de bloggeurs alternatifs, est davantage uniforme. On y rencontre des voix libres et profondément différentes.
Un bref aperçu de la blogosphère cubaine nous conduit à analyser trois types de blogs.
Les blogs révolutionnaires, libertaires et dissidents
D’un côté, on voit apparaître des blogs tels que celui de la jeune journaliste Elaine Díaz, La polémica digital, ou celui du célèbre écrivain et cinéaste Eduardo del Llano. Ils regroupent des critiques contre le Gouvernement qui s’avèreraient impubliables dans la presse écrite. Cependant, ces posts ne remettent pas en cause la Révolution mais, au contraire, continuent à lui manifester un appui important.
D’autre part, on trouve plusieurs blogs associés à des plates-formes comme Havana Times et Observatorio Crítico. Ceux-ci réunissent l’opinion de jeunes historiens, philosophes, économistes et activistes sociaux. Les critiques oscillent entre utopisme et idéologie. Leur but n’est pas de défendre la Révolution à tout prix mais d’imposer un socialisme libertaire, concept démocratique radial.
Enfin, il existe également des blogs qui veulent dépasser les limites. Ce sont ceux de Reinaldo Escobar, Miriam Celaya, Laritza Diversent ou encore Dimas Castellanos. Les gouvernements les considèrent comme « contre-révolutionnaires » et « cyber-mercenaires » étant donné l’aide matérielle qu’ils reçoivent de l’étranger. Ce sont les successeurs de Yoani Sánchez.
Cette jeune cubaine, pionnière dans la blogosphère locale, mérite d’être distinguée. Son blog, Generación Y, expose à merveille ce que pensent réellement les Cubains de leur pays. Yoani reçut plusieurs distinctions internationales (dont le prix de journalisme et de la liberté d’expression) et même l’honneur de figurer dans la liste des cent personnes les plus influentes éditée par le magazine britannique Time Magazine. Son activisme dissident est écouté et entendu.
Dans ses meilleures publications, Yoani Sánchez fait parler la voix de la rue. Elle capture ces histoires anonymes que les discours officiels censurent. Elle cherche la vérité dans les scènes du quotidien. Generación Y est le genre de blogs cubains qui pourra être lu dans l’avenir de la même façon qu’on lit un livre, reflétant une époque et faisant témoigner « la rue » en temps de crise.
Internet et la sphère publique
Deux autres points doivent être mentionnés qui placent les bloggeurs de l’Île dans une situation différente à ceux du reste du monde.
À Cuba, Internet n’est pas libre d’accès. Si l’état fournit une connexion à un bloggeur, il se donne le droit d’en contrôler le contenu. C’est le cas des blogs gouvernementalistes. Les autres, alternatifs et dissidents, se connectent dans les hôtels, les ambassades ou via des réseaux issus du marché noir. Gérer un blog est coûteux en temps et en argent. C’est pour cette raison que le débat politique fait rage. Dès qu’un blog relate des affaires plus personnelles, on peut être sûr qu’il est écrit sous d’autres latitudes.
Le caractère public et l’urgence politique d’une libéralisation de la blogosphère doivent être mis en relation avec la même absence de liberté dans les autres espaces d’expression. À Cuba, les médias sont soumis à un monopole idéologique solide. Les blogs profitent des failles de ce système. Dans les pays où les journaux sont libres, les blogs complètent la presse écrite. À Cuba, ils doivent la remplacer.
La portée de la blogosphère est encore très limitée étant donné la restriction imposée sur les connexions internet et le contrôle de l’État. Mais elle n’est pas inexistante. Sa présence signale au monde entier qu’il manque ici une certaine liberté d’expression nécessaire pour s’émanciper des idéologies.
David E. Suárez
Habana XXI
Sur le même sujet, consultez l’article “Cyberespace et liberté d’expression” publié sur notre blog en février 2010 :
http://www.polemicacubana.fr/?p=11