L’authenticité du reggaeton
La photo ci-dessus est une photo du concert du groupe portoricain Calle 13 à La Havane en avril 2010. Ce concert a rassemblé 500 000 personnes sur le Malecón, l’avenue du bord de mer.
Il apparaît clairement que le rapport entre les Cubains et le reggaeton est immuable. Il n’est pas étrange de voir un genre musical s’approprier les passions des personnes et de la rue à Cuba. La culture cubaine est en effet bercée de musiques, de chants et de danses. Ce sont les principaux moyens d’expression d’une population rythmée depuis sa plus tendre enfance par la musique.
Depuis le XIXème siècle, les villes et villages cubains ont canalisé leur joie, leurs peines et leur façon de sentir la vie à travers la musique. Celle-ci est la colonne vertébrale de la culture cubaine. En l’étudiant de près, on pourrait y trouver une chronique vivante du pays depuis ses origines jusqu’à nos jours.
L’origine du reggaeton
Le reggaeton est né à l’origine dans les îles voisines de Porto Rico. Il est apparu à Cuba et dans d’autres pays de culture hispanique par la suite. C’est un mélange subtil entre le rap et le hip hop américain. Les deux genres musicaux sont d’origine urbaine et ont été appropriés majoritairement par les afro-américains. Avant d’être absorbées par l’industrie musicale, ces musiques ont été un moyen d’expression alternatif dans des sociétés stratifiées et culturellement conservatrices. Pour devenir l’actuel reggaeton cubain, cette musique a été transformée rythmiquement avec l’ajout de bases musicales latines et le côté marginal du genre a été renforcé pour refléter les travers de la société cubaine : la culture du machisme, la drogue et la violence urbaine. L’expression scénique de ce genre musical est aussi très importante : les vêtements, la gestualité et l’agressivité plus ou moins feinte des interprètes. L’arrivée à Cuba de ce nouveau moyen d’expression à travers la musique a rapidement convaincu un large public. Les musiciens ont apprécié l’authenticité de la musique et le succès populaire qu’elle rencontre.
Le reggaeton, un état de la vie cubaine
Le reggaeton répond en fait à une société cubaine en questionnement. Sa popularité chez les plus jeunes est reliée à leurs conditions culturelles et sociales et à leur aspiration à ne pas se laisser écraser par ce poids.
Qu’une mode musicale arrive à Cuba n’est ni nouveau ni étrange. La culture musicale cubaine a mis en avant les bienfaits de l’échange avec d’autres cultures. Les rythmes cubains ont souvent été exportés à l’extérieur tout autant que de nouveaux rythmes étrangers les ont enrichis. La popularité du reggaeton ne doit pas être considérée comme une crise de créativité sur l’Île. Si son développement n’était pas fondé sur les conditions délicates de la vie quotidienne des Cubains, on pourrait peut être davantage apprécier l’arrivée de ce genre musical à Cuba.
Sans considérer l’aspect artistique de cette musique, quelqu’un s’est-il déjà demandé comment le reggaeton a-t-il pu entrer si profondément dans la vie des Cubains ? Des mariages aux baptêmes, des anniversaires aux fêtes de fin d’année, des établissements publics aux autoradios des taxis, le reggaeton est présent partout.
Sans vouloir diaboliser le reggaeton cubain, il est impossible de ne pas prendre en compte l’agressivité de ses paroles et la violence sur scène de ses interprètes (regardez la façon dont ils agitent leurs mains ou la grimace dure de leur visage). Les paroles insistent sur les relations charnelles entre l’homme et la femme et, trop souvent, sur le côté perfide et vorace de cette dernière. Même quand les rôles s’inversent et que la femme « chante » l’homme, la violence et la supériorité de celui-ci reste encore très présentes. Il semble impossible d’établir d’autres liens que sexuels.
Rythmiquement, le reggaeton est en fait assez pauvre. Son beat se répète inlassablement. Nous sommes en fait devant un phénomène culturel appauvri, marginal et décadent mais « authentique » auprès de ses aficionados.
Cette « authenticité » du reggaeton vient de la réalité sociale d’où il est né. Si la violence, la sexualité agressive et le manque d’éthique des musiciens rencontrent un tel public, c’est que la musique parle avec des codes et un langage que les consommateurs souhaitent entendre.
Ce n’est un secret pour personne que la société cubaine a souffert, depuis une quinzaine d’année, d’un accroissement de la violence ayant son origine dans les difficultés sociales et matérielles d’une grande partie de la population. Les pratiques marginales, telle que la prostitution, se popularisent et ne choquent plus les Cubains. Par exemple, les jineteras (prostituées) sont de plus en plus acceptées, comme si les valeurs éthiques avaient évolué au cours des dernières années.
Il est notoire que les problèmes de violence, de machisme et de marginalité prennent une place croissance dans le cadre familial et social des Cubains. Il est alors évident qu’un genre musical répétitif et agressif comme le reggaeton se développe autant sur l’Île.
La popularité du reggaeton est une conséquence des difficultés de Cuba. Il serait plus important de regarder vers l’avant plutôt que de critiquer les difficultés actuelles. Si une personne peut écouter dix fois par jour « a ella le gusta la gasolina/ Dale gasolina » (elle aime le combustible / donne lui du combustible), c’est que quelque chose ne marche pas bien et que le reggaeton devient un catalyseur de ces problèmes pas si cachés.
Leonardo Padura Fuentes
IPS Cultura y sociedad