Rencontres du IVe Observatoire critique de Cuba : au-delà de la critique
Le 13 mars 2010, jour qui marque l’anniversaire de l’attaque historique (en 1957) du Palais présidentiel par des combattants du Directoire révolutionnaire, ont commencé à San José de las Lajas (province de La Havane) les sessions du IVe Observatoire critique de Cuba.
Un forum convoqué par le réseau organisateur qui regroupe plusieurs collectifs et plusieurs projets sociaux-culturels engagés dans le développement de contenus libertaires et populaires au sein de la société cubaine. Le forum, parrainé par l’”Association des frères Saíz” de La Havane, avec l’appui décisif de la Maison du jeune créateur de San José, a été décrit par les organisateurs comme “un espace d’analyse et d’articulation des expériences créatives, critiques, de gestion et d’investigation culturelles et artistiques, qui visent à renforcer les capacités locales, les mémoires historiques et les connaissances libératrices et sociales dans les scénarios actuels de Cuba, et ayant pour thème central les DYNAMIQUES MÉDIATIQUES, LES PROCESSUS CULTURELS ET LES COMMUNAUTÉS EN MOUVEMENT.
En cette occasion, nous avons invité les chercheurs, les critiques, les professeurs, les promoteurs culturels, les activistes communautaires, les journalistes, les membres des mouvements émergents et des projets socio-culturels à partager un espace de diversité, de dialogue et et de protagonisme solidaire afin d’analyser et de formuler des expériences, des pratiques et des connaissances libératrices dans les actuels scénarios cubains et à l’échelle de la planète.
Nous avons choisi plusieurs thèmes spécifiques : les médias cubains – les médiations, les débats et les interprétations (entre 2008 et 2009) –, la critique et la recherche socioculturel, la création et les publiques, la gestion, l’autogestion, les projets collectifs et les développements socio-culturels locaux, l’écologie culturelle et la culture écologique ; les expériences pédagogiques et de transformation sociale. Les précédentes éditions du forum de l’Observatoire critique – unique en leur genre dans le pays étant donné l’ampleur des sujets – la profondeur des approches et l’angle critique adoptés, eurent lieu en 2006, 2008 et 2009. Initialement promus par la “chaire Haydée Santamaria”, l’Observatoire est animé par un collectif autogéré de chercheurs, d’enseignants, de journalistes et de promoteurs culturels des deux Havanes. Avec des activistes d’autres projets socio-culturels, nous revendiquons des alternatives culturelles face aux aliénations capitalistes, autoritaires et coloniales. Les organisateurs ont décidé de convertir l’Observatoire en un espace de motivation pour les jeunes artistes cubains, il a lieu chaque année et à l’échelle nationale.
Lors de la session du samedi matin, l’événement fut centré sur les expériences, les études et les propositions de modes de vie alternatifs plus respectueuses de la la nature que les sociétés basées sur des logiques violentes, autoritaires et mercantiles. Après une présentation de Dmitri Prieto et Mario Castillo et un bref historique de l’Observatoire, nous avons pu compter sur la présence de Tito Nuñez en compagnie d’un groupe de visiteurs japonais, il se référa à l’expérience des restaurants végétariens et écologiques comme “El Romarin”, situé à Las Terrazas (Pinar del Rio), restaurant qu’il dirige et dont le travail a été expliqué en détail. Présentations suivie de celle de Vanessa Vidano, anthropologue italienne qui travaille à Cuba sur les habitudes de consommation dans notre pays et de sa relation au capitalisme global ; de Victorio Cué Villate, archéologue cubain, qui a évoqué les conflits entre certaines pratiques liées à religiosité d’ascendance africaine et à l’écologie, ainsi que la présentation de Mario Castillo de l’anarcho-écologiste Murray Bookchin. Le débat a tourné autour de la nécessité urgente de mettre en œuvre une autogestion productive pour promouvoir des alternatives saines, écologiques et non-violentes, de l’utilisation et la consommation de biens et plus généralement à la satisfaction des besoins humains dans une société qui favorise l’émancipation. Le peu de possibilités d’auto-organisation a été critiquée, l’insuffisante capacité de dialogue dont font preuve parfois les acteurs sociaux, et la nécessaire conceptualisation dans les recherches anthropologiques sur les plans locaux et nationaux, là où elles se développent. En particulier, nous avons noté une opposition au culte de la rareté (mais pas de l’épargne) comme une vertu écologiste.
Le déjeuner a été caractérisé par une option végétarienne, non seulement pour des raisons de respect des choix existentiels des participants, mais aussi en tant qu’expérience d’autogestion, parce que sa préparation a vu la participation des membres de notre réseau. Nous reconnaissons que, précisément parce que c’était une expérience ce repas n’a pas été parfait, ce qui nous amène à réfléchir sur la nécessité de continuer à promouvoir les pratiques sociales de l’auto-organisation.
Dans l’après-midi, nous avons commencé les sessions en écoutant les exposés de Charles Simón (université, culture et idéologie), Zeta Dacosta (la diaspora post-soviétique à Cuba) et Nileyán Reyes (dynamiques culturelles dans la centrale sucrière de Hershey de Santa Cruz del Norte), tous ces sujets ont donné lieu à des controverses très animées. Carlos Simón, professeur à l’”Institut supérieur d’art” et fondateur de la “chaire Haydée Santamaria”, a insisté – à partir d’une analyse fondée sur l’histoire sociale et des idées – “sur l’urgence d’apporter des changements dans les approches actuelles de la vie universitaire, en contestant la vision normalisatrice de l’étudiant cubain révolutionnaire” et en insistant sur la nécessité de promouvoir la révolution dans la communauté universitaire, à partir de la notion d’ autonomie et du rôle joué par la théorie critique et la recherche d’alternatives sociales. Zeta Dacosta se référa à la présence à Cuba de communautés ethniques virtuellement invisibles, dont les origines participent paradoxalement au romanticisme, à l’idéologie et à la géopolitique : les communautés d’immigrants et de descendants d’origine soviétique. Nileyán Reyes – étudiante de sociologie – a parlé du passé et du présent dans l’usine sucrière Camilo Cienfuegos / Hershey, créée au début du XXe siècle, une des sucreries les plus modernes, appartenant à une société américaine et qui est actuellement en cours de démantèlement, ce qui est le produit des changements dans la politique économique cubaine. Dans ce cas, il existe un fort sentiment de nostalgie non pas pour le système capitaliste, mais pour une vie culturelle multiforme qui s’est perdue des années avant que l’usine soit démantelée. Les discussions lors de la réunion ont conduit à réévaluer les stéréotypes existants sur la façon dont se constituent les communautés ethniques locales qui composent notre nationalité, nous avons pu constater l’urgence de changements idéologiques dans la vie de la jeunesse cubaine, pour que les questionnement de celle-ci se convertissent en capital politique d’un processus révolutionnaire libérateur dans l’île et non pas seulement un obstacle aux politiques délétères et conservatrices.
Ces approches ont été présentes à la dernière session de la journée, consacrée aux études socio-culturelles de localités et de manifestations créatrices spécifiques. Le philologue Ricardo Vazquez a revendiqué la nécessité d’admettre l’oralité afro-cubaine comme faisant partie du corpus littéraire national et de le mettre à l’étude à différents niveaux de l’éducation. Danay Ramos a parlé de l’histoire des espaces culturels à Santiago de Cuba, et Yenislaisy Abreu s’est centrée sur la société “Lumière d’Orient”, également de cette ville. Le chercheur en arts visuels Ileana Orozco a fourni une analyse intéressante sur les événements dans la ville de Bayamo, où les discours artistiques l’ont emporté sur une perception particulière de la vie périphérique et sur les vicissitudes de l’histoire. Tous ces documents ont révélé l’existence d’importants phénomènes de domination et d’inégalité, et l’urgence de transformation est apparue dans le débat. Le premier jour de ce IVe Observatoire critique s’est terminé par la présentation de “La pensée critique face à la pensée unique” du théologien Jorge Luis Alemán, et la revue de Pinar del Rio “Le tiroir”, publié par l’association des frères Saíz qui dispose d’une équipe éditeur indépendant.
La deuxième journée du IVe Observatoire critique (OC) a commencé par une catastrophe logistique, puisque l’un des autobus qui devait conduire les participants sur les lieux de l’événement nous a littéralement plantés. Grâce à une aide amicale le problème fut résolu, mais la gestion cette affaire nous a fait perdre un temps précieux lors de la séance du matin.
Ceux qui étaient arrivés à temps à San José de las Lajas ont fructueusement exploiter cette partie de la journée. C’est ainsi que nous sommes allés au jardin d’enfants, à proximité du lieu de notre réunion, afin de planter un petit arbre qui va bientôt grandir, nous avons eu un échange avec les travailleurs du lieu et nous avons jouer avec les enfants (qui nous ont aidé à la plantation et qui seront en charge de l’arbre) à des jeux merveilleux, sans enjeu, que nous ont appris les animateurs de la communauté familiale et collective le “Petit train” (projet de l’OC basée dans le Vedado, un quartier de la capitale). Ceux qui n’étaient pas là nous ont manqué, mais nous avons décidé avec les gens du jardin d’enfants de recommencer l’action au mois d’avril. Les gens du Petit train ont expliqué en profondeur l’essence de leur projet, qui consiste à renverser la logique sociale de compétition dès l’enfance.
Quand arriva la partie des troupes qui étaient restés en arrière (sans aucune responsabilité de leur part), nous avons rapidement organisée une session de discussion sur l’impact social des divers domaines critiques qui ont été investis au cours des 12 derniers mois. Hiram Hernandez Castro, invité spéciale et promoteur général de la manifestation de jeunesse “Nous pensons Cuba” (qui a eu lieu les 12 et 13 Mars) a parlé des péripéties et des réalisations de cette réunion. Luis Emilio Aybar s’est référée à un autre atelier important “Vivre la Révolution”, il fait partie de l’équipe qui anime cet atelier. Enfin, Isbel Diaz, coordinateur du Réseau de l’Observatoire critique analysa l’impact médiatique et communautaire de notre propre projet. Les résultats de ce forum mérite un examen attentif.
Dans le débat qui porta sur les réunions où l’ont a discuté à propos du passé, du présent et de l’avenir de notre pays, “Vivre la Révolution” (parrainé par l’ Institut Juan Marinello), “Nous pensons Cuba” (parrainé par l’association des frères Saíz), et le propre Observatoire critique – a été souligné l’imbrication profonde entre ces trois espaces, et d’autre part le besoin urgent de passer des idées et des mots à des actions concrètes qui change notre réalité sociale.
À propos du récemment événement organisé par “Nous pensons Cuba”, Hiram nous conta que la meilleure partie fut le concert le soir du samedi 12 qui eut lieu à la Madriguera (le siège de l’”association des frères Saíz”) à La Havane, avec la participation d’artistes connus pour leurs positions critiques, y compris le groupe de hip-hop Escuadrón Patriota y et le célèbre troubadour Pedro Luis Ferrer.
Les organisateurs de “Nous pensons Cuba” ont l’intention d’organiser un événement à caractère annuel et de dimension national. Nous insistons tous pour que les futures éditions de cette réunion et celle de l’Observatoire critique ne coïncident pas au niveau des dates, comme c’est arrivé en cette occasion, pour que ceux qui le souhaite participent aux deux rencontres.
Quant à “Vivre la Révolution”, nous constatons que ce fut une expérience intéressante en raison de la mise en pratique de nouvelles formes d’échange (basés sur l’éducation populaire) et que ce fut un espace où nous avons discuté en profondeur des thèmes qui n’avaient pas encore été abordés dans l’arène publique. Nous regrettons que cet espace, avec une périodicité mensuel qui s’échelonna sur une année, ait maintenant terminé son travail, mais l’un des participants nous a rappelé qu’il en est sorti deux propositions précises : la fameuse lettre de rejet des obstructions imposées contre les projets culturels, ainsi que l’émergence d’un groupe dédié à l’étude des théories et des pratiques d’autogestion et de le travail sous le socialisme.
La présentation du réseau de l’Observatoire critique porta essentiellement sur son impact médiatique, cela permit de créer un atelier sur le sujet. Isbel présenta des images et des vidéos des actions de ces 12 derniers mois, et des preuves de leur impact sur le public comme dans des espaces médiatiques : le site web “Esquife”, “Kaos en la red”, les journaux “Granma”, “Havana Times”, “Juventud Rebelde” et le “Nuevo Herald de Miami”, et ainsi que certains blogs. Parmi les actions présentées, il y eut la marche du 1er mai sur la Place de la Révolution avec une pancarte antibureaucratique, les événements “Ahimsa” (pour la Journée mondiale de la non-violence), “Révolution extra-muros” (pour les anniversaires de la Révolution d’octobre et l’effondrement du mur de Berlin) et “Médias numériques et culture” (organisé par le projet Esquife et d’autres associations de l’OC), la participation l’OC à la manifestation contre la violence du 6 novembre passé, l’hommage aux héros étudiants abakuás le 27 novembre (où coopèrent la communauté abakuá, les travailleurs du tourisme, plusieurs institutions de la vieille Havane, des jeunes ñáñigos, et pour la première fois il y eu une danse d’un Íreme ou “diablito”), les activités de reboisement et le déparasitage des animaux dans le quartier havanais de Reparto electrico, et la lettre de refus des obstructions contre les projets culturels, signée par plus de 70 personnes.
Nous donnons de l’importance pour parvenir à plus d’ impact sur les médias afin de promouvoir les idées révolutionnaires parmi un public plus ample. Pour la deuxième fois, la position fermement antibureaucratique des activistes de l’OC a été rapporté par le quotidien national “Juventud rebelde” (organe officiel de l’Union de la jeunesse communiste) au sujet du défilé du 1er mai ; dans ce média a été récemment publié un entretien avec le coordinateur du projet “Le garde-forestier” (Isbel Diaz lui-même), et pour la première fois le journal Granma (organe officiel du Parti communiste de Cuba) a évoqué le rôle héroïque de cinq Noirs ñáñigos lors des événements du 27 novembre 1871, la chaire Haydée Santamaría a proclamé cette date “Journée historique de la décolonisation”. Bien que ces articles ne mentionnent pas l’Observatoire, ni les projets qui l’intègrent, nous parvenons à ce que nos idées rencontrent une certaine visibilité dans les médias nationaux de large diffusion. Dans la couverture des autres actions et principalement celle de la marche ainsi que la lettre contre les obstructions, ce qui prima fut le caractère protagoniste de nos actions, dans les médias digitaux d’information et le caractère polémique de tels actes.
On vit clairement comment ces cas ont mis en évidence une position révolutionnaire et critique face aux réactions autoritaires et pro-capitalistes. Les participants du IVe Observatoire critique ont eu l’opportunité d’accéder directement aux textes publiés à propos de nos actions, ainsi que de voir des affiches promotionnelles et des bannières utilisées durant ces actions. Je pense que nous avons été clairs sur l’importance de la couverture médiatique, tandis que nous avons mis en évidence que notre horizon de travail doit être complété par l’action directe dans les communautés, les collectivités et les espaces publics. Action directe participative, visible, plurielle, productive et cohérente, avec une bonne coordination entre les personnes et les projets concernés.
Dans l’après-midi, nous avons continué avec l’atelier “Impacts et dynamiques médiatiques”, en présentant la vidéo “La réalité s’impose” (de Jésus Hernandez Güero), et la présentation – appuyée par une séquence photographique – “Renonciation à l’image : médiations sociales dans la représentation symbolique de Che Guevara” (de Liubis Rosales et Ileana Orozco de la ville de Bayamo). Le premier matériel est un court métrage de fiction qui parodie les limites imposées aux programmes d’information de la télévision cubaine et les façons informelles de “récupérer les audiovisuels venant de l’étranger”, qui plus tard, sont largement diffusés à travers différents moyens d’enregistrement (CD, DVD, mémoires flash…). Ces enregistrements pour le bien ou le mal des Cubains se sont convertis en des éléments constants de l’imaginaire et du visuel des Cubains. Dans le second cas il s’agit d’une approche à multiples usages et multiples contextes dans lesquels apparaît la fameuse image du Che réalisée par le photographe Korda. Cette image transformée en icône médiatique et culturelle. L’exposé d’Ileana, comme lors de la première journée, a soulevé quelques réflexions sur les conditions spécifiques qu’affrontent les créateurs et le public dans une ville comme Bayamo, et aussi sur le rôle des avant-gardes artistiques et des organisations comme l’UNEAC (Union nationales des écrivains et des artistes cubains) dans la défense de positions critiques.
Les deux présentations convergèrent en complexité à propos de l’univers visuel et audiovisuel dans lequel nous les Cubains et les Cubaines vivons notre dense et visqueuse quotidienneté. Il a été discuté de la manière dont l’imagerie du capitalisme mondial se centre sur la quotidienneté avec des icônes révolutionnaires refonctionnalisés. Dans un pays comme l’Italie, un magnat comme Berlusconi détient le copyright de l’image classique de Guevara, et dans notre propre île, il y a la possibilité permanente d’une censure discrète de certains textes ou des pensées du Che, comme celui où il déclare que certains fonctionnaires sont des contre-révolutionnaires. Il fut intéressant d’entendre parler des expériences sur la manière dont on a saboté la promotion des “Notes critiques sur l’économie politique”, un texte guévarien clé pour comprendre sa vision du “socialisme réellement existant”. Un texte publié récemment à Cuba et qui n’a pas reçu l’accueil nécessaire de la part des médias pour être apparu – selon les bureaucrates – “hors de contexte”.
Nous avons approfondi également l’étrange mais fréquente manière que l’on a à Cuba de mêler les emblématiques symboles du guérillero héroïque avec des symboles capitalistes reflétant un certain statut social, comme la marque de baskets “Converse”. Un amalgame très similaire à celui montré, par le biais de la satire, dans les vidéos “La réalité …” et “Cette fois” pour de vrai” dans le graphisme du CD du groupe Baby lores, où le chanteur apparaît avec un béret du Che. Ces bérets que l’on achète “en fula” (c’est à dire en monnaie “forte”, c’est à dire “de l’ennemi”) dans les stands pour touristes “Cubana” et dans les “Bazars de l’art révolutionnaire” (sic !). Un lieu clos sous chapiteau où l’on fait tourner la MACHINE À FAIRE DE L’ARGENT. Dans ce temple du reggaeton on ressent clairement un dangereux et macabre syncrétisme mondial que Walter Benjamin appelait “l’esthétisation de la politique” – c’est-à- dire le fascisme.
Ce fascisme, déguisé en “imaginaire globalisé”, désormais appelé la « culture révolutionnaire”, n’est qu’une répression quotidienne, sexiste et cynique qui trouve son paradigme dans le reggaeton. Un style qui ne peut être vaincue par la force, comme le dit Andres Mir, initiateur du projet culturel médiatique “Esquife”, à la fin de la première rencontre sur les “Médias digitaux et la Culture” à la fin de l’année dernière. L’Observatoire critique – dont le réseau participa à l’organisation de cette rencontre, proposa dans son quatrième forum un espace pour relancer l’idée de telles rencontres de façon régulière.
Tout d’abord, les coordonnateurs du projet “Esquife”, Yanet Bello et Andrés Mir lurent les deux derniers éditoriaux de leur revue digitale (mettant en évidence le fait que le débat, déjà approfondi entre les différents secteurs de l’intelligentsia cubaine, prenne racine et touche un public plus large dans nos communautés pour permettre des changements réels). Ils lurent aussi le rapport sur l’événement “Médias numériques et culture” organisé pour la première fois à Cuba par “Esquife” l’année dernière, lors de celui-ci non seulement ont été examinés de nombreux documents et de nombreux projets avec une haute qualité de débat, mais nous avons aussi dû faire face aux tentatives de censure et de restriction de l’accès du public. “Esquife” le fit constater dans son rapport, comme nous l’écrivions dans la “Lettre de refus des obstructions”… dont on a également parlé dans le cadre de l’Observatoire. Certains participants ont rappelé comment la pratique des “accès limités” aux débats publics a également fait apparition dans d’autre rencontres, y compris dans certains espaces de l’UNEAC et de la revue “Temas”.
C’était bien d’écouter certains orateurs qui ne purent aux séances séances de discussion des rencontres d’Esquifet. Les organisateurs d’”Esquife” ont invité les participants qui n’avaient pu y assister à prendre part aux sessions dans le cadre du IVe Observatoire critique (nous espérons qu’”Esquife” continue à organiser d’autres rencontres de ce type durant l’année, pour réchauffer le dialogue dans un environnement plus favorable que celui auquel nous avons dû faire face l’an dernier). Prirent la parole ensuite Alien García – coordinateur du projet BlackHat –, Ramón García Guerra, Carlos Simon – coordinateur de la chaire Haydée Santamaria –, Pedro Campos Santos – du projet “Pour un socialisme participatif et démocratique” (SPD) – (celui-ci a préféré intervenir dans le bus de retour, pour des raisons de temps). Alien a revendiqué la très diversifiée culture hacker dans une société qui ne connaît rien à ce sujet, une culture plus altruiste que scandaleuse et coopérativiste plutôt que privatisée – et Ramon, ainsi que Simon se référèrent aux aspects socio-économiques et intellectuels de l’informatique à Cuba. Cuba est un pays où il y a encore de sérieux problèmes en ce qui concerne les possibilités d’accès à internet. Pedro Campos a rapporté comment, précisément grâce aux médias digitaux, la promotion de son projet de socialisme autogestionnaire a été répandu dans l’archipel et dans le monde. En particulier, dans ce travail de sensibilisation, grâce aux publications virtuelles comme “Rebelión”, “Kaos en la red”, de même que le bulletin du SPD. Aujourd’hui, l’autogestion se discute dans les pages, du journal officiel Granma, consacrées au courrier des lecteurs.
Avant l’intervention de l’espace coordonné par “Esquife” (dont j’ai parlé d’abord pour le mettre en phase avec la question des médias), nous avons eu l’occasion d’écouter et de parler avec plusieurs militants associatifs qui travaillent et agissent dans le “monde réel”.
Ont parlé : Nerio Casoni, sur les écovillages créé par les mouvements Fous pour la terre (Uruguay) et Urupia (Italie) ; Erasmus Calzadilla, à propos des actions écologistes communautaires dans le Barrio Eléctrico (La Havane) ; Juan Camilo Quiñones et Roberto Fernandez Blanc, sur le “Groupe d’action urbaine” (GAU) de Santa Clara, et le professeur Tato Quiñones, représentant la “Confrérie de la négritude”. Tous ont en commun, le fait qu’ils ont été créés par de petits groupes de personnes et que par la suite leur action a touché des communautés entières. Ainsi, les écovillages sont des espaces réels de production durable, les travaux du programme “Erasmus” a commencé avec un, soutien institutionnel, il implique actuellement le “Comité de défense de la Révolution” (CDR) local, le réseau de l’Observatoire critique et l’ONG nationale “Aniplant”. Il est aussi connu dans d’autres pays grâce à l’information sur le web. L’expérience du GAU nous est apparu très intéressante, comme celle de l’Observatoire critique elle allie un travail intellectuel et l’action communautaire directe ; elle est basée sur la culture urbaine hip-hop, assumée de façon critique et depuis sa propre pluralité. L’emblême du groupe est composé de casques de DJ croisés avec des microphones de MC, superposés à la faucille et le marteau. Les travaux de la “Confrérie de la négritude” – représentée par Norberto Mesa Carbonell, Tomás Fernandez Robaina et Tato Quiñones – ont été essentiels pour la critique du racisme à Cuba, en particulier après la dissolution de l’espace “Color Cubano” (fait également discuté lors de l’événement), et leur activisme aura été prouvé dans les rues de La Havane, à partir d’une invitation à célébrer avec l’Observatoire la Journée de la lutte contre la discrimination raciale.
Le débat s’est enrichi avec les interventions des participants, qui ont interrogé les orateurs sur la difficulté de créer un écovillage de type coopératif à Cuba (en raison du cadre juridique actuel) ou sur la manière d’assurer la survie du GAU s’il s’affronte à des obstructions orchestrées par les représentants d’institutions qui ne comprennent pas et ne veulent pas comprendre son esthétique hip-hop, ni son engagement éthique et social. Ces interventions, avec celles des représentants du projet “Esquife” révèlent quels sont actuellement les grands problèmes de l’Observatoire critique.
La question de l’autonomie et de l’institutionnalisation des projets fut précisément l’une des plus récurrente question dans les discussions du IVe Observatoire critique, ainsi que celle plus complexe de la manière de généraliser le débat dans notre société, et passer de la réflexion et des mots à l’action dans des communautés qui ont faim de révolution mais infectés par le virus du conformisme. Sans exclure la possibilité d’avancer dans un dialogue avec les institutions, dans la mesure du possible s’il reste fécond, en collaboration avec elles, ou dans leur propre sein. Mais comme le IVe Observatoire critique l’a démontré une fois de plus, nous ne pouvons pas laisser que les efforts des militants pour agir “de bas en haut” se convertissent en otages de la stagnation, de la passivité et de l’opportunisme institutionnel.
À mon avis, à l’heure qu’il est l’Observatoire critique doit surmonter le grand défi que représente son organisation et sa coordination, en étendant l’horizon de l’équité entre les sexes (participation de plus de femmes).
Il est aussi extrêmement important pour surmonter les préjugés havano-centristes (le réseau de l’Observatoire se compose actuellement de projets situés dans les provinces de La Havane et la ville de La Havane, mais pas des délégations qui participent à l’événement annuel). Nous devons parvenir à coordonner les activistes socio-culturels et communautaires de diverses régions du pays et de plus en plus relier nos nouveaux projets de recherche aux autres parties du territoire. D’où l’importance de l’Observatoire dans son rôle d’organisateur d’un forum social annuel de créateurs. Le réseau a été conçu initialement comme une alternative à d’autres espaces, la plupart du temps concurrentiels ou cooptés ; par conséquent, la diversité et le dialogue sont les deux piliers de notre capital social et politique. Dans ce forum de l’Observatoire, participent par moitié des délégués des provinces qui composent notre pays (Pinar del Rio, les deux Havanes, Sancti Spíritus, Villa Clara, Granma et Santiago de Cuba), ainsi que les visiteurs de l’étranger (France, Italie, Russie et Japon). Pourtant, nous croyons que la diversité territoriale est encore insuffisante, notre prochain défi devra être l’organisation de manifestations similaires dans les différentes provinces du pays. Et nous devons continuer à travailler à l’extension de notre présence publique et dans les médias.
Dans l’objectif d’augmenter la participation de personnes provenant d’autres territoires, le soutien de l’association des frères Saíz a été très importante dans la gestion des transports et des aspects logistiques.
Aujourd’hui, les travaux de nombreux participants aux activités de l’Observatoire critique paraissent régulièrement dans diverses publications socio-culturelles, académiques et digitales, elles ne sont pas directement liés à notre réseau (comme “Caminos”, “Temas”, “Espacio Laical”, “Kaos en la Red”, “Cuba libertaria”, “Havana Times”…). Les activistes de la “chaire Haydée Santamaría”, durant ces trois dernières années, ont obtenu d’importantes bourses, des prix et des mentions nationales et internationales (Pinos Nuevos, Calendario, mentions dans le prix d’Essai de la revue “Temas”, le prix Isaac Schapera de la “London School of Economics”, entre autres), et deux de nos livres ont été publié. Nos textes furent également publiés dans plusieurs livres collectifs. L’année qui vient de s’écouler, les artistes plastiques Rodolfo Peraza et Wilay Méndez – tous deux militants de l’Observatoire – ont exposés as à la “Galerie Lumière et artisanat” (dans le cas de Peraza, pour une œuvre primée dans le cadre de la Biennale de La Havane). Wilaya a également créé une sculpture qui sera ajoutée à des graffitis sur le site où chaque année on commémore le “Jour de la décolonisation historique”. Peraza a participé à certains projets en dehors de Cuba.
En plus d’écrire, faire de l’art et de mettre en place des forums de débat, les collectifs qui composent l’Observatoire possèdent une puissance productive remarquable. En dehors de l’organisation et de la promotion des événements, les collectifs liés à l’Observatoire produisent :
Quatre excellentes publications numériques (“Esquife”, “Blackhat”, le “Garde-forestier” et le bulletin du SPD, consacré, respectivement, à l’univers socio-culturel cubain et mondial, à percer et à socialiser les “secrets” de l’informatique, à l’activisme écologiste, et à la promotion d’un socialisme autogestionnaire, coopératif, participatif et démocratique), ainsi que plusieurs blogs ;
Un logiciel libre (open source) à des fins diverses, fourni par le collectif “Blackhat” ;
Plantation des différentes espèces d’arbres, dans deux pépinières indépendantes (soutenues par des activistes communautaires comme Erasmo Calzadilla et Luis Gustavo Menéndez, et par les projets “Ahimsa et le “Garde-forestier”) ;
Services de plantation d’arbres et de reboisement (idem) ;
Services de vaccination des animaux (idem) ;
Surveillance de l’environnement (le “Garde-forestier”) ;
Cours sur différents thèmes (par exemple, par le groupe d’études culturelles “Notre Amérique”, et par la “chaire Haydée Santamaría”);
Services de mini-bibliothèque et demédiathèque public, avec accès aux publications et aux films de Cuba et d’autres pays, dans différents formats (chaire Haydée Santamaría);
Loisirs pour les enfants de tous âges et formation solidaire (le “Petit train”);
Expositions et promotion de l’art et la littérature (“Fanguitoestudio” et “chaire Haydée Santamaría”).
Toutes ces productions et ces services sont fournis absolument GRATUITEMENT.
En outre, dans le cas des publications en ligne et la distribution de logiciels libres, l’offre est faite en FONCTION DES BESOINS des bénéficiaires (malheureusement, il est nécessaire de dire qu’internet ou tout simplement un ordinateur pour un grand nombre de Cubains restent encore un luxe). La grande majorité des militants qui travaillent dans les projets de l’Observatoire le font VOLONTAIREMENT.
Le IVe forum de l’Observatoire critique de Cuba s’est terminé par la distribution gratuite des exemplaires du dernier numéro de la revue “Caminos” (du “Centre à la mémoire de Martin Luther King”) et le livre récemment publié “Sur les traces de l’exotisme oriental à Cuba” (avec le soutien de l’”association des frères Saíz), de Mario G. Castillo Santana –coordinateur de la chaire Haydée Santamaría et fondateur de l’Observatoire critique, qui a remporté le prix Calendario 2009. Il s’agit d’un regard nouveau et rafraîchissant sur la complexité des circuits géopolitiques qui peuplent l’imaginaire cubain et son histoire.
Quelques minutes avant nous avons eu l’occasion de voir la projection d’un documentaire sur l’œuvre de plus de 15 ans du projet le “Petit train” – qui enseigne aux enfants à jouer et à vivre dans la solidarité, et non dans la compétition existant dans le système-monde. Dans la vidéo, le petit garçon Ernestico (qui a également assisté à l’Observatoire en tant que plus jeune délégué, et qui a fait plusieurs interventions très lucides) dit : “Le petit train est gratuit … c’est pour ça qu’il plaît aux enfants.” Une idée très simple. En un instant, je me suis souvenu de quelques lignes de cette chanson historique du prolétariat :
Le bien le plus précieux est la liberté.
Il faut la défendre avec foi et courage.
Hisse le drapeau révolutionnaire,
qui mènera le peuple à l’émancipation…
Pour nous, la révolution est un fait possible, qui cette fois-çi ne se fera pas à coups de fusils, mais par les pratiques de la vie dans la résistance.
Comme un autre monde est possible. Et une autre Cuba, aussi.
Dmitri Prieto Samsonov