L’écrivain Agustín García Calvo sur la plaza de la Puerta del Sol à Madrid

Sans presqu’aucun doute, Agustín García Calvo, le vétéran antifranquiste, est aussi ou davantage connu en Espagne par ses idées libertaires que la CNT et la CGT, les deux syndicats révolutionnaires espagnols. Agustín García Calvo a aujourd’hui 87 ans, il est né à Zamora en octobre 1923.

Professeur de philologie classique à l’Université complutense de Madrid (UCM), il se rendit célèbre parmi les étudiants par ses idées « acrates » (contre le pouvoir) et il participa à l’agitation universitaire à Madrid en 1965. En conséquence le franquisme l’expulsa à vie de l’université, avec trois autres collègues Enrique Tierno Galván (plus tard socialiste et maire de Madrid), José Luis López-Aranguren (philosophe assez connu) et Santiago Montero Díaz (moins connu, communiste puis phalangiste).

Il demeura en exil à Paris quelques années en vivotant de cours d’espagnol dans le public et dans le privé, de traduction. Il anima des discussions à La boule d’or à Paris. En 1976, son poste lui a été restitué et il y finit sa carrière en 1992.

En dépit de ses travaux universitaires, il est plus connu comme poète et essayiste et par ses écrits et ses conférences libertaires très personnels. Quelques titres “Apories du Marxisme”, “Contre la Famille, Contre le Couple”, “Contre la Paix, Contra la Démocratie”, “Analyse de la Société du Bien-être”, “Nouvelles d’en bas”, “Non bien sûr que non”.

Propos d’Agustín García Calvo sur la plaza de la Puerta del Sol à Madrid (19 mai)

Vous êtes la joie, c’est la joie de l’inattendu, de l’imprévu, ni de la part des autorités et des gouvernements, ni de la part des partis quelle que soit leur couleur, vraiment imprévu. Vous-mêmes ou presque tous, il y a quelques mois ou quelques semaines, vous n’aviez pas prévu non plus ce qui pourrait surgir. Même si cela est ainsi, la joie est dans l’inattendu et il n’y a pas d’autre joie, il n’y a pas de futur, comme je vais le répéter maintenant. Néanmoins, je vais vous dire quelque chose qui semble contradictoire, j’attendais cela depuis quarante et quelques années, quarante six. [Vivats et applaudissements]

Je vous raconte un peu comment dans les années soixante, comme vous les plus jeunes vous en avez entendu parler, une vague commença à se lever dans le monde principalement des étudiants dans les universités, les campus et autres endroits similaires de Tokyo, Californie… En février 1965, cette vague déferla sur Madrid; je me laissai entraîner par elle avec une grande joie, pour dur que cela me coûta; [...] lors de ces années dans le monde avancé ou “premier” on était en train d’établir un régime, un régime du pouvoir, qui est justement celui-là même dont vous souffrez maintenant avec moi [...] pour le dire brièvement, le régime, la forme de pouvoir ou l’État, la « gouvernementation », l’administration étatique se confond totalement avec le capital, avec les finances, avec l’investissement financier: entièrement confondu. [Applaudissements, cris] On peut donc dire que c’est le Régime de l’Argent, en simplifiant, et donc je crois que beaucoup d’entre vous, tout bas vous sentez que c’est contre cela principalement contre quoi vous vous soulevez, contre quoi vous avez envie de crier, de dire la seule chose que le peuple sait, dire NON! [Longs applaudissements. Des cris: “C’est ça”]

Donc, ce qui m’a entraîné quand j’avais trente-neuf ans, il y en a quarante six, c’est la même chose qui arrive maintenant à sa culmination, à sa quasi vieillesse: le régime de l’État- capital, le régime de l’argent, effectivement donne des signes d’être lui-même fatigué, [...]

Je ne voudrais paraître vous donner des conseils, mais tout en ne voulant pas le sembler, je vais vous avancer une paire de boutades qui me viennent à l’esprit, des idées négatives sur toute chose. D’abord, c’est de ne compter en rien sur l’État quel qu’il soit: aucune forme d’organisation étatique. [Applaudissements et agitation] C’est une erreur qui à ce que je vois, beaucoup d’entre vous percevez sans qu’il soit très utile de vous le dire. Donc, et par voie de conséquence, on ne peut pas non plus utiliser en rien la Démocratie, ni le nom de ‘démocratie’. Je le regrette, et je vois déjà que cela n’attire pas d’applaudissements immédiats, mais cependant je dois insister.

Je comprends que choisir des slogans comme “Démocratie réel maintenant” peut être, de la parte de la personne qui l’a inventé, une tactique, une tactique pour ne pas apparaître pleinement, car cela reviendrait à dire en face et d’un coup “Non à tout État, démocratique ou pas!”, cela passerait mal et cette timidité ou modestie peut l’expliquer, mais je crois qu’il est temps de s’éloigner de ce faux pas. La Démocratie est un trompe l’œil, c’est une tromperie pour ce qui nous reste de peuple vivant et de gens. Ce l’était déjà depuis qu’elle fut inventée chez les Grecs anciens à Athènes et ailleurs. C’est un trompe l’œil qui est fondé surtout sur cette confusion que son nom même dénonce: demo et kratos. Kratos est le pouvoir et Demo, on suppose que c’est le peuple, et, quoi qu’il en soit des avatars de toute histoire, jamais le peuple ne peut avoir le pouvoir: le pouvoir est contre le peuple. [Bravos]

C’est une chose trop claire, mais il faut la comprendre. [Applaudissements et vivats] tant est si bien que je suppose que cette contradiction que est inscrite dans le nom même de la démocratie vous engage fort à le comprendre vraiment. Le régime démocratique est simplement le plus avancé, le plus parfait, celui qui a donné les meilleurs résultats, celui qui est arrivé à produire le Régime du Bien-être où l’on dit que nous vivons; c’est simplement ça, mais en même temps cela n’en est pas moins le Pouvoir, celui de toujours. Au contraire, plus il est parfait, plus il est avancé, plus il est habile dans ses trucs pour leurrer et donc dans le maniement du mensonge, qui est essentiel à tout Pouvoir. Cela j’espère que vous le saisissez également bien: sans mensonge aucune forme de Pouvoir ne persiste. Le mensonge est de faire croire, et c’est la foi et le ciment, le fondement de tout État. C’est ainsi que, si l’un de vous a l’illusion d’accéder à une démocratie meilleure, je lui demanderai de s’écarter de cette voie. Ce n’est pas par là, pas sur cette voie, et si votre soulèvement en venait à atteindre un caractère organisé, en définitive semblable à celui de la propre administration de l’État, vous auriez par là même perdu, vous ne feriez que répéter à nouveau la même histoire avec d’autres couleurs et perfectionnée justement, car elle a assimilé le soulèvement, assimilé la protestation. C’est la façon qu’à travers des révolutions ayant toujours échoué que les États ont avancé. C’est justement ce dont ils ont besoin, pour continuer à être la même chose qu’ils sont. L’Argent ne peut que changer, changer pour demeurer pareil: c’est le grand truc qui vous guète. Quand je vous suggère ou je vous demande de renoncer aux idées d’un autre État meilleur, d’un autre pouvoir meilleur et je vous rappelle que… [Grand brouhaha sur la place... Agustí avance ensuite des développements sur le futur qui est le temps de la banque, la supériorité des assemblées sur les élections, contre l’université et les examens]

La soumission aux examens c’est simplement la soumission au futur, nous n’avons pas de futur. En rappelant que les établissements universitaires où vous êtes ne sont destinés qu’à cela, à la fabrication de futurs et de nombreux fonctionnaires, cette proposition ne vous paraîtra peut-être pas aussi insensée. Mais qu’elle vous le paraisse ou non, sur ce je vous laisse, en vous répétant la joie de cet inattendu qui m’a amené parmi vous et qu’en même temps j’attendais depuis 1965, Salut! [MERCI!]

Vous pouvez écouter la prise de parole d’Agustín García Calvo à cette adresse :

http://www.editoriallucina.es/cms/agustin-garcia-calvo/archivos-orales/conferencias-recitales/agustin-garcia-calvo-en-la-puerta-del-sol.html


Enrique   |  Actualité, International   |  05 26th, 2011    |