La nouvelle version des “Lineamientos” est dans les kiosques cubains et téléchargeable ici
La nouvelle version des « Lignes directrices » est sortie hier dans les kiosques cubains.
« Il s’agit des résolutions du 6e Congrès du Parti Communiste Cubain. Celui-ci a analysé le projet final des “Lignes directrices” de la politique économique et sociale du Parti et de la Révolution, pour actualiser le modèle économique cubain, avec l’objectif de garantir la continuité et l’iréversibilité du Socialisme, le développement économique du pays et l’élévation du niveau de la population, conjugués avec la nécessaire formation de valeurs éthiques et politiques de nos concitoyens ».
C’est ainsi que commence le préambule de ces textes.
Sur la forme tout d’abord, le texte reprenait le lexique critique devenu courant ces deux dernières années : “procédures paternalistes”, “gratuités indues”, “subventions excessives”, “équité” contre “égalitarisme”, “actualisation”, “perfectionnement” du modèle économique, et entérinait les mesures prises jusque là par le gouvernement de Raul Castro (suppression des cantines ouvrières, annonce du licenciement d’un million de travailleurs, réduction des bus de transport des salariés, suppression du quota de cigarettes alloué aux personnes âgées dans le carnet de rationnement, etc.). Cette nouvelle version réaffirme notamment l’une des mesures phares, la libéralisation du secteur dit “non étatique” (pour ne pas dire “marché”). Certaines annonces semblent cependant avoir été le fruit de compromis difficiles : ainsi le texte n’annonce pas la suppression de la dualité monétaire (l’existence de deux monnaies : peso et CUC – proche du dollar), mais la réalisation d’études sur sa suppression.
Sur le fond, les réformes sont présentées comme nécessaires pour assurer la pérennité de ce modèle socialiste. Mais qu’est ce modèle socialiste ? Le socialisme est ici redéfini, contre l’égalitarisme qui prévalait jusque là, comme l’« égalité des droits et des chances » entre les citoyens. Si la spécificité cubaine (l’accent mis sur une justice sociale très égalitaire) semble donc avoir disparu, les principes directeurs historiques du modèle économique cubain ne se transforment guère. La planification de l’économie reste présentée comme centrale, alors qu’elle avait été partiellement abandonnée, au cours des dernières années, au profit de logiques d’ajustement de court terme. Et l’ouverture à une augmentation des autorisations de travail en libéral est assortie de l’annonce de la mise en place de nouvelles méthodes de contrôle de l’économie, y compris du petit secteur privé en expansion, par l’Etat.
Le gouvernement se propose d’accorder une plus grande autonomie au champ économique, en insistant sur ses logiques propres : rentabilité des entreprises, autofinancement y compris par l’investissement des bénéfices obtenus, salaires en rapport avec la production, fin des subventions d’État pour compenser les pertes et la création d’un marché de gros pour approvisionner le petit commerce privé émergent ainsi que les coopératives. Alors que le plein emploi dans le secteur étatique hégémonique avait constitué jusqu’ici un des objectifs du gouvernement, pour des raisons politiques et de contrôle social, la productivité des salariés comme des entreprises apparaît désormais comme centrale, au point où les entreprises structurellement déficitaires seront mises en liquidation. Il s’agit en effet de faire progresser rapidement la productivité des entreprises, afin de substituer une partie des importations par la production locale et de résorber ainsi le déficit permanent de la balance extérieure, alors que l’aide cruciale apportée par Hugo Chavez (investissements et fourniture de pétrole) s’essouffle. Enfin, comme dans d’autres économies à forte composante redistributive, les entités dites « sous budget d’Etat » (dans les secteurs de la santé et de l’éducation) auront désormais un statut clairement distinct des autres entreprises, au sens où leur fonctionnement à perte restera couvert par l’Etat.
Si productivité et rentabilité sont donc devenus les maîtres mots, dans une économie soumise à de grandes difficultés, le lexique militaire de l’ordre, de la discipline et de l’efficacité est également prégnant dans l’ensemble du texte. Outre la place – devenue majeure – des forces armées dans l’économie, il pointe vers la conception politique verticale des élites politiques cubaines, restée inchangée depuis les années 1960. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pouvons douter de la portée des réformes. Il est à craindre que la plus grande autonomie allouée aux entreprises d’Etat ainsi que la micro libéralisation du petit commerce (elle concerne 178 métiers artisanaux) ne demeurent dépendantes de revirements du gouvernement. Nous devons constater la continuité des absurdités bureaucratiques comme l’octroi d’un budget étatique de 130 millions de dollars pour l’achat des biens nécessaires au fonctionnement du petit secteur privé émergent et qui seraient mis à disposition des nouveaux petits entrepreneurs, sans jamais les avoir consulté pour connaître leurs besoins ni effectué d’études de marché.
Au-delà des orientations d’ordre économique, la lecture de ce texte pousse à s’interroger sur les fondements du modèle socialiste cubain. On peut en effet légitimement s’interroger sur ce qu’il reste du socialisme dans un système qui minimise les processus redistributifs sur lesquels il était fondé sans pour autant accorder plus de poids aux citoyens dans les processus de décision qui vont fortement peser sur leur quotidien. Consultés massivement lors des assemblées de travailleurs convoquées par les organisations de masse et le PCC dans les centres de travail, les Cubains ne peuvent en réalité déborder le cadre de discussion offert par le projet de texte. Ils ne sont associés aux réformes que dans la mesure où il leur est demandé de les accepter et de s’y adapter. Comme le soulignent certains blogueurs et dissidents, l’absence de droits civils et politiques ne permet pas l’organisation de luttes larges pour le maintien des droits sociaux. Ceux-ci ont en effet été conférés il y a cinquante ans par les révolutionnaires au pouvoir, plutôt que véritablement gagnés par les citoyens organisés. Malgré le gain de nouveaux droits économiques comme la possibilité accrue de créer sa petite entreprise, c’est de la même manière que ces droits sociaux leur sont aujourd’hui retirés.
Vous pouvez télécharger la brochure sur les “Lineamientos” ici :