L’ethnologue cubaine Natalia Bolívar Aróstegui : un pilier de sagesse et de cubanité

Natalia Bolívar est morte à La Havane le 20 novembre 2023. Avec sa mort, Cuba a perdu un bastion de la recherche et de la sauvegarde des traditions africaines, ainsi qu’un être humain d’une extraordinaire sensibilité et d’un engagement envers les idéaux de justice. L’île perd l’un des intellectuels les plus polyvalents du XXe siècle.

Née dans la ville de La Havane le 16 septembre 1934, au sein d’une famille aisée, elle a étudié le ballet pendant son enfance et a été championne de natation au Biltmore Yacht Club. Elle a étudié à l’école américaine St. George School dans la capitale cubaine, puis s’est inscrite au centre catholique Sagrado Corazón, où elle a obtenu son diplôme de Baccalauréat en Sciences et Lettres.
Au début des années 50, Bolívar a suivi de nombreux cours à La Havane et à New York en chinois, espagnol et histoire de l’art cubain. Elle a commencé à s’intéresser à l’anthropologie, et particulièrement à la culture afro-cubaine, qu’elle a découverte très tôt grâce à sa nourrice, Isabel Cantero.
« Comme elle écoutait les histoires de sa mère, d’origine congo, et dans ces histoires tout prenait vie, elle nous endormait ensuite avec ces récits », se souvient-elle dans une interview. Le petit virus d’étudier la question afro-cubaine me vient d’elle » ajouta-t-elle.

Sa passion l’a menée à travailler au Musée National des Beaux-Arts en tant que guide et interprète en anglais et en français. Elle a ensuite rejoint la salle d’ethnologie cubaine de cette institution, où elle a partagé des recherches avec Lydia Cabrera. Aux côtés de l’auteure de El Monte et de l’anthropologue Fernando Ortiz, elle s’est formée à des sujets tels que la méthodologie de la recherche, l’ethnographie et l’ethnographie afro-cubaine.
Parallèlement à l’anthropologie, Bolívar a pris conscience politiquement, et à la fin des années 50, elle a rejoint le Directoire révolutionnaire pour lutter contre la dictature de Fulgencio Batista. Elle faisait partie de l’organisation lorsque plusieurs de ses membres ont tenté d’assassiner le dictateur au Palais Présidentiel, une action qui a échoué.
En juillet 1958, elle a été arrêtée et torturée par le redouté Bureau des Investigations de La Havane. Après sa libération, elle s’est réfugiée à l’Ambassade du Brésil, mais elle a finalement quitté cet endroit pour entrer dans la clandestinité.


En janvier 1959, avec l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, leader du Mouvement du 26 juillet, les figures liées au Directoire ont été reléguées au second plan dans les structures du pouvoir. Bolívar a été nommée directrice de ce qui est aujourd’hui appelé le Musée National des Beaux-Arts, du Musée Napoléonien, des Arts Décoratifs et du Musée Numismatique.

À partir de là, elle développe une carrière frénétique qui l’amène à conseiller des films et des pièces de théâtre, à donner des conférences, à publier plusieurs livres d’anthropologie et à organiser de nombreuses expositions. Cependant, sa religiosité lui a fait vivre des moments très difficiles durant les décennies d’athéisme intense sous le castrisme.
Parmi ses livres, se distinguent des titres tels que
Los Orishas en Cuba, un ouvrage qui a souffert de la censure pendant des années avant d’arriver en librairies ; Ituto : la mort dans les mythes et rituels afro-cubains ; Opolopo Owó : les systèmes divinatoires de la Regla de Ocha ; Mythes et légendes de la cuisine afro-cubaine et Cuba santa.
Ces dernières années, ses critiques à l’égard de la gestion du pays se sont également intensifiées, et elle a plusieurs fois déploré la dérive autoritaire du régime cubain.

Le 19 février 2020, nous avons publié sur Polémica cubana un article intitulé « Le réel merveilleux de Natalia Bolívar ». Il retrace magnifiquement l’existence de Natalia. Vous pouvez le lire ici : http://www.polemicacubana.fr/?p=14081

Pour notre film Asi na’ma. Cuba l’africaine, Mireille Mercier Balaz et Daniel Pinós ont rencontré Natalia. Son témoignage commence à 3 mn. Le lien sur le film : https://www.youtube.com/watch?v=jtY7vpMwiwY


Enrique   |  Culture, Religion, Société   |  09 30th, 2024    |