Retour à Cuba
Samedi
Arrivée à La Havane et retour à Cuba vingt ans plus tard. Nous avons immédiatement un aperçu de la bureaucratie tropicale, car il fallait télécharger un formulaire, ce que nous avons fait, contrairement à d’autres voyageurs. Mais, de toutes façons, les policiers n’en vérifient qu’un sur deux, assis derrière leurs tables bancales en bois. Les guérites antédiluviennes meublent le passage pour le contrôle des passeports. Les bagages arrivent ensuite au compte-goutte bien qu’il n’y ait qu’un seul avion à débarquer.
Le trajet vers le centre-ville se fait dans le noir (pas de lumière pour éclairer les rues), rares voiture, mais le chauffeur de taxi nous explique la pénurie d’essence qui sévit du fait de la crise économique au Venezuela. Nous voyons d’ailleurs des stations-service fermées, et d’autres avec des dizaines de voitures qui attendent. Certains chauffeurs ont installé leurs chaises et leurs tables pour patienter.
A l’entrée de La Havane, les portraits géants et illuminés de deux des héros de la Révolution, Che Guevara et Camillo Cienfuegos, contemplent la faillite. Un immense slogan nous interpelle sur un mur “Patria o muerte”. Mais de nombreux bâtiments sont écroulés ou lépreux.
La jeune femme qui nous accueille dans notre hébergement, nous dit que ça a beaucoup changé en vingt ans, mais “en pire”.
Dimanche
Nous sommes au centre de La Havane, en bordure du quartier historique. De la fenêtre de notre chambre, nous voyons de l’autre côté de la rue, une famille qui fait sa cuisine dans un appartement sans fenêtres dans un immeuble à moitié écroulé.
Pour contribuer à l’économie locale, nous avons pris un tour de ville à pied avec un guide, Alvaro. Le centre historique tient encore debout et la splendeur de la ville s’impose. Alvaro nous explique que plus rien de fonctionne correctement, que l’économie repose uniquement sur le tourisme, mal en point, et que le président est une marionnette de Raul Castro et des généraux. Alvaro nous explique qu’avec la possibilité d’ouvrir des commerces privés, on voit maintenant des gens qui marchent “comme des Européens, d’un pas rapide, ils savent où ils vont et pour quoi faire, alors que le Cubain normal déambule lentement et sans but précis”. Pourtant l’ambiance détendue et nonchalante de la ville est toujours la même.
Lundi
Voyage en bus vers Viňales. Nous patientons car le bus est en retard. Un chauffeur de taxi me rassure vaguement “le bus devrait passer”. Un autre m’explique que le bus doit prendre des voyageurs dans plusieurs endroits avant nous. Finalement le bus arrive avec 45 minutes de retard et vide. En l’attendant, nous avons pu admirer des superbes voitures américaines des années 50, toujours entretenues et lustrées, de couleurs éclatantes (rose, framboise, bleu, jaune…) qui proposent des tours de ville aux touristes.
Le trajet vers Viňales se fait en partie sur une autoroute où les gens patientent en attendant un hypothétique moyen de transports collectif ou une voiture qui les prendrait en stop. A cause du soleil, ils se concentrent souvent à l’ombre sous les ponts.
Viňales est un village dans les collines. Dans notre résidence, les coupures d’électricité alternent avec les coupures d’eau au désespoir de notre logeuse. Elle nous explique que l’alimentation de la ville en eau s’est arrêtée depuis quatre mois à la suite de la défaillance d’une pompe, toujours pas réparée, et que l’eau arrive par camions citernes.
Mardi
Nous partons pour une petite excursion à pied dans la vallée. Notre accompagnatrice, Elisabeth, s’en sort bien financièrement car elle est payée en devises étrangères. Elle était professeure de français et anglais, maintenant gagne, en une journée dans le tourisme, le salaire mensuel d’un enseignant. Mais elle est désespérée et parle marasme sans issue du pays. Elle nous dit qu’à la fin de la pandémie, il y a eu les plus grosses manifestations depuis la Révolution de 1959. La répression a été impitoyable et les prisonniers politiques sont encore plus nombreux qu’avant. Elle nous raconte aussi comment elle s’est retrouvée en prison au Mexique avec son fils de deux ans et son mari car ils étaient soupçonnés de vouloir émigrer aux USA. Finalement, ils ont été renvoyés au Portugal d’où ils venaient après un périple en Europe.
Nous avons droit à une démonstration de confection de cigare par un planteur. Il nous propose de goûter mais nous ne fumons ni l’un ni l’autre.
Au déjeuner, le serveur est encore plus déprimé qu’Elisabeth. Il est médecin gynécologue, mais il ne peut pas travailler et, de toutes façons, il n’y a pas de médicaments disponibles, sauf au marché noir. Il ne le mentionne pas, mais le fait qu’il soit visiblement homosexuel est peut-être un handicap pour réussir à Cuba.
Dans notre résidence, nous discutons avec trois septuagénaires (au moins), qui font le tour de l’ile à vélo. Ils sont venus des Pays Bas avec leur bicyclettes. L’un d’eux porte un tee-shirt avec l’avertissement ” Ne sous-estimez pas un vieux avec un vélo”.
Mercredi
Nous nous baladons tranquillement à pied dans la campagne. La plupart des gens se déplacent avec des sortes de sulky aménagés pour deux personnes. Des taxis hippomobiles sillonnent les routes. Un cultivateur travaille son champ avec une herse en bois tirée par des bœufs. Les passants nous saluent tous aimablement. Malgré la pauvreté, nous n’avons aucune sensation d’insécurité. La publicité n’existe pas dans le paysage cubain, ce qui est logique, pas simplement pour ne pas valoriser les entreprises capitalistes, mais parce que personne n’a d’argent pour consommer du superflu. Et le superflu à Cuba prend une acception extensive.
Retour à La Havane.
Le soir, nous cherchons un restaurant et dans l’un d’eux, une Française, la cinquantaine, nous apostrophe : “Ici, c’est génial et pas cher ! Les mojitos sont super ! Je ne mange qu’ici depuis mon arrivée, n’est-ce pas ?” dit-elle en se tournant vers son compagnon, un Noir aux traits fins, plus jeune qu’elle. Je demande à ce monsieur “Vous êtes de La Havane ? “.”Oui, moi je suis d’ici”. Cette femme s’est trouvé un gigolo et elle est tout excitée. Elle a peut-être aussi un mojito dans le nez. Dans le restaurant que nous avons finalement choisi, un couple s’installe à côté de notre table. Lui, la quarantaine, blanc et adipeux. Elle, métisse, la vingtaine et maigrichonne. Tourisme sexuel pour tous.
Jeudi
Voyage vers Trinidad avec un arrêt à Playa Gijon, la fameuse Baie des cochons où les Américains ont échoué à débarquer après la révolution de Fidel Castro. Un musée célèbre avec grandiloquence cette victoire sur l’impérialisme yankee, Histoire largement fanée aujourd’hui, comme les photos.
Arrêt en route à Cienfuegos, une ville bien restaurée et tranquille. La place centrale est magnifique et le vieux théâtre du 19ème aux sièges en bois nous transpose dans une autre époque quand Caruso et Sarah Bernard se produisaient sur cette scène.
Trinidad, ses vieilles rues aux pavés inégaux, ses maisons colorées, une merveille de l’architecture coloniale. Tellement le témoin du passé qu’Internet est quasi inaccessible. Nous allons diner dans le restaurant indiqué par notre logeuse qui nous rappelle une institutrice des temps anciens, directive mais encourageante (“votre espagnol est vraiment très bon”). Il s’agit en fait d’un restaurant de luxe, climatisé et aux serveurs stylés. Les portions dans les plats, excellents, sont tellement énormes que cela devient indécent par rapport à la misère ambiante. Nous prenons du vin argentin pour oublier nos compromissions.
Vendredi
Coupure d’électricité. Même sans coupure, le wifi de notre casa particular est très déficient. Cela tient peut-être à l’âge de la patronne qui ne semble pas très familière d’Internet. Elle nous montre le code du wifi écrit à la main sur un vieux papier qu’elle tient du bout des doigts comme une chose bizarre.
Nous faisons un tour de ville avec Rosy, une retraitée de l’agence du tourisme cubain. La visite est instructive mais le discours de Rosy aussi sur la situation du pays : si tout va mal, c’est parce que les Américains ont renforcé leurs sanctions, et que des pays amis de Cuba comme la Serbie ou la Turquie ont été obligés de suivre. Mais elle nous explique aussi l’évolution de la ville liée à l’industrie sucrière qui a mis la clé sous la porte en 2005.
Trinidad a attiré autrefois les entreprises étrangères qui ont façonné l’architecture coloniale et édifié ces demeures dans lesquelles nous apercevons encore les élégantes pièces de mobilier fabriquées par des ébénistes sûrs de leur compétence.
Ce soir, coupure d’électricité dans le quartier où nous habitons.
Diner au restaurant pour lequel Rosy fait la rabatteuse, en plus de ses activités de guide et de sa retraite. Grâce à elle nous pouvons bénéficier du wifi du restaurant. Nous apprenons ainsi que Navalny est mort dans sa prison dans l’Arctique. Quelle que soit la cause exacte de son décès, Poutine l’aura assassiné.
Coupure générale d’électricité sur le centre historique. La ville est plongée dans le noir et nous retrouvons notre chemin grâce aux lampes de nos téléphones portables, pour éviter les trous dans les trottoirs.
Samedi
Aujourd’hui, le peso cubain s’est encore dévalué au marché noir par rapport à l’euro. Le cours officiel n’a pas changé, mais c’est une pure fiction et personne ne s’y réfère même dans les restaurants. A notre arrivée, 1 euro valait 240 pesos, aujourd’hui 300 soit une chute de 25% en une semaine.
Un couple d’Espagnols nous raconte les multiples coupures d’eau et d’électricité qui rendent la vie impossible aux Cubains, mais aussi aux touristes sur lesquels le gouvernement compte prioritairement pour soutenir son économie. Le tourisme est affiché comme une priorité, mais c’est mal parti. Seuls La Havane et les plages de Varadero sont à peu près préservées des aléas car, là, se concentrent la majorité des visiteurs étrangers. Mais jusqu’où le pays va-t-il s’enfoncer ?
Nous partons en excursion dans les plantations de café sur les hauteurs et notre accompagnateur Evelio, confirme que la situation s’est aggravée après la pandémie. Pourtant il n’en attribue pas la responsabilité aux agissements de perfides pays étrangers, mais à la réforme économique pendant le confinement avec la disparition du peso convertible (monnaie réservée aux touristes). Evelio nous signale un point de contrôle quand la voiture ralentit. Je lui demande ce qu’ils contrôlent. “Tout… et rien”. Quand Evelio évoque tous ceux qui ont émigré, il écrase une larme, pensant sans doute à tous ses amis partis sans retour, ou peut-être aussi à ceux qui sont morts sur le chemin périlleux de l’exil.
Des groupes de touristes font la même excursion que nous, mais ils sont transportés sur de vieux camions russes dont la plateforme a été aménagée avec des rangées de sièges métalliques. Tape-cul garanti, car les routes à Cuba, ici comme partout sont fissurées, ravinées et les chauffeurs slaloment entre les obstacles pour ménager leurs amortisseurs.
Un couple de Français voyage avec une voiture de location. Erreur totale ! Il y a peu de panneaux indicateurs, et l’application de navigation n’est pas du tout à la hauteur de Google Maps. De plus, ils ont mis trois heures à remplir leur réservoir, car il faut trouver une station ouverte, et payer avec une carte de crédit. Et la connexion du lecteur de carte a nécessité à elle seule deux heures de patience.
Je récupère par miracle de la connexion cet après-midi et je lis que mon amie Marie Edith me demande ironiquement si je suis impliqué dans le vol à Cuba de 135 tonnes de poulets, détournées au vu et au su de tous de l’entreprise d’Etat pour finir au marché noir. Plusieurs officiels dont le directeur de l’usine ont été sanctionnés.
Dimanche
Coupure le matin.
Nous retrouvons Rosy pour visiter la Vallée des Sucreries. Rosy a été formée à l’école des guides soviétiques. Elle noie le visiteur sous les détails et les chiffres pour étouffer toute question dérangeante. Des guides aux service d’un système de pensée.
Le petit musée n’est pas ouvert, car les employés doivent venir en auto-stop et ne sont pas encore arrivés. Nous regardons quelques murs en ruines et Rosy nous explique le fonctionnement de l’usine d’autrefois. Elle a toujours cette attitude de vaillante pionnière du socialisme, pleine d’assurance, et elle régente un peu tout le monde car elle est manifestement très connue. Elle est tout de même préoccupée par l’émigration massive aux USA et en Espagne et par ceux qui choisissent la voie du passage illégal à partir du Nicaragua, où les Cubains peuvent se rendre sans visa.
– Rosy, vous connaissez le Nicaragua ?
– Non mais je sais que c’est un pays socialiste.
Cette fois, nous la contredisons. Nous lui décrivons la dérive de l’ancien guérillero Daniel Ortega, et les lubies religieuses de son épouse et vice-présidente qui a fait installer des “arbres de vie” métalliques dans toute a capitale, Managua.
De manière générale, la foi de Rosy vacille, mais elle se raccroche à sa grille d’interprétation du monde et au slogan “Resistencia !”. Elle déplore que les jeunes ne résistent plus et préfèrent émigrer.
Comme nous ne voulons pas partir trop tard pour Camaguey (280 Kms), nous proposons de supprimer le déjeuner. Refus de sa part : “C’est inclus !”. Je comprends pourquoi au moment du repas, car elle choisit comme plat la Ropa Vieja (vieilles fringues) à base de bœuf effiloché, de tomates et de poivron). Je commente :
– C’est le plat national cubain !
– Pour vous, mais pas pour nous, car nous n’avons pas souvent de la viande à manger.
Ainsi, si elle insistait pour que nous prenions ce “repas inclus”, c’est parce qu’elle-même pouvait profiter de ce plat inaccessible pour la majorité des Cubains.
Nous partons donc pour quatre heures de voyage et arrivons à la nuit tombée après avoir craint que sur ces routes peu éclairées et défoncées, on renverse un piéton, un animal ou un cycliste, ou que la voiture se brise. Camaguey est dans le noir mais l’électricité revient rapidement. La ville est plus récente que Trinidad, mais très agréable avec quelques immeubles rococos du 19e.
Nous dinons correctement dans un restaurant populaire pour le prix de trois expressos en terrasse à Paris. Et nous terminons par un café dans un salon de style soviétique, entièrement vide, mais aux serveurs très professionnels.
Notre logeur s’appelle Adonis, un prénom difficile à porter.
Lundi
Sur la route de Bayamo, deux policiers arrêtent notre voiture. Ils sont en panne avec leur moto, et demandent à notre chauffeur s’il ne pourrait pas les aider. La discussion est assez technique, mais il finit par leur dire qu’il est vraiment désolé de ne rien pouvoir pour eux.
Sur la route nous croisons comme d’habitude toutes sortes de moyens de transports : des camions qui entassent les voyageurs dans leur benne, des calèches collectives, des cyclo-pousses, des scooters électriques….
Nous sommes un peu loin du centre et la famille qui nous héberge semble intimidée par notre arrivée. Tour de ville avec un guide officiel qui nous a été affecté. IL est assez coincé et parle un anglais très pauvre, mais s’accroche, question de dignité. Toute la ville est calme et quasi silencieuse hors le bruit des sabots des chevaux des taxis-calèches. Le centre-ville n’a aucun intérêt malgré un effort de décoration dans une rue appelée pompeusement “Le Boulevard”. A un moment, je reste un peu en arrière et le guide revient sur ses pas pour vérifier ce que je peux bien photographier. Il nous demande si Bayamo nous plait. Nous l’assurons poliment que oui, mais nous ne garderons probablement que le souvenir flou d’une étape sur la route de Santiago.
Notre guide nous a indiqué un restaurant pas loin de notre logement. Nous découvrons un établissement très classe, au décor design, destiné aux riches qui fêtent leur réunion de famille, ou pour un apprenti rappeur avec une lourde chaine en or (ou simplement dorée ?) autour du cou. Nourriture excellente et moins chère que les restaurants que nous avons fréquentés jusque-là. Nous rentrons par les rues sombres mais sans crainte.
Mardi
Route de Bayamo à Santiago de Cuba. Nous avions accepté une petite excursion dans la Sierra Maestra, mais elle est écourtée en raison du temps couvert et pluvieux. Armando, notre accompagnateur est un grand Noir extraverti et rigolard, qui nous fait tous les deux penser à un Sénégalais ou un Malien tels que nous les connaissons en France. C’est le premier Cubain un peu optimiste que nous rencontrons. Il juge que le régime a échoué (en fait, il dit qu’il “n’a pas réussi”) mais que cela permet d’ouvrir les yeux. Il faut garder ce qui marche (éducation, sécurité) et développer de nouvelles activités. Cela commence déjà selon lui. Il nous montrera des exemples en faisant avec nous un tour de ville demain.
Mercredi
Armando nous explique que sa profession principale est professeur d’anglais. Il nous propose de suivre pour la visite un fil conducteur économique, entre les rations mensuelles auxquelles chacun a droit grâce à un carnet officiel (libreta) dans les magasins d’Etat, mais qui ne suffisent pas pour se nourrir, et la débrouillardise incontournable pour survivre. Les Cubains développent d’autres microcircuits économiques : ventes ambulantes, vente sur le pas de la porte de sa maison, troc, marché noir… L’objectif est de confier le moins d’argent possible à la banque car personne n’a confiance dans les institutions étatiques. Résultat, l’Etat n’a pas de ressources pour investir, car tout l’argent est sous forme liquide dans la rue ou thésaurisé par les gens chez eux. Le pays n’a rien à vendre pour acheter de l’essence ou d’autres biens pour le fonctionnement normal ou l’investissement. Le tourisme américain, qui avait explosé sous Obama, a disparu sous Trump. D’ailleurs, ce matin, nous ne croisons aucun touriste dans cette ville pourtant séduisante et en partie restaurée.
A un moment, Armando s’approche d’une dame qui vend des vêtements devant sa maison. Il nous décrit en détail son commerce, plus rémunérateur que celui de professeure du primaire. A la fin, il l’embrasse sur les lèvres. “C’est ma femme”. C’est la deuxième enseignante, après Elisabeth de Viňales, que nous rencontrons et qui abandonne son métier par impossibilité d’en vivre, sans compter Armando lui-même qui complète son salaire en guidant les touristes. L’éducation était une des grandes réussites du régime castriste, mais que va-t-elle devenir si les professeurs jettent l’éponge ? Finalement, Armando s’avère bien extraverti, mais pas si optimiste que ça et ses explications sur le quotidien des Cubains est assez déprimante.
Nous allons au cimetière de Santa Ifigenia. Nous trouvons la tombe de Compay Segundo sur laquelle figure une guitare surmontée d’un chapeau, avec la légende “Las flores de la vida”.
La tombe de Fidel Castro est un gros bloc de pierre grise avec une simple inscription en lettres dorées “Fidel”.
Jeudi
Journée de flânerie dans Santiago entrecoupée de quelques visites dans les musées de la ville. Le musée d’art d’Emilio Baccardi Moreau n’a aucun intérêt et une salle est si peu éclairée qu’on distingue à peine les tableaux. Nous essayons d’entrer dans le musée de la Révolution cubaine. Mais la vendeuse de tickets, formée à la soviétique malgré ses faux ongles jaunes et ses lèvres violettes, en costume militaire, refuse de vendre les entrées si on ne fait pas l’appoint. Le prix est dérisoire. Je finis par payer les entrées d’un couple de Cubains, confrontés au même problème, pour arriver à un montant suffisant à ses yeux, et elle se dispense de me rendre la menue monnaie. Le musée n’a lui non plus aucun intérêt : quelques armes, des photos de la geste révolutionnaire, des slogans et des extraits de discours du lider maximo.
Coupure d’électricité dans le quartier du restaurant que nous avons choisi.
Vendredi
En route pour Baracoa. Après avoir dépassé Guantanamo, notre voiture donne des signes de faiblesse et, peu après avoir attaqué la montagne, elle rend quasiment l’âme. Notre chauffeur se confond en excuses. On essaie de le rassurer “les pannes, ça arrive aussi en France”. Finalement, nous redescendons un peu car il n’y a pas de réseau pour appeler de l’aide. Nous nous arrêtons dans un hameau de montagne, très pauvre. Rapidement, une dame accourt avec deux chaises pour que nous puissions attendre plus confortablement. Les enfants jouent au ballon pieds nus dans la poussière. Le chauffeur réussit à appeler un de ses collègues de Baracoa pour qu’il vienne nous chercher. Au bout d’un moment, la dame resurgit et nous offre des cafés pour tous les trois. “Tu sais, les Cubains sont comme ça” commente le chauffeur. Enfin son collègue arrive, mais lui va devoir trouver un réparateur pour son alternateur. Cela risque de lui prendre un certain temps. On le croit aisément en le quittant et en lui souhaitant sincèrement bonne chance.
Baracoa est une petite ville très jolie et alanguie sur la côte nord au bord de l’Océan dont les vagues se brisent sur les rochers en bas du Malecon local. Petites maisons basses, couleurs pastel, rues à colonnes. Indolence et inactivité. Une impression plus caribéenne qu’ailleurs. Une vieille dame m’interpelle aimablement “Je m’appelle Esperanza, et toi ?”.
Coupure d’électricité.
Samedi
Dès que nous voyons le garde forestier qui va nous accompagner pour une excursion, nous comprenons que nous ne sommes peut-être pas dans le ton. Il porte une tenue de camouflage et des rangers, le crâne rasé.
L’excursion vers le sommet de la petite montagne El Yunke commence par le franchissement d’un gué à travers le fleuve de vingt mètres de large et nous avons de l’eau jusqu’à mi-cuisse. Je finis par me retrouver le cul trempé et je poursuis l’escalade en caleçon. Brigitte n’a pas envie de faire une marche harassante jusqu’au sommet. Et pour ma part, les promenades en forêt ne me motivent pas du tout. Marcher en regardant ses pieds en permanence pour éviter les chutes, et pour apercevoir à grand peine deux ou trois oiseaux….
Au retour, après un nouveau franchissement de la rivière, un peu plus réussi, nous nous arrêtons chez une dame qui nous fait un chocolat maison.
Coupure d’électricité quand nous arrivons au restaurant, mais cela se rétablit rapidement. Coupure d’électricité quand nous sommes de retour à notre hébergement. Mais entretemps, nous avons eu un très bon diner au son d’un trio dont le chanteur à la voix toujours claire, a bien dans les 80 ans.
Dimanche
Nous quittons la sympathique ville de Baracoa et son ambiance caribéenne. Sur la route, nous longeons une usine avec de hautes cheminées qui disséminent des fumées peu engageantes. “Nickel et cobalt”, nous informe le chauffeur. De gros tuyaux qui sortent du site, ont un aspect vétuste et rouillé qui ne me rassure pas.
Notre étape suivante est Cayo Saetia, une petite ile pour laquelle notre agence a décrit “un hébergement un peu rustique”.
A l’entrée de l’ile, notre chauffeur qui voyage avec sa femme, s’arrête à un poste de contrôle des passeports pour les étrangers et des autorisations pour les Cubains. Sa femme n’est pas autorisée à pénétrer dans l’ile et doit attendre qu’il nous ait accompagné à l’hôtel qui s’avère une résidence de luxe, mais sans Internet. Sur la route de l’ile, nous avons aperçu des antilopes bondissantes. Nous ne sommes donc pas surpris quad le réceptionniste nous propose “un safari” dans l’ile. Ici, tout se paye en carte de crédit. Un parc pour étrangers et animaux exotiques, isolé, loin d’un village ou de la plage, mais on peut barboter dans la piscine, isolés du monde car Internet n’est pas accessible.
Notre chambre est immense, mais le bricolage socialiste se trouve dans les détails : impossible d’ouvrir les rideaux car ils ne peuvent pas glisser sur les tringles. Nous sommes les seuls clients de cette résidence quasi historique car au détour d’une allée, une stèle nous informe que Raul Castro et sa femme Vilma Espin ont semé ensemble des graines qui sont devenues des manguiers. Nous apprendrons plus tard qu’en réalité, l’ile était leur résidence privée.
La salle à manger est décorée de têtes de buffles empaillées et de leurs peaux tannées, afin probablement de rester dans l’ambiance safari africain.
Lundi
En partant de notre résidence pour nomenklaturistes, le réceptionniste me demande de remplir une enquête de satisfaction (propreté, amabilité du personnel…). Pour la rubrique “suggestions”, il se fait directif : ” Tu écris qu’il n’y a pas de wifi !”.
José, notre chauffeur pour Holguin est exubérant. Il ronchonne sur la situation du pays, portant il conclut : “Si Fidel était encore vivant, ça se passerait autrement !”. D’ailleurs, son grand-père qui avait fait le Révolution avec Fidel, a fait appel à lui quand le secrétaire local du parti communiste a voulu l’expulser sas compensation juste. Fidel a réglé l’affaire en donnant raison au grand-père et le chef provincial était tout péteux.
José a fait beaucoup de choses dans sa vie jusqu’à présent. D’abord la guerre en Angola à l’âge de 18 ans, et il est très fier que Cuba ait vaincu les Sud-Africains. Puis il a été professeur de karaté, professeur de danse cubaine, plongeur professionnel et guide touristique. Il est allé dans l’est de la France pour convertir une discothèque en “salsathèque”. Il se trémousse en conduisant au son de la musique. Un joyeux drille et très gourmand. Il nous détaille les recettes de cuisine cubaine et nous demande celle de la choucroute.
Nous nous arrêtons pour déjeuner dans un grand complexe touristique dans la montagne, aujourd’hui désert. Nous sommes les seuls tous les trois dans l’immense restaurant, alors que des paons nous surveillent, perchés sur des poutres.
Coupure d’électricité à Holguin. José nous explique qu’ils alternent les coupures de courant toutes les quatre heures dans les différents quartiers de la ville. Il n’y a plus d’essence dans la région. Un tanker vénézuélien accostera demain à Santiago. Mais il faudra encore cinq jours entre le raffinage et la répartition sur le territoire pour que cela arrive dans les réservoirs.
A Holguin, on peut se faire soigner à l’hôpital Wladimir Ilitch Lénine, mais les mânes du fondateur du communisme n’approvisionnent pas les pharmacies, et il faut ici aussi avoir recours au marché noir.
Mardi
Un petit tour de la ville avec Magdalena. Comme depuis le début de notre voyage, la visite n’a que peu d’intérêt surtout à Holguin (une colline et deux places), mais Magdalena a beaucoup de choses à raconter. Elle est sans illusions sur ce régime qui enfonce le pays dans la crise. Plusieurs de ses amis ont émigré aux USA. Son père, un communiste historique, a lui-même changé d’avis depuis qu’il est en retraite et que sa pension de comptable (équivalent à 5 dollars par mois) ne lui permet même pas de se nourrir. “Nous vivons au jour le jour”. Elle nous parle des manifestations du 11 juillet 2021, au sortir du confinement, qui ont touché tout le pays et ont dégénéré en émeutes. Les émeutiers à Holguin, en majorité jeunes, ont attaqué le siège du parti communiste. Mais le pouvoir a rapidement repris le contrôle et a condamné les manifestants à de fortes peines d’emprisonnement (7 à 15 ans). Aujourd’hui, la situation est calme en apparence, ou résignée. Le peuple est pour le moment soumis. Mais les conditions de vie s’aggravent et l’inflation se poursuit au marché noir. Elle nous raconte que Cayo Saetia, où nous avons séjourné, est toujours la propriété de Raul Castro, et qu’il avait l’habitude de venir y chasser. C’est pourquoi l’ile a longtemps été totalement inaccessible. Quand nous lui parlons de Rosy et de son slogan “Resistencia”, elle éclate de rire.
Coupures d’électricité dès la fin de la matinée.
Mercredi
Cinq heures de route pour atteindre Ciego de Avila, dernière étape avant le retour à La Havane. Petite ville plutôt sympathique avec un centre de style évidemment colonial et des maisons colorées. Quand nous arrivons, l’électricité est coupée. Notre logeuse nous informe qu’aujourd’hui, comme c’est mercredi, elle devrait être rétablie vers 16 heures.
Nous déambulons dans la ville plus agréable que nous ne le pensions, car elle ne figure sur aucun guide touristique. Désœuvrés, nous visitons une exposition de photographes russes sur leur pays. Il y a une photo de Crimée qui pour nous appartient toujours à l’Ukraine. La dame de l’expo me demande si on a pu quand même apprécier malgré le manque de lumière.
Finalement, l’électricité se rétablit à 16 heures pour être de nouveau coupée deux heures plus tard.
Nous dinons sur la place centrale dans un restaurant qui affiche “Trois fourchettes” comme garantie d’excellence. Salle sombre mais un peu éclairée. Nous commandons des filets de poisson, mais il s’avère qu’il n’y en a plus qu’un.
A la fin de notre repas, le restaurant se remplit d’un coup avec les voyageurs d’un bus touristique qui font une simple étape pour diner. Contrairement aux escouades habituelles d’étrangers en visite, ils sont très silencieux, ne parlent pas entre eux, ils ont l’air un peu hagard (épuisés par leur périple ?).
Promenade digestive dans les rues désertes, mais maintenant éclairées
Jeudi
Retour à La Havane avec une petite escale à Sancti Spiritus, une petite ville au centre-ville sympathique.
Le chauffeur reçoit un coup de fil de sa fille de 3 ans qui l’informe que “l’électricité est coupée à la maison”.
Vendredi
Balade dans cette ville toujours éblouissante par les demeures encore en état ou entretenues, mais aussi par toutes celles dont la splendeur lépreuse incite à la rêverie. On imagine l’éclat incomparable de cette ville qui serait entièrement restaurée.
Pour notre départ, et contrairement à notre arrivée, la route de l’aéroport est parfaitement éclairée d’un bout à l’autre.
Le séjour à Cuba se termine, mais il nous a fait retrouver la magie des voyages, celle des découvertes, de l’inattendu et des imprévus, de la chaleur humaine des Cubains et de leur résilience face au marasme et à une société qui se délite. Jusqu’où le pays poursuivra-t-il sa descente aux enfers ? Cuba est devenu le cimetière du romantisme révolutionnaire, et ce n’est pas le slogan repeint depuis des décennies qui peut nous convaincre qu’un jour “Venceremos”.