CINQ VÉRITÉS À CONNAÎTRE : CUBA, L’UNION EUROPÉENNE ET LES DROITS HUMAINS
J’écris ces mots en exil. J’ai quitté Cuba il y a presque un an, après avoir été menacée pendant des mois par la Sûreté de l’État en vue de renoncer à défendre les droits humains sur l’île. Mon histoire est celle de dizaines de militant·e·s, de journalistes, de dissident·e·s politiques et d’artistes non conformistes qui, ces dernières années, ont été contraints de monter à bord d’un avion et de partir. Et trop souvent, de suivre les routes migratoires qui traversent la moitié du continent américain pour atteindre un endroit sûr où prendre un nouveau départ.
En novembre, Eamon Gilmore, représentant spécial de l’Union européenne (UE) pour les droits de l’homme, va arriver dans un pays plongé dans la tourmente, dont la population fuit la répression gouvernementale. Il arrivera au beau milieu d’un siège renforcé par le gouvernement. Ceux qui souhaiteront s’entretenir avec lui pourraient, au minimum, subir des heures d’interrogatoire ou une disparition forcée s’ils racontent en direct à quel point le régime de La Havane les opprime.
Si mes frères et sœurs dans cette lutte qui se trouvent actuellement à Cuba ne peuvent pas s’entretenir avec M. Gilmore, si ceux qui assistent à une réunion dans une salle glaciale ornée de la photo d’une belle plage cubaine partagent une version falsifiée de notre réalité, je veux utiliser cet espace pour partager cinq vérités que le représentant spécial devrait connaître – et ce avant d’arriver à Cuba et de poser en compagnie du dictateur pour des clichés tout en sourires et en complicité.
« Le nombre de prisonniers politiques à Cuba est plusieurs fois supérieur au nombre total dans le reste de la région, même en tenant compte du Nicaragua et du Venezuela, pourtant montrés du doigt pour leur non-respect du droit à la liberté d’expression et d’association »
Premièrement, cette visite aura lieu dans le contexte d’une crise systémique croissante. Bien que le gouvernement ne publie pas de données actualisées sur la pauvreté à Cuba, des experts ont mis en garde contre la précarité grandissante de la majorité des citoyen·ne·s. La priorité est donnée à la construction d’hôtels pour le tourisme étranger, sans permettre d’atteindre les niveaux de revenus prévus, tandis que la santé publique, l’éducation et la gestion de l’énergie n’ont pas les infrastructures requises. Tout cela sur fond de recrudescence des niveaux de violence, des féminicides et des manifestations antigouvernementales.
Deuxièmement, depuis les manifestations de juillet 2021, près d’un millier de personnes sont détenues sur l’île pour des raisons politiques. La plupart ont participé à des vagues de contestation publique pour réclamer des conditions de vie décentes et des libertés politiques. Le nombre de prisonniers politiques à Cuba est plusieurs fois supérieur au nombre total dans le reste de la région, même en tenant compte du Nicaragua et du Venezuela, pourtant montrés du doigt pour leur non-respect du droit à la liberté d’expression et d’association.
Troisièmement, les personnes détenues vivent dans des conditions désastreuses entre les mains de l’État, exposées à des maladies comme la tuberculose, mais aussi à la torture et à des traitements inhumains et dégradants. Ces violations constantes des droits humains dans les prisons du pays ont lieu sans que des acteurs internationaux impartiaux, tels que l’UE, n’effectuent de visites sur site dans le cadre de mécanismes de surveillance, puisque la législation cubaine les ignore ou les interdit.
« Enfin, l’urgence politique à Cuba se manifeste par la récente augmentation du nombre de Cubaines et Cubains qui quittent le pays, s’élevant aujourd’hui à plus de 300 000, dont des milliers qui ont participé à des mouvements civiques et fuient le pays sous la menace de la Sûreté de l’État »
Quatrièmement, la répression s’est durcie depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. Depuis décembre dernier, au moins 25 dissident·e·s cubains ont été arrêtés, pour être jugés ou dans le cadre d’enquêtes, parce qu’ils auraient commis des crimes politiques. Ce nouveau Code pénal, qui étend la peine de mort à une vingtaine de crimes, dont la plupart sont de nature politique, sanctionne la réception de fonds destinés à soutenir la société civile par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans. En revanche, aucune disposition légalisant les droits de réunion et d’association pacifiques n’a été annoncée.
Enfin, l’urgence politique à Cuba se manifeste par la récente augmentation du nombre de Cubaines et Cubains qui quittent le pays, s’élevant aujourd’hui à plus de 300 000, dont des milliers qui ont participé à des mouvements civiques et fuient le pays sous la menace de la Sûreté de l’État. Les expatriations forcées ébranlent une partie considérable de la population cubaine : il ne s’agit pas seulement d’une pratique répressive réservée aux militant·e·s, journalistes, défenseur·e·s des droits humains et autres acteurs clés de la société.
À l’heure où l’UE revoit ses programmes et ses priorités en matière de politique étrangère pour l’Amérique latine, ceux d’entre nous qui constituent la société civile cubaine indépendante, où que nous nous trouvions actuellement, espèrent que l’UE mettra en œuvre, dans le cadre de l’agenda et des objectifs de l’Accord de dialogue politique et de coopération avec Cuba, des actions concrètes de soutien à la population cubaine et d’aide aux victimes de la répression et à leurs familles.
Si l’État cubain n’apporte pas de garanties en matière de respect des droits humains, d’existence d’une société civile indépendante et de mécanismes d’évaluation, nous demandons à l’UE de suspendre l’accord intergouvernemental. La situation des droits humains s’est dégradée au fil des ans depuis sa mise en place : comment croire encore en l’efficacité de cet accord en tant qu’instrument favorable aux droits ?
Nous continuerons de nous battre, de nager à contre-courant peut-être, même si la répression accrue de l’État nous oblige à le faire en dehors de nos frontières nationales.
Camila Rodríguez
Informations transmises par Amnesty International