Un film : “Baracoa. Deux à Cuba”

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Le premier long métrage du cinéaste argentin Pablo Briones dépeint le quotidien de deux enfants dans la grande banlieue de La Havane. Sean Clark et Jace Freeman partagent la réalisation de ce film qui brouille les frontières entre fiction et documentaire en accentuant les liens doux-amers de l’enfance, pleine de taquineries, d’espièglerie et de tendresse innocente.

C’est un film sur la vie quotidienne de deux enfants cubains quand les vacances d’un été caniculaire viennent de commencer : Antuán, treize ans, à l’allure modeste et au tempérament explosif, et Leonel, neuf ans, mince, réservé et sensible. Les deux amis ont grandi à Pueblo Textil (1), un village cubain. Ils sont les seuls protagonistes de cette fascinante promenade dans des paysages abandonnés où les terres non-cultivées et les friches industrielles témoignent de la débâcle économique qui affecte l’île de Cuba.

L’errance des deux garçons autour de leur village nous permet d’appréhender la triste réalité de la campagne cubaine. Pas de terres cultivées, mais une immense friche où des vaches flânent au hasard comme le font Antuán et Leonel. Ici et là de vastes hangars désaffectés, une carcasse de voiture (sans roues, sans sièges, sans volant), une grande piscine vide, des terrains de jeux misérables rouillés et désertés composent un paysage qui ne peut guère enthousiasmer les garçons. Mais cela serait sans compter sur leur puissance vitale et leur imagination.

Leonel et Antuàn font semblant de conduire la voiture, assis sur le châssis rouillé, le moment est aussi poétique que plein de mélancolie. Bientôt, ils ne trouveront plus ces rêves d’enfant si amusants. « N’as-tu jamais rêvé les yeux ouverts ? » , demande Leonel à Antuán. « Il faut fixer son regard sur quelque chose et penser à ce que l’on veut, comme l’endroit du monde où l’on aimerait vivre ».

En marge des autres enfants du village, leur amitié tourne autour de jeux et de bagarres, de conversations sur la vie quotidienne, de questions existentielles, de plaisirs simples et de beaucoup d’ennui. Mais lorsque Antuán s’installe à La Havane, Leonel va devoir réévaluer sa vie et sa place dans le monde.

Les réalisateurs se concentrent exclusivement sur la vie intérieure des gamins et la construction de leur identité, laissant volontairement leurs familles et leurs autres relations sociales en dehors de l’histoire. Cette absence nous amène à nous demander (avant d’entendre la voix de la mère de Leonel) si les enfants vivent seuls. L’amitié entre Antuán et Leonel existe sous nos yeux, elle seule compte, elle nous montre comment leurs personnalités se complètent au fil de l’histoire, ainsi que les différences qui menacent de les séparer une fois l’enfance terminée.

La première partie de Baracoa, caractérisée par la paresse estivale qui imprègne chaque scène, nous oblige à suivre le rythme quotidien imposé par Antuán et Leonel, avec des découvertes, des sons étouffés et une clarté qui laisse bientôt place à l’obscurité de la nuit. Une nuit très spéciale qui se matérialise dans la terrifiante grotte que les enfants ont décidé d’explorer.

Atteindre le centre de la grotte leur permet de révéler des désirs qu’ils n’avaient pas encore exprimés. Les deux amis tentent d’y voir clair à l’aide de torches qu’ils confectionnent eux-même, pour ne pas avancer en aveugle. Entrer dans l’âge adulte, c’est aussi dur et troublant que de trouver un chemin dans une grotte sombre. La métaphore est joliment filmée. Il n’y a de lumière possible qu’au fond de soi.

Leur retour à la lumière semble les avoir complètement changés. À partir de ce moment, les deux amis, qui avaient jusqu’alors été filmés ensemble, commencent à apparaître dans des scènes séparées, jusqu’au départ soudain d’Antuán. La magie de l’enfance sera alors remplacée par la brutalité d’une masculinité stéréotypée apparaît sous la forme d’une bataille d’oreillers dans la maison du père d’Antuán à La Havane. Aucune expression d’émotion n’est la bienvenue.

« Ils jouent leur propre rôle, les grands-mères que vous voyez dans le film sont leurs grands-mères, le village, Pueblo Textil, est le vrai village et tous les personnages portent leur nom, ce qui se passe dans le film est leur réalité, mais en même temps, c’est une fiction, parce que tout ce qui se passe est fixé dans un scénario », explique le cinéaste Pablo Briones. Le projet initial est né d’un atelier animé par le cinéaste iranien Abbas Kiarostani, à l’école de cinéma de San Antonio de los Baños, près de La Havane.

« J’ai eu l’idée de faire un court-métrage avec un enfant et je suis allé dans un petit village très proche de là, à la recherche d’un enfant pour mon histoire ». En peu de temps, le cinéaste était entouré de nombreux enfants intéressés par le projet, quand Antuán et Leonel sont apparus, le plus âgé avec son bras sur l’épaule du plus jeune, comme on les voit souvent dans le film.

« Ils sont venus me demander ce que je faisais là », s’amuse le cinéaste. Lorsqu’il a expliqué qu’il était à la recherche d’un enfant, Leonel, intrigué, a demandé : « Alors, que se passe-t-il dans votre film ? J’ai expliqué que c’était l’histoire d’un garçon qui cherchait son chat ». « C’est mieux si nous sommes deux », argumenta Leonel, « comme ça, nous pourrons le trouver plus vite ». Le cinéaste s’est amusé des propositions de scénario faites par les deux amis. Une connexion avec les enfants est née de leurs échanges et il a décidé de bouleverser son idée originale.

Le film, très intimiste, se joue à hauteur d’enfants, et si la caméra tend à se faire oublier, dans beaucoup de situations, on sent qu’elle est toujours là. Nous ne sommes jamais loin d’une dimension fictionnelle. C’est le cas de la longue séquence où les deux garçons s’enfoncent dans l’étroit boyau de la grotte ou bien lorsque la caméra suit de manière contemplative Antuán et Leonel qui se promènent dans les paysages ruraux de Pueblo Textil, où se trouve la fameuse plage de Baracoa. Le titre du film est trouvé.

« Le film est très représentatif de l’enfance à Cuba. Les enfants sont très à l’aise, ils ont beaucoup de liberté, ils jouent avec des choses simples, ils ont une vie communautaire très forte et beaucoup de contact avec la nature, ils jouent avec peu de choses mais s’amusent beaucoup », dit Briones.

Ce qu’ils aiment le plus, c’est se provoquer mutuellement. Leonel reproche à Antuán d’avoir peint une mèche de ses cheveux en blond. Antuán répond que c’est à la mode et dit à Leonel qu’il ne sait pas nager. Leonel accuse Antuán d’être un menteur et de ne parler que pour frimer, quand il lui dit qu’à la Havane dans l’appartement de son père ou il vivra, il y a des ordinateurs et des télévisions. Les deux compères passent leur temps à se lancer des chuchos, comme on dit à Cuba, c’est-à-dire des provocations, des choses pour faire réagir l’autre.

La tension est forte lorsque Leonel part à La Havane pour rendre visite à Antuán. Ici, au milieu de complexes d’appartements densément peuplés, les deux amis ne se promènent pas librement, mais jouent à des jeux vidéo. Un soir, ils sortent seuls pour aller au carnaval. Après de nouvelles provocations, ils se séparent, Leonel marche seul, perdu dans la foule dans un endroit qu’il ne connaît pas. On a soudain peur pour lui.

« Créer ce moment dramatique où ils se séparent est une situation un peu dangereuse ; ils sont au milieu d’une ville bondée, mais même au moment du carnaval à La Havane, il y a beaucoup plus de sécurité que dans la plupart des capitales d’Amérique latine. Le risque de se perdre faisait partie du scénario » déclare Pablo Briones lors d’un entretien.

Le film est très représentatif de la vie des enfants à Cuba. Les enfants sont très à l’aise, ils ont beaucoup de liberté, ils ont beaucoup de contacts avec la nature, les jouets n’existent pas. Ils jouent avec des choses simples, mais avec beaucoup de plaisir. Le film porte un regard sociologique sur la vie à Cuba, par exemple, à travers certains objets typiquement cubains à l’instar de cette sorte de planche à roulettes munie d’une barre de direction qui sert à transporter des charges comme à se déplacer.

La dernière partie du film, tournée en bord de mer, sur le Malecón de La Havane, est saisissante. Si le cinéaste voulait nous montrer la différence entre les deux Cuba, celle de la campagne dépeuplée ou nos amis erraient en toute liberté et celle de la Havane qu’il choisit de filmer en plein carnaval, c’est réussi parce que le choc est brutal sur Le Malecón, le centre d’attraction des enfants. Pablo Briones nous avaient habitué à suivre la solitude de nos deux amis et les voilà qui plongent et s’amusent dans la mer avec une multitude d’autres enfants qui sautent dans l’eau dans une sorte de compétition à celui qui réussira la meilleure voltereta, le meilleur saut. Leonel peut alors être émerveillé par la foule, les lumières, et la baignade devient pour lui un plaisir dès lors où elle est partagée.

Le bouleversant monologue de Leonel qui clôture cette plongée dans l’enfance prend enfin son caractère universel. Il est question de la vie, de l’espoir qu’elle soit belle, de son épanouissement, de sa puissance, à Cuba ou ailleurs.

Baracoa est un film sur l’enfance d’une rare authenticité.

Mireille Mercier et Daniel Pinós

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1. La communauté d’Ariguanabo ou Pueblo Textil est un village bâti à partir d’une initiative de Fidel Castro. Il pensait alors qu’en raison de « son élévation et de sa végétation luxuriante, ce serait un lieu idéal pour la santé de ses futurs habitants ». Des ateliers textiles et des logements sociaux y furent construits au début des années 1970. La désindustrialisation du secteur textile provoqua la fermeture des usines et entraîna la migration d’une grande partie de la population vers La Havane.


Enrique   |  Culture, Société   |  12 13th, 2021    |