Cuba deviendra-t-il le Vietnam des Caraïbes ?
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Le 10 mars, la responsable des investissements étrangers du ministère du Commerce extérieur, Katia Alonso, a présenté une série de projets visant à convaincre la diaspora cubaine d’investir dans l’île. Le pays entame une nouvelle révolution en ouvrant son économie aux entrepreneurs du secteur privé. « Parallèle » avec le modèle vietnamien.
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« Nous misons sur des projets de petite taille, avec des investissements pouvant aller jusqu’à un million de dollars », dans les secteurs de l’agriculture, la pêche, la manufacture et l’industrie légère, a précisé Katia Alonso. Le pays de 11,2 millions d’habitants compte 1,5 million de citoyens émigrés dans 40 pays, la majorité aux États-Unis. Avant ces réformes, les entrepreneurs cubains étaient limités à une liste de 127 activités autorisées par l’État. L’idée est donc de diminuer la part de l’État (85 % de l’économie), pour donner plus d’espace au secteur privé. Ce sont désormais environ 1 200 activités qui sont ouvertes au secteur privé, sauf dans 124 secteurs, des domaines stratégiques comme la presse, la santé et la défense, qui resteront sous le contrôle du gouvernement. Après la mise en circulation de la monnaie unique, le 1er janvier, les mesures économiques mises en place par l’actuel président Miguel Díaz-Canel, sous la direction de Raúl Castro, s’inscrivent dans le cadre des réformes entamées depuis une décennie par l’ancien président qui, à 89 ans, est toujours le premier secrétaire du Parti communiste cubain (PCC), le seul parti politique de l’Île.
Mettre de l’ordre dans les comptes publics était la priorité, et cela autant sur le plan intérieur qu’aux yeux des entrepreneurs étrangers. Le gouvernement propose aux investisseurs plus de 500 projets internationaux pour un montant total de 12 milliards de dollars. Or, si l’on considère le caractère historiquement réfractaire du régime à tout ce qui relève du capitalisme forcené, ces mesures suscitent beaucoup de questions.
Sur les conséquences de cette réforme, le président Díaz-Canel a reconnu que « la tâche n’est pas sans risques ». Pour rassurer la population, le gouvernement a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une reforme néo-libérale et que « personne ne se retrouver[ait] démuni ». Cependant, une dévaluation de la monnaie est prévisible face au dollar, ce qui va provoquer nécessairement un impact négatif sur l’épargne, la valeur des salaires et le pouvoir d’achat face à la hausse des prix. Toutefois, grâce à cette apparente flexibilité de l’économie, les Cubains pourront exercer davantage de contrôle sur leurs vies, ou au moins avoir l’impression d’intervenir plus directement dans les mesures économiques qui les affectent, ce qui représente une situation inédite sous le gouvernement totalitaire du Parti communiste. Selon le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, Cuba comptait l’année dernière près de 600 000 travailleurs indépendants, soit un peu plus de 13 % de la population active.
La vie sur l’île en général est en train de changer, en réaction à des tendances mondiales. Car le programme politico-économique classique du castrisme ne correspond plus à l’époque d’un monde globalisé, où la loi du marché international rend anachroniques les idéaux marxistes-léninistes qui ont fait couler sur l’île autant de larmes que de sang pendant des décennies. Pour l’économiste Omar Pérez, le pays n’a pas le choix, car à Cuba « la situation économique est critique », accentuée par la pandémie avec une chute d’exportations de 40 %. Ainsi, l’ouverture de l’économie au marché privé, alors que le pays traverse sa plus forte crise économique depuis 1993, avec une chute du PIB de 11 % en 2020, est le symptôme manifeste de l’incapacité du régime castriste à faire face au sempiternel blocus imposé par les États-Unis. Sur ce point, tout porte à croire que les relations avec l’Oncle Sam pourraient désormais changer après l’élection de Joe Biden.
C’est ce qu’a laissé entendre Ben Rhodes, ancien conseiller de Barack Obama, qui a déclaré que les réformes entamées sur l’île étaient « un signal bienvenu » et que « l’administration Biden peut rendre cela encore plus bénéfique pour le peuple cubain en reprenant l’ouverture avec Cuba le plus tôt possible ». De son côté, le sénateur Patrick Leahy considère que « les États-Unis doivent réaffirmer que l’embargo n’a jamais été destiné et ne sera jamais utilisé pour pénaliser les entreprises privées à Cuba. » Ces déclarations semblent vouloir enfoncer en douceur le clou du modèle capitaliste, de retour sur l’île comme avant la révolution. Ce qui revient à dire que les décennies de pénurie économique, de persécution politique et de répression sociale n’ont finalement servi à « rien », si ce n’est à faire de Cuba le dernier champ de bataille après sept décennies de Guerre froide. Rappelons que Cuba a ouvert ses frontières aux investisseurs étrangers après la chute de son protecteur, l’Union soviétique, ce qui avait entraîné l’ex-concurrent des États-Unis dans une grave crise économique dans les années 1990.
Dans ce contexte, certains analystes trouvent un rapport direct entre Cuba et le programme qui a remis sur pieds l’économie du Vietnam. Ce sont deux nations soumises à l’embargo de Washington, mais, dans le pays asiatique, il a été levé en 1994. Allié politique de Cuba, le Parti communiste vietnamien a réussi à conserver le pouvoir tout en libéralisant l’économie. Mais s’il existe « des parallèles » entre les deux pays, comme l’admet Ricardo Torres, économiste du Centre d’études de l‘économie cubaine, il rappelle que la sphère d’influence du marché public était plus réduite et souligne « le dynamisme du secteur privé » au Vietnam. Par conséquent, « si on veut faire croître l’économie et l’emploi, il n’y a pas d’autre solution que de créer un cadre pour que le secteur prive puisse s’épanouir. »
De nombreuses voix s’expriment dans ce sens. Pour John Kavulich, « le Parti communiste vietnamien a reconnu, il y a des années, ce dont il avait besoin pour survivre et il l’a fait ». Aussi, le président du Conseil économique et commercial États-Unis/Cuba rappelle avec une certaine fierté que « moi et d’autres, cela fait des décennies que nous disons que Cuba imitera le modèle vietnamien, et les dirigeants cubains y ont toujours été réticents. En 2021, c’est exactement le chemin qu’ils prennent », et il espère que le président Biden ait confiance « en la volonté sérieuse de l’administration Díaz-Canel de restructurer l’économie » car ce sera « bien plus facile pour Washington de créer des opportunités de rapprochement ».
Eduardo Ugolini
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