Renforcement de la répression à La Havane
Après les déclarations du président Miguel Díaz-Canel, qui a qualifié les manifestations populaires qui ont eu lieu dans plusieurs provinces de l’île de « dernière tentative de renversement de la révolution cubaine » par l’administration de Donald Trump, les rues de La Havane ont été occupées par des troupes spéciales anti-émeute lourdement armées. Dans le même temps, les agents du redouté département de la sécurité d’État maintiennent un certain nombre d’arrestations, d’interrogatoires et une surveillance constante contre des dizaines de manifestants, en particulier contre les membres du Mouvement San Isidro qui avaient entamé une grève de la faim quelques semaines auparavant pour demander la libération de Denis Solis Gonzalez, l’un de ses membres condamné dans un procès sommaire à huit mois de prison pour le faux crime d’outrage.
Aujourd’hui, la police surveillent les maisons des artistes, des journalistes et des critiques d’art. Luis Manuel Otero Alcántara, membre du Mouvement San Isidro, s’est retrouvé contre son gré dans un hôpital. Fernando Rojas, le vice-ministre de la Culture a donné une image déformée de ce qui s’est passé lors de la réunion de vendredi dernier au ministère de la Culture. En moins de 24 heures, les accords ont été rompus. Rojas avait promis que les artistes ne seraient pas « diffamés et criminalisés » et pourtant, dans les médias, ils ont été qualifiés de « mercenaires ».
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Lors d’une conférence de presse, l’artiste plasticienne Tania Bruguera a dénoncé le fait que Rojas avait promis que les artistes ne seraient pas « diffamés et criminalisés » et pourtant, dans les médias, ils ont été qualifiés de « mercenaires ». Concernant le cas de Denis Solis, Tania Bruguera a déclaré que lors de la réunion avec le vice-ministre « il ne lui a pas été demandé qu’il explique les procédures légales qui existent dans le pays », en faisant référence à la longue partie du programme officiel consacrée à « l’application régulière de la loi », « mais d’utiliser son influence et son pouvoir pour intervenir pour sa libération ».
Les artistes présents à la conférence de presse ont appelé à la fin de la répression et du discrédit contre le Mouvement San Isidro et ont demandé la liberté d’expression et d’association non seulement pour eux-mêmes, mais pour tous les citoyens. La réalistrice Gretel Medina a déclaré que les demandes qu’ils ont exprimées lors de la réunion au ministère de la Culture « n’ont pas été satisfaites », mais que ce qui s’est passé « était sans précédent » et elle considère que la première concrétisation à ce jour « a été l’unité ». « Tous ceux d’entre nous qui se sont réunis avec ces fonctionnaires se sont accordés, d’une manière ou d’une autre, sur la nécessité de respecter le droit de chaque citoyen, qu’il appartienne ou non à la communauté des créateurs, de dire ce qu’il pense sans craindre d’être réprimé par la sécurité de l’État », a déclaré l’artiste plasticien Julio Llopiz-Casal.
Tania Bruguera a souligné que pour décider des prochaines étapes, il faut tenir compte des critères de chacun, car il s’agit d’un groupe hétérogène qui n’est pas seulement composé des 30 participants à la réunion avec le vice-ministre, mais aussi d’autres personnes comme Luis Manuel Otero Alcántara ou Anamely Ramos, qui n’ont pas pu être là : Alcántara parce qu’il est hospitalisé contre son gré et Ramos à cause d’une opération de police qui l’empêche de quitter sa maison. Dans un document, ils ont rappellé que samedi dernier, Iris Ruiz, Katherine Bisquet, Claudia Genlui, Michel Matos, Yasser Castellanos et Amaury Pacheco ont été détenus pendant plusieurs heures, alors qu’ils rendaient visite au gréviste de la faim Maykel Castillo, ils demandent que « l’opportunisme autoritaire dans le contexte de la pandémie cesse pour éviter qu’une possible contagion serve de prétexte afin d’isoler les membres de cette organisation ».
Le collectif affirme qu’il se dissocie de « tout événement violent qui a lieu ou pourrait avoir lieu », et il exhorte la communauté internationale à continuer à « veiller à l’intégrité physique de tous les membres de cette organisation, des autres artistes et des militants déterminés à faire valoir nos droits de vivre dans un pays de libertés ». Plus de 70 étudiants, diplômés et anciens professeurs de l’Instituto Superior de Arte (ISA) ont remis samedi une lettre de soutien à Anamely Ramos, professeur de cet institut faisant parti du Mouvement San Isidro, elle a remercié ce geste sur ses réseaux sociaux. « Le courage de mes étudiants à un moment aussi difficile que celui-ci est une chose que je suis encore en train de réaliser », a-t-elle déclaré sur son mur Facebook.
En attendant, le collectif continue d’apporter son soutien au monde de l’art. Des personnalités importantes comme la chanteuse Haydée Milanés (la fille de Pablo Milanés), le chanteur Carlos Varela, le chanteur Leoni Torres, l’actrice Yuliet Cruz, le réalisateur Fernando Pérez, l’acteur Jorge Perugorría, ont été rejointes par le musicien Cimafunk qui, dans une publication sur son mur Facebook, a déclaré être « fier » de ses collègues « parce qu’ils utilisent leurs voix, leurs mots et leur comportement pacifique pour partager avec nous leurs réalités et leur vision de la prospérité, du bien-être, de la liberté et de la paix ». Le célèbre artiste afro-cubain explique qu’il n’est pas à Cuba en ce moment « pour des raisons familiales et professionnelles », mais il se sent représenté par les artistes qui ont manifesté devant le ministère de la Culture vendredi, « et ceux qui n’y sont pas allés pour diverses raisons, mais qui nous ont montré leur soutien d’où qu’ils viennent ».
Julia Barrieras