Des unités anti-émeutes déployées dans La Havane
Le journal Granma, organe du Parti communiste cubain, a publié ce mardi un éditorial en première page, où il rappelle que la lutte armée est un moyen de combattre quiconque tente de renverser « l’ordre politique, social et économique établi par cette Constitution ».
Des images qui sont la preuve d’un fort renforcement militaire pris en charge par des troupes spéciales déployées en plusieurs points de la capitale, ont été publiées par plusieurs utilisateurs dans les réseaux sociaux. En outre, le journal 14ymedio (2) assure avoir compilé de nombreux rapports sur la présence de ce qu’on appelle les Bérets noirs, armés, avec des gilets pare-balles et dans des véhicules militaires, qui « ont été vus surtout sur les principales avenues de la capitale et dans plusieurs quartiers de la zone du Vedado ».
« Nous ne savons pas si c’est à cause des vitres qui ont été brisées dans un magasin vendant ses marchandises en dollars (1) sur les rues Linea et 12 ou parce que l’unification monétaire est imminente et qu’ils se préparent à des réactions populaires », a déclaré à 14ymedio (2) Liudmila López, une habitante de Los Sitios, dans le centre de La Havane.
Un autre site officiel, le portail Cubadebate, a publié une galerie de photos en couverture avec des images de la vie quotidienne dans la ville de La Havane, qui tentent de prouver que tout est calme : « Le lundi, La Havane a vécu sa routine quotidienne de tâches et d’actes réalisés au quotidien, de rêves et d’aspirations, d’écoles et de files d’attente. La vie continue d’être un signe de vie dans cette grande ville, alors que dans le monde numérique, les prophètes de malheur parlent de violence et de vengeance », peut-on lire dans l’introduction de la galerie de photos.
L’éditorial de Granma, sans indiquer de contexte, cite l’article 4 de la Constitution, qui stipule que « la trahison est le plus grave des crimes et ceux qui la commettent sont passibles des peines les plus sévères », que « le système socialiste qui approuve cette Constitution est irrévocable », et que les citoyens ont le droit de se battre par tous les moyens, y compris la lutte armée, lorsqu’aucun autre recours n’est possible, contre quiconque tente de renverser l’ordre politique, social et économique établi par cette Constitution.
Les protestations populaires de plus en plus fréquentes contre l’incapacité du régime cubain à gérer la crise économique et épidémiologique, la solidarité avec le Mouvement San Isidro qui a amené des centaines d’artistes et de militants au ministère de la culture, ainsi que le soutien international et les multiples manifestations de solidarité avec les artistes, les journalistes indépendants et les militants cubains ont amené les responsables gouvernementaux et les médias à utiliser des termes tels que « coup d’État en douceur » et « explosion sociale ».
« Ceux qui se sont joints au Mouvement San Isidro se joignent, intentionnellement ou non, qu’ils le veuillent ou non, à la fabrication d’une explosion sociale contre le gouvernement socialiste de Cuba », affirme un article publié ce lundi dans le journal Granma.
Le journal le plus important du régime reconnaît également que Cuba vit « une heure de définitions » et que la révolution est en danger : « Ne laissons pas cette révolution nous être enlevée ! N’abandonnons pas cette révolution, mise entre nos mains par des femmes et des hommes d’une telle stature morale face au scénario corrompu et déjà bien répété d’un coup d’État en douceur ! Certains très chers se tromperont et soutiendront le mouvement dit “San Isidro” en pensant que c’est la voie légitime du dialogue ».
Le pouvoir à Cuba se trouve confronté à la plus grande crise sociale et politique vécue depuis 61 ans. Différents secteurs de la société réclament un changement pour mettre fin à des décennies de répression et de dictature. Contrairement à leurs aînés, les jeunes cubains ont subi depuis leur naissance le déclin économique et sociale de leur pays et contrairement à leurs aînés ils refusent de se soumettre au régime en place. Les jeunes cubains ne doivent rien à ce système, si ce n’est la précarité et la misère.
Face à la crise du coronavirus et à la crise écologique, cette génération sacrifiée doit se battre contre la passivité et l’individualisme, pour une société sans bourgeoisie socialiste, sans opprimés ni exploités, pour un avenir différent de celui que veulent imposer les apparatchiks du Parti communiste cubain. La crise du Covid-19 a révélé l’effondrement du système de santé publique, la situation déplorable dans les centres éducatifs, la surcharge des transports et le confinement des quartiers populaires. Tout cela dans un contexte de crise sociale et économique croissante, dans lequel le gouvernement prépare de fortes attaques contre les secteurs populaires en imposant des magasins où toutes les denrées seront vendues en dollars. Beaucoup de jeunes cubains sont fatigués d’entendre les sermons moralisateurs des gouvernants et les discours sur « l’éternelle révolution socialiste » et sur « le sacrifice de nos aînés ». Ils rejettent un programme politique étranger à leurs préoccupations et les structures anti-démocratiques d’un pouvoir au service des intérêts privés et de la bourgeoisie cubano-socialiste. Ils rejettent un système au pouvoir depuis 61 ans pour défendre les intérêts d’une caste qui n’a rien à leur offrir.
Daniel Pinós