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MANIFESTATION DEVANT LE MINISTÈRE DE LA CULTURE POUR PROTESTER CONTRE LA RÉPRESSION QUI ATTEINT LES ARTISTES DU MOUVEMENT SAN ISIDRO
Ils sont jeunes et Cubains, ils croient que la liberté d’expression peut être un instrument de progrès vers un changement social, ils sont traqués comme des ennemis de la Révolution et veulent attirer l’attention de la communauté internationale.
Fin novembre 2018, les activistes du Mouvement San Isidro se sont réunis une première fois pour manifester dans les rues de La Havane et devant le ministère de la Culture. Leur but : la dérogation du projet du décret-loi 349 destiné à restreindre la créativité de toute activité artistique dans l’Île. Depuis le début du Mouvement, nos compagnons de l’Atelier libertaire Alfredo Lopez de La Havane participent aux mobilisations.
Les activistes de la campagne contre le décret 349 sont originaires de La Havane, plusieurs habitent dans le quartier d’Alamar. Ce quartier était le théâtre d’un important mouvement d’art alternatif, lequel a tenté de coexister avec les institutions culturelles officielles. Les cinémas, les théâtres et les galeries d’art appartiennent à l’État. À Alamar, avaient lieu le festival de hip-hop et le festival de poésie les plus importants de l’Île, jusqu’au jour où ils ont été interrompus et finalement supprimés par le ministère de la Culture. L’un des membres du Mouvement San Isidro, Michel Matos, était le producteur du festival de musiques hip hop et électronique Rotilla, lévénement le plus populaire parmi la jeunesse à La Havane.
Qui sont les militants du Mouvement San Isidro ?
Ils ont adopté le nom de San Isidro après le soutien manifesté par les habitants de ce quartier homonyme, situé dans la partie la plus ancienne de La Havane. Lors d’un concert de musique organisé pour protester contre le décret-loi 349, les artistes ont été victimes de la répression de la police, alors les habitants du quartier se sont révoltés contre les forces de l’ordre. Selon la Constitution, ils avaient le droit d’exprimer leur mécontentement. Ils étaient conseillés par Laritza Diversent, une avocate cubaine responsable de Cubalex, bureau indépendant de conseil légal qui a été contraint à l’exil après avoir subi la pression de la Sécurité de l’État.
Le Mouvement San Isidro n’a pas de visibilité à Cuba, car la télévision, la radio et la presse appartiennent à l’État. Les seuls informations que les médias officiels reprennent sont des accusations contre les activistes les traitant de contre-révolutionnaires à la solde de la CIA. Rien de nouveau dans le traitement de la dissidence.
La diffusion de leurs activités se fait grâce à Internet ou par téléphone portable. Les artistes qui participent aux événements sont systématiquement harcelés par la Sécurité de l’État, notamment avec une présence policière constante. Ainsi, le public qui souhaite les soutenir est découragé par peur des représailles et finit par se désister, ou bien cette même Sécurité de l’État donne de fausses informations concernant la date et les horaires des événements, afin de désorienter le public. Pourtant, grâce à la campagne contre le décret 349, ils ont réussi un grand coup médiatique : les gens les suivaient sur les réseaux sociaux, et si beaucoup avaient peur de se joindre à leurs manifestations, ils approuvaient leur action en les saluant dans la rue.
Le succès de la politique culturelle de la Révolution, initiée en 1959 par Fidel Castro, réside en grande partie dans le fait d’être parvenu à diviser la communauté artistique et intellectuelle. Cependant, l’annonce du décret 349 a généré un mécontentement tellement massif que, pour la première fois, un groupe de jeunes liés aux institutions de l’État a soutenu la protestation des artistes indépendants. Une trentaine de jeunes ont signé une lettre demandant une réunion avec le ministre de la Culture, dont l’objectif était de revoir et de réécrire le décret-loi. Bien que les artistes indépendants, exigent la dérogation totale du projet de loi. Ce geste de solidarité fut un événement sans précédent. Par ailleurs, ils ont sollicité une réunion avec le ministère, mais ils ont été dans un premier temps ignorés. Cela fait partie de la stratégie du gouvernement afin de discréditer l’existence légale des dissidents. Toutefois, ces jeunes ont été reçus par le vice-ministre de la Culture, mais la réunion n’a pas donnée de résultats favorables. Au premier regard, la manifestation devant le ministère de la Culture visait ponctuellement le décret 349, mais il est plus juste de considérer qu’elle a été au fil des années le catalyseur d’un sentiment grandissant de frustration par rapport à une politique d’interdiction et de censure…
Pour les artistes unis contre le décret-loi 349, il était clair que le gouvernement cubain ne voulait pas de l’existence d’un art indépendant de l’État. Nous en avions la preuve, avec la suppression des festivals de hip-hop et de poésie mentionnés plus haut, mais surtout celle de la Biennale de La Havane et du Festival du jeune cinéma. Par conséquent, le décret 349 était la réponse officielle à ce type d’événements. Cela a été pour les artistes une déclaration de guerre, le gouvernement ne s’attendait pas à un tel rejet populaire en réponse. La manifestation, c’est-à-dire une présence pacifique de l’art devant la plus importante institution de la culture, était leur dernier recours pour empêcher l’entrée en vigueur du décret, le 7 décembre 2019.
Le harcèlement, les menaces, les arrestations se sont succédés pendant toute la campagne, non seulement après la convocation devant le ministère de la Culture. Par exemple, le Mouvement San Isidro a essayé de réaliser une méditation collective dans un parc public, mais tous les artistes participant à la réunion ont été encerclés par la police. Plusieurs ont été incarcérés pendant des heures. Pour le gouvernement cubain, la dissidence n’est pas reconnue comme un droit, par conséquent, toute personne qui proteste contre un dessein officiel est considéré comme délinquant et classé dans un dossier CR (contre-révolutionnaire). Ce stigmate se maintient pour toute la vie.
Le peu de temps qu’ils ont été incarcérés a montré que la répercussion internationale avait été importante, et que le gouvernement était préoccupé par les implications que supposait la répression. La réponse officielle fut donnée par le biais d’un programme à la télévision, où les autorités justifiaient la nécessité d’appliquer le décret 349. Cependant, il a été dit que l’entrée en vigueur de celui-ci ne se ferait pas dans l’immédiat, et que les normatives devaient être revues et discutées. Pour le mouvement, ceci représentait une victoire. Mais, espérer que le gouvernement cubain reconnaisse une erreur publiquement relève de l’utopie, car il existe trop d’arrogance de sa part, de peur de perdre le contrôle absolu sur la population.
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Une grève de la faim et ses conséquences
Entre le 9 et le 19 novembre dernier, les autorités ont de nouveau arbitrairement détenu et harcelé un grand nombre de membres du mouvement San Isidro, souvent à plusieurs reprises. Les membres du mouvement, qui comprend des artistes, des poètes, des militants LGBTI, des universitaires et des journalistes indépendants, ont protesté ces derniers jours contre l’emprisonnement du rappeur Denis Solis Gonzalez. Denis Solis a été arrêté le 9 novembre et, le 11 novembre, il a été jugé et condamné à huit mois de prison pour « outrage », une infraction incompatible avec le droit international des droits de l’homme. Il est détenu à Valle Grande, une prison de haute sécurité située dans la banlieue de La Havane.
Après une semaine de grève de la faim et de la soif, l’état de santé des membres du mouvement San Isidro qui demandent la libération de Denis Solis est préoccupant. De nombreuses personnes ont posté des messages de soutien et appelé les réseaux sociaux à abandonner la grève avec des expressions telles que : « Nous vous voulons en vie ».
Luis Manuel Otero Alcántar et quatorze autres Cubains ont été expulsés jeudi soir du siège du Mouvement San Isidro à La Havane pour un crime présumé de propagation de l’épidémie de Covid-19, selon les médias d’État cubains. Le gouvernement cubain a allégué du crime de propagation de l’épidémie de Covid-19 pour arrêter les artistes et les militants réunis au siège du Mouvement San Isidro. Un groupe d’artistes cubains a alors demandé aux autorités de dialoguer avec les membres du Mouvement San Isidro, puis d’écouter les jeunes présents au siège du ministère de la Culture. La police cubaine a fait irruption jeudi soir au siège du Mouvement San Isidro, où depuis dix jours des artistes sont en grève de la faim et de la soif pour exiger la libération du rappeur Denis Solis.
La police a maintenu une quinzaine de personnes en état d’arrestation pendant plusieurs heures. Parmi eux se trouvaient des journalistes, des artistes et des enseignants réunis pour protester contre la répression et les politiques du gouvernement qui restreignent de plus en plus la liberté d’expression. Plusieurs de ces personnes arrêtées ont été libérées quelques heures plus tard. Suite à ces arrestations, des écrivains et des journalistes du monde entier ont dénoncé l’expulsion du siège et ont exigé la libération des détenus, qui a commencé quelques heures plus tard.
Les membres du mouvement San Isidro à Cuba ont été arrêtés, ont vu leurs droits fondamentaux restreints – en particulier leur droit à la liberté d’expression et de mouvement – et ont été criminalisés simplement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux. Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International, a déclaré : « Les membres du Mouvement San Isidro sont dans un état de déshydratation et de famine qui peut provoquer un effondrement de leurs organes, c’est une situation sanitaire compliquée ».
Les membres du Mouvement San Isidro, l’artiste Luis Manuel Otero Alcántara et le chanteur Maykel Castillo (Osorbo), poursuivent leur grève de la faim jusqu’à ce que le gouvernement cubain libère le rappeur protestataire Denis Solis. Luis Manuel Otero Alcántara se trouve maintenant à l’hôpital Fajardo de La Havane et poursuit sa grève de la faim », rapporte le compte Twitter officiel du Mouvement San Isidro. Luis Manuel Otero Alcantara refuse d’aller ailleurs que chez lui, rue Damas à La Havane, où se trouve le siège du mouvement.
L’action de la police politique contre le Mouvement San Isidro a provoqué une manifestation pacifique de soutien. Un rassemblement a suivi au siège du ministère de la Culture, les activistes sont tous deux soutenus par des artistes cubains à l’intérieur et à l’extérieur de l’île. « Au Mouvement San Isidro, merci beaucoup pour ce que vous faites, pour ce que vous construisez (…) les fondations d’un Cuba libre, un nouveau Cuba », a déclaré le chanteur Yotuel Romero.
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Une réunion au ministère de la Culture
Vendredi, Amnesty International a déclaré Luis Manuel Otero Alcantara, leader du mouvement San Isidro, prisonnier de conscience et a demandé sa libération. Amnesty International a appelé le gouvernement cubain à cesser de harceler les membres du Mouvement San Isidro et s’est inquiétée de la situation de la conservatrice d’art Anamely Ramos, qui est également sous surveillance policière au domicile de la professeure Omara Ruiz Urquiola.
Alors que des centaines d’artistes, d’intellectuels, de militants et d’autres Cubains se sont réunis ce vendredi devant le ministère de la Culture et que les autorités ont accepté de dialoguer, dans les environs, les forces de répression ont tenté d’empêcher l’arrivée devant le ministère de la Culture de plusieurs personnes. Plusieurs témoins ont rapporté l’utilisation de gaz lacrymogènes contre ceux qui ont tenté de rejoindre le rassemblement devant le ministère.
Le ministère de la Culture a promis de suivre la situation de Denis Solis et Luis Manuel Otero Alcantara, membres du Mouvement San Isidro. Vendredi, le ministère de la Culture a fait une série de promesses aux représentants de quelque 300 personnes, qui se sont réunis devant son siège à La Havane.
La poète Katherine Bisquet a lu les promesses du ministère de la Culture :
– ouvrir un canal de dialogue entre les institutions et les artistes indépendants.
– suivre d’urgence la situation du rappeur protestataire Denis Solis et de l’artiste indépendant Luis Manuel Otero Alcantara.
– l’Association Hermanos Saíz (AHS) (1) s’est engagée à revoir sa déclaration hostile au Mouvement San Isidro.
– un agenda de travail multiple sera organisé avec des propositions de thèmes provenant des deux parties : “toutes les questions culturelles avec tous les artistes cubains”.
– nous pourrons nous rencontrer sans être harcelés dans les espaces culturels indépendants. “Il y aura une trêve avec les espaces indépendants.”
– le ministre de la culture, Alpidio Alonso Grau, rencontrera la semaine prochaine un groupe d’artistes.
– permettre aux personnes présentes devant le ministère de la culture de rentrer chez elles librement, sans être harcelées par la police politique.
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Quelles perspectives existent pour le Mouvement San Isidro ?
Le sit-in devant le bâtiment du ministère de la culture, dans le quartier du Vedado, s’est produit en raison de l’expulsion des quatorze Cubains qui manifestaient pacifiquement au siège du Mouvement San Isidro. Ces événements ont contribué à cimenter la cohésion du Mouvement, ils n’ont pas entamé sa détermination, car ils sont persuadés que l’union a été la clé de leur sécurité. Ils sont concentrés chacun sur leur projet personnel, mais la solidarité ressentie pendant la campagne est toujours là : d’autres artistes, liés à l’État, se sont prononcés depuis leurs propres plates-formes pour exprimer leur désaccord avec le décret-loi 349.
Après le retrait de Raúl Castro, Cuba vient de franchir une étape importante de son histoire avec le projet de nouvelle constitution. Cuba est en train de vivre une sorte d’éveil. Les réactions suscitées par le 349 montrent une confluence de forces, laquelle a surpris tout le monde. C’est une secousse graduelle de la conscience collective. Le mécontentement est général, et beaucoup l’expriment librement dans la rue comme jamais auparavant. De plus en plus de gens commencent à se sentir impliqués même dans d’autres domaines. Pour ne donner qu’un exemple, après la dernière tornade qui a touché l’île, les victimes de la catastrophe ont livré leur témoignage aux activistes et aux médias non-officiels, même en sachant qu’ils risquaient la répression pour cela. Les étudiants universitaires se sont mobilisés spontanément pour aider la population, et les propriétaires des restaurants ont apporté de la nourriture gratuitement, ce que le gouvernement n’a pas fait.
La fin de l’ère Castro permet d’envisager une lente, mais certaine, ouverture vers le reste du monde, notamment à travers les réseaux sociaux, et donc plus de transparence en ce qui concerne la difficile réalité de la société cubaine. Dans le monde d’aujourd’hui, la parole se libère et la culture traverse les frontières nécessairement par les médias et les réseaux sociaux.
De nombreux médias d’opposition au régime et des chaînes de télévision et de radio dans différents pays (les États-Unis, la France, l’Espagne, l’Argentine, le Chili…) ont repris les informations fournies par le Mouvement San Isidro. Pendant la répression, les artistes ont compris qu’ils n’étaient pas seuls, cela les a encouragés parce que la pression de l’État, avec tous ses recours, est une expérience terrible.
Il y a trop de lassitude cumulée, trop de scepticisme. Les Cubains commencent à comprendre qu’ils forment un seul peuple, mais un peuple longtemps divisé par une politique inefficace qui a ravagé le pays et généré beaucoup de souffrance. Nous venons d’assister à la première grande manifestation contre la dictature castriste. Il a fallu 61 ans pour cela. La jeunesse, une nouvelle génération militante s’est lancée sans peur et avec enthousiasme dans la bagarre. Les autorités peuvent continuer à harceler, intimider, détenir et criminaliser les artistes et les intellectuels de la pensée alternative, mais elles ne peuvent pas emprisonner leurs idées.
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Daniel Pinós. Groupes d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba
1. L’Association des Hermanos Saís est une succursale du Ministère de la culture consacrée aux jeunes artistes.