Cuba sous le choc de la mort d’un Noir abattu par la police
Les forces de l’ordre ont empêché tout rassemblement pour protester contre la mort de Hansel Hernandez, 27 ans, tué à La Havane le 24 juin alors qu’il était suspecté de vol.
Des journalistes indépendants, des militants des droits humains et surtout des artistes contestataires, tous arrêtés ou empêchés de quitter leur domicile : le gouvernement cubain a employé les grands moyens mardi pour empêcher les manifestations de protestation convoquées dans toute l’île, cinq jours après la mort d’un Noir de 27 ans, abattu dans le dos par la police. Des centaines de militaires ou de membres de la Police nationale révolutionnaire (PNR) ont privé de leur liberté de mouvement les activistes qui avaient relayé, sur les réseaux sociaux, les appels aux rassemblements.
Tir dans le dos
Les circonstances de la mort de Hansel Hernandez Galiano, 27 ans, sont floues et risquent de le rester. Le 25 juin, une utilisatrice de Facebook, Lenia Patiño, dénonce «l’assassinat» par deux «policiers en patrouille» de son neveu, la veille, joignant une photo, probablement prise à la morgue, du visage d’un jeune homme noir. Les faits se sont produits à Guanabacoa, un faubourg pauvre et à majorité noire de la capitale. «Un uniforme n’autorise pas à tuer de cette façon», s’emporte la tante, qui souligne que la victime n’était pas armée.
Cas rare à Cuba, la presse du parti communiste (la seule autorisée) a livré le 27 juin la version policière. Selon un communiqué publié par le site du quotidien Granma, le jeune homme a été surpris en flagrant délit de vol «de matériel et d’accessoires à un arrêt de bus». Après une course-poursuite de «près de 2 kilomètres en terrain accidenté», Hansel Hernandez se serait retourné pour jeter des pierres à ses poursuivants, blessant l’un d’eux en lui déboîtant l’épaule. Au sol, cet agent aurait réalisé deux tirs de sommation avant de faire feu dans le dos du fuyard. Le communiqué précise que la victime avait des antécédents judiciaires et «se trouvait en liberté conditionnelle».
Loin d’apaiser les esprits, le communiqué officiel n’a fait qu’attiser la colère contre les violences policières et les actes arbitraires qui se sont multipliés avec la mise en place du confinement. La coïncidence avec l’affaire George Floyd aux Etats-Unis a aussi été relevée. Les Cubains y ont été sensibilisés puisque les médias officiels ont largement commenté la mort de l’Afro-Américain aux mains de la police de Minneapolis, et les protestations qu’elle a déclenchées. «Il a été assassiné brutalement», s’était même indigné le ministre des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez.
Journalistes et artistes arrêtés
De nombreux internautes ont souligné l’invraisemblance du récit policier. L’un d’eux, le journaliste indépendant Jorge Enrique Rodríguez Camejo, dont les articles sont publiés sur le site Diariodecuba.com et par le quotidien conservateur espagnol ABC, a été arrêté dimanche. La date de son procès, le 7 juillet, a été communiquée à sa famille, mais pas le chef d’inculpation.
Célèbres pour leurs performances subversives et leurs arrestations périodiques, trois des «artivistes» les plus connus de l’île, Tania Bruguera, Maykel Osorbo et Luis Manuel Otero Alcantara, ont été empêchés de sortir de leur domicile pour rejoindre le rassemblement convoqué mardi devant le cinéma Yara, un lieu très fréquenté du centre de La Havane. Une forte présence policière dissuadait toute personne d’approcher. Des journalistes indépendants ont subi le même sort, comme Abraham Jiménez, directeur du média en ligne El Estornudo (l’éternuement). «Plusieurs agents de la Sécurité de l’Etat et une patrouille avec quatre agents sont stationnés devant chez moi pour m’empêcher de couvrir la manifestation», a-t-il posté sur Twitter. Quelques minutes plus tard, un nouveau tweet : «Le régime m’a aussi coupé l’internet sur mon téléphone.»
Les autorités semblent de plus en plus nerveuses face à des moyens de communication qu’elles sont incapables de contrôler. Vendredi, c’est un influenceur de 17 ans qui en a fait les frais. Surnommé «El Kende de Cayo Hueso», du nom du quartier de La Havane où il réside, l’adolescent noir s’est fait connaître grâce à des vidéos comiques sans contenu politique. Alors qu’il tournait un clip sur le toit terrasse de son immeuble, une patrouille de police est venue l’arrêter, l’accusant de «propagation d’épidémie» : sa popularité risquait de drainer du public sur le lieu de tournage, alors que La Havane reste soumise à des mesures strictes de confinement. El Kende a été libéré au bout de trois jours. Dans une vidéo postée sur Instagram lundi, il remerciait ses fans pour leurs messages de soutien et reconnaissait avoir «commis une erreur».
Publié sur le journal Libération le 2 juillet 2020