Leonardo Padura : “Il est difficile d’être vieux et libertaire”
Neuvième roman de la série qui met en scène Mario Conde, ancien policier devenu un peu bouquiniste, un peu détective, “La Transparence du temps” est moins un roman sur Cuba que sur la nostalgie, le temps qui passe, et une réflexion sur l’écriture elle-même.
« Conde a l’impression que les choses changent et il considère qu’il y a des choses qui ne devraient pas changer. Cette sensation du changement avec le temps qui passe devient de plus en plus aigüe, ce qui est un processus normal dans la vie des gens. La vie à Cuba a énormément changé dans les trente dernières années, même s’il n’y a pas eu de grand changement politique ou économique. Mais la société a beaucoup évolué et cette évolution préoccupe beaucoup Conde. L’époque de l’égalité n’existe plus. Même si cette égalité était artificielle car elle dépendait de l’aide économique de l’Union soviétique, elle se manifestait dans la réalité de manière palpable. Conde a vécu cette réalité et est nostalgique de cette époque. Il pense que c’était mieux avant. »
La vieillesse qui s’annonce pour Conde, à l’aube de ses soixante ans, vient encore accentuer cette nostalgie et alimenter son conservatisme. « Conde est à moitié conservateur et à moitié libéral, au sens libertaire, anarchiste. Mais sa moitié conservatrice grandit à mesure que passent les années. Parce qu’il est très difficile d’être vieux et libéral. Ce sont les jeunes qui font les révolutions et changent le monde ! »
Le monde change, mais Conde, lui, change peu. Et même quand une lueur d’optimisme affleure, avec l’annonce du rétablissement des relations entre Cuba et les États-Unis, le naturel pessimiste du détective – et de l’auteur – revient au galop. « Ce jour-là, on a tous pensé que l’on sortait d’un cauchemar terrible. Qu’il était possible qu’enfin Cuba et les États-Unis allaient pouvoir avoir une relation si ce n’est apaisée, au moins normale. Mais l’histoire montre qu’il vaut mieux être pessimiste, puisque deux ans plus tard, Trump a été élu président des États-Unis. Le fait que quelqu’un comme Trump puisse arriver à la présidence des USA est une bonne raison de se montrer pessimiste. »
Pourtant, après avoir longtemps tourné autour, Conde va enfin trouver un nouvel espace de liberté dans l’écriture, ainsi que l’écrit Padura : « Est-ce cela, écrire ? […] Manipuler le mauvais spectacle de la vie, vécue sans possible plan préalable, pour en faire une création plus bienveillante et logique, d’une certaine façon moins humaine et pour cette raison plus satisfaisante ? Jouer à être libre ? Et même être libre ? » Comme Conde, Padura trouve dans l’écriture une manière d’être libre. Une liberté qui prend aussi la forme d’un roman que l’auteur cubain qualifie de « métis », jouant des codes du polar et du roman historique pour mieux se confronter au monde : « Ce qui m’intéresse, c’est d’établir un dialogue avec l’histoire et d’y trouver des explications du présent. En tant que cubain, je suis un écrivain métis. Dans mon physique comme dans ma pensée il y a tous les mélanges imaginables. Je n’aime pas l’idée de la pureté, surtout dans le domaine culturel. J’aime le mélange, le métissage et cette contamination entre les formes et genres d’écriture. » Un métissage où, littérairement, le noir domine cependant en passant par toutes les nuances de gris et un auteur qui est aujourd’hui encore l’un des plus originaux de la littérature latino-américaine.
Yan Lespoux
La Transparence du temps de Leonardo Padura, Editions Métailié. 448 pages, 23 euros