La trace de la France dans l’Ouest de Cuba
Les visiteurs de passage à Cuba sont souvent surpris par l’attachement de Cuba à la culture française : festival de cinéma français, maison Victor Hugo et musée Napoléon de La Havane, Alliances françaises…
Si l’on associe généralement l’influence française à l’est de Cuba en raison de l’immigration venue d’Haïti, l’Ouest de l’île a également été marqué par la présence française. Rolando Álvarez Estévez s’est penché sur ce sujet dans son livre Huellas francesas en el occidente de Cuba (Ed. José Martí-Boloña, 2001), dont nous reprenons quelques points importants.
Comment s’est déroulée l’immigration française vers Cuba?
L’émigration française vers Cuba est antérieure à la révolution haïtienne. Les archives révèlent l’installation au XIX e siècle d’un certain nombre de familles françaises, aux profils variés : commerçants, médecins, fonctionnaires, agriculteurs, artisans…
Cette immigration prend de l’ampleur suite au Pacte de Famille signé entre les monarchies française et espagnole en 1761. La grande vague déferle en 1791 et dure environ dix ans, avec l’arrivée massive (les estimations vont de 10 000 à 30 000 personnes) des colons français de Saint-Domingue (Haïti), qui fuient la révolution haïtienne.
Ces colons apportent leurs esclaves et bénéficient de la bienveillance de la Couronne espagnole, soucieuse d’attirer les capitaux et le savoir-faire des Français en matière agricole. Ces colons s’installent pour des raisons évidentes dans l’Est mais gagnent aussi les régions de Matanzas, La Havane et Pinar del Río.
Le déclenchement de la guerre entre la France napoléonienne et l’Espagne (1808) au départ de bon nombre de Français de Cuba (épisode de la « xénophobie française ») ; ces expulsions auront d’ailleurs des conséquences néfastes sur l’économie cubaine. Mais certains font jouer leurs relations pour ne pas quitter l’île et d’autres feront le choix du retour à Cuba.
L’immigration française reprends rapidement, deux événements en témoignent : en 1819 la ville de Cienfuegos est créée par des Bordelais ; Cardenas, sur la côte nord, à proximité de Matanzas, est également fondée en 1828 par des Français, cultivateurs de coton et de café.
Un rôle économique majeur
Les colons venus d’Haïti apportent leur capitaux, la main d’œuvre esclave et un savoir-faire dans la culture de la canne à sucre et du café. Pour ce qui est de cette dernière culture, les Français vont acheter des terres ou exploiter des parcelles en fermage, dans l’Ouest de Cuba, en particulier dans la région montagneuse de la Sierra del Rosario.
En 1808, il existe 160 plantations de café dans l’Ouest de l’île; aussi l’essor de la production que connaît Cuba entre la fin du XVIII et le XIXe siècle est largement redevable à l’immigration franco-haïtienne.
Pour ce qui est de la canne à sucre, ce sont surtout les innovations techniques qui sont remarquables et les spécialistes venus d’Haïti ont révolutionné l’industrie sucrière locale. Les moulins à sucre les plus productifs, particulièrement dans la vallée de Güines, ont été construits par des techniciens français.
Il faut également mettre sur le compte du savoir-faire français les progrès dans l’utilisation de la machine à vapeur, présente dès 1820 dans l’industrie sucrière, notamment suite aux visites de l’ingénieur Charles Derosnes (1842 et 1843). Il faudrait encore évoquer les échanges commerciaux et les flux financiers, en particulier les nombreux prêts consentis par les banques françaises à la Couronne espagnole à la fin du XIXe siècle.
Qu’en est-il des liens culturels?
Le siècle des Lumières n’a pas manqué d’influencer les penseurs cubains à l’instar du premier d’entre eux, José Marti, francophile et francophone confirmé qui a côtoyé Hugo, Balzac et Zola pendant ses séjours à Paris. Les idées des encyclopédistes ont inspiré les pédagogues José Augustín Caballero et Felix Varela.
Au cours du XIXe siècle, le prestige de la France conduit de grandes familles à envoyer leurs enfants faire leurs études dans l’Hexagone; des jeunes qui reviennent pétris de culture française. C’était l’époque où l’école française de médecine rayonnait à Cuba, où la littérature était largement influencée par le romantisme français.
Des temps où l’immigration franco-haïtienne laissait une trace indélébile dans la musique et la danse cubaine avec l’introduction de la contredanse et du menuet. Quant à l’Ecole cubaine des Beaux-Arts, elle fut fondée par le peintre Jean-Baptiste Vermey, dont on peut admirer le triptyque au Templete de La Havane. Saviez-vous que le premier film réalisé à Cuba, tourné à La Havane, est l’œuvre de Gabriel Veyre ? Cette influence ne se limite pas à la capitale, on l’a retrouve ailleurs dans l’Ouest, en particulier à Matanzas: au XIXe siècle, on pouvait y trouver des boutiques de vins de Bourgogne, la pharmacie d’Ernest Triolet (aujourd’hui transformée en musée), des écoles privées créées par des Français, un quartier nommé Versailles…
À San Antonio de los Baños, les immigrés français construisent de magnifiques demeures aux tuiles venues de Marseille, entourées de jardins… à la française !
F. Lamarque
Cubania