La communauté LGBTI a manifesté sans permission à La Havane
La suspension de la conga (1), la manifestation pour la diversité, contre l’homophobie et contre la transphobie, sous la tutelle du CENESEX (2), est la meilleure chose qui pouvait arriver. Cette manifestation a lieu chaque année pendant la journée contre l’homophobie. La communauté LGBTI avait exprimé son désaccord avec le CENESEX sur les réseaux sociaux et a décidé de marcher seule, sans le soutien des autorités.
Pendant plusieurs jours, l’information a circulé jusqu’au jour de l’évènement. Pendant cette période, certaines personnes ont été menacées et/ou harcelées pour qu’elles n’accèdent pas sur les lieux de la manifestation. Le samedi 11 mai au matin, les militants Jimmy Roque et Isbel Diaz Torres, tous les deux membres de l’Atelier libertaire de La Havane, ont été arrêtés (3).
Le samedi 11 mai, vers quatre heures de l’après-midi, le Parc central – déjà entouré de policiers – était occupé par des militants et la presse. Personne n’avait demandé la permission de manifester. La promenade a commencé le long du Paseo del Prado. Les jeunes – il faut dire que la plupart d’entre eux l’ont été – ont crié : « nous n’avons pas besoin de conga », « Cuba la diversité », « nous marchons pour nos droits », « pour Cuba le meilleur, pour nos droits le meilleur » ; tout en brandissant des drapeaux.
Dans la rue, à côté du Prado, la promenade qui mène au bord de mer, il y avait une manifestation parallèle, plus stressée et accompagnée de patrouilles de police. Certains portaient des uniformes, mais d’autres portaient des vêtements civils et tentaient de se camoufler dans la foule, même s’ils étaient parfaitement reconnaissables.
Tout s’est déroulé de manière organisée, paisible et joyeuse. A la fin de la promenade, alors qu’ils étaient sur le point d’atteindre le Malecón, l’avenue du bord de mer, les autorités sont intervenues en déployant leurs forces de police. Ils ont ensuite encerclé les manifestants, cependant, malgré la situation absurde et tendue, personne n’a fait de provocation, il n’y avait aucune agressivité jusqu’à ce que plusieurs personnes sans uniformes arrêtent brusquement quelques militants.
Face à l’impossibilité de continuer la manifestation harcelée par la police, il n’y a pas eu non plus de réactions inappropriées, bien au contraire. Maintenant, le gouvernement inventera des excuses pour justifier les scènes qui ont eu lieu là-bas ; il cherchera des agents de la CIA ou payés par la mafia de Miami ; il imposera des amendes ; il retiendra les militants qu’il détenait depuis le matin pour les empêcher d’atteindre le Parc central ; mais les images voyagent déjà dans le monde et nous tous qui étions là sommes témoins des faits.
Ce samedi 11 mai restera dans la mémoire de plusieurs d’entre nous, et pas seulement à cause des couleurs de l’arc-en-ciel qui brillait comme jamais auparavant. Mais parce que la société civile a démontré qu’elle peut s’organiser, s’unir, se soutenir. Vous savez que vous n’avez besoin d’attendre aucune permission, de quiconque, pour être présent dans vos propres rues.
Irina Echarry
pour Havana Times https://havanatimesenespanol.org
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1. Le Centre national d’éducation sexuelle, dirigé par Mariela Castro Espín, la fille de Raul Castro, est un organisme de l’État cubain créé en 1989 afin de développer les connaissances et la formation de la population sur la sexualité, ses enjeux et ses dysfonctionnements, ainsi que soutenir les personnes LGBT. Selon Mariela Castro Espín, “les nouvelles tensions dans le contexte international et régional affectent de manière directe et indirecte notre pays, elles ont des impacts tangibles et intangibles dans le développement normal de notre vie quotidienne et dans la mise en œuvre de la politique de l’État cubain”. Dans sa réponse sur les réseaux sociaux publié sur le Diario de Cuba, le militant Gonzales Maimó a déclaré : “Quelles dépenses la conga génère-t-elle ? Ne nous manquez pas de respect. Dites plutôt : “les fondamentalistes religieux ont menacé de descendre dans la rue en réaction à la conga, et nous avons eu peur parce qu’ils sont plus puissants que nous. Les gays, les lesbiennes et les transgenres ne sont pas si importants que cela et nous ne nous soucions pas de leurs droits. Alors nous avons dit à Mariela et le CENESEX que nous n’accepterons pas de devenir invisibles cette année”.
2. La conga, également appelée tambour congo, tumba ou tumbadora, désigne plusieurs éléments musicaux cubains ou latins : un instrument de musique, un rythme, une formation musicale ou une danse. Laconga peut permettre de rassembler des manifestants sur ses rythmes.
3. Un autre militant libertaire et activiste LGBTI, Roberto Ramos Mori, a été arrêté lors de la manifestation. Nous sommes sans nouvelle de lui.