La droite reste au pouvoir à Cuba
La récente décision du gouvernement cubain de retirer la redéfinition initiale du mariage contenue dans le projet de Constitution sert à développer plusieurs analyses, mais toutes nous amènent à réaffirmer la certitude que nous avons depuis des années : la droite est au sein du gouvernement cubain, et de là ce gouvernement pratique une contre-révolution systématiquement.
A cette occasion, les dirigeants cubains ont décidé de conclure des pactes avec les églises les plus arriérées de l’île. Ils ont reçu à l’avance leurs votes (et ceux de leurs paroissiens) pour une Constitution qui éternise le Parti communiste de Cuba au pouvoir, en échange de l’élimination de la possibilité de reconnaissance légale des unions homosexuelles.
Comme je l’ai dit dans plusieurs interviews depuis le début de ce débat : nous n’avons rien d’autre entre nos mains que des promesses. Et les promesses peuvent être rompues.
Lorsque le Code de la famille apparaîtra enfin éternellement fermé, d’ici à deux ans, s’il n’y a pas de reconnaissance de l’égalité du mariage et qu’il ne reste aux LGBTIQ que des “unions consensuelles” ou “de facto”, alors on pourra dire qu’il est inconstitutionnel. Après tout, le terme “conjoints”, qui est maintenant utilisé, peut également être manipulé et redéfini dans la législation. La version contenue dans l’article 68 me reconnaissait en tant qu’individu, tout au moins explicitement, puisque je suis une “personne”. En tant que conjoint… eh bien, cela dépendra maintenant de la bonne volonté des législateurs. Ils l’ont déjà fait lors du recensement homophobe de 2012, lorsque, avec un manque total de respect et avec vulgarité, ils ont écrit à l’encre noire que les conjoints devaient être “de sexes différents”.
C’est un gouvernement dont le mépris des droits de l’homme est ostensible, qui a pu voter aux Nations unies en faveur de projets rétrogrades et homophobes proposés par la Russie, par exemple, qui n’a pas reconnu publiquement ce qui s’est passé dans à Cuba les UMAP (1) de 1965 à 1968, sa main ne tremble pas pour refuser dans son propre pays l’extension des droits aux populations défavorisées.
La prosapie du mâle insulaire est trop puissante, et parvient à s’imposer sans grandes difficultés. Ceci, combiné aux lectures bibliques les plus fermées et au conservatisme des institutions culturelles et de la presse de l’île, offre un attrait qui se trouve entre l’autoritarisme et la “séduction” qui est très difficile à surmonter.
Apparemment, cette missive délirante de plusieurs églises protestantes cubaines, où les traditions staliniennes eurasiennes répressives étaient considérées comme des éléments légitimes pour dénigrer le mariage égalitaire, n’était pas trop exagérée.
En dépit de ce que disent des organismes d’État comme le CENESEX (2), le gouvernement cubain continue d’être à l’arrière-plan des approches les plus révolutionnaires en matière de genre et de sexe qui sont actuellement traitées au niveau international, et même au niveau plus régional comme en Amérique latine.
De même, le public LGBTIQ cubain a montré dans le processus ses lacunes et ses faiblesses, alors qu’en même temps, l’opportunité a servi d’exercice en temps réel pour la construction des fondations de cette “communauté” dont nous avons besoin. Des acteurs de divers domaines se sont réunis pour promouvoir des idées communes, bien que nous n’ayons pas été en mesure de prendre cette mesure essentielle qui implique une action directe dans les communautés et dans les espaces publics.
C’est ce qu’ont fait de nombreuses églises chrétiennes, elles ont réussi à former une masse critique pour exposer et imposer leurs revendications, avec la participation directe de milliers de familles (y compris de mineurs), la publication de messages homophobes sur la voie publique, la distribution d’audiovisuels encourageant la haine et la discrimination sur les réseaux sociaux, entre autres stratégies qui ont finalement fonctionné.
Les militants LGBTIQ ne pouvaient même pas s’embrasser publiquement devant une église. Ils ont d’abord changé la date de leur action, puis ils ont changé le lieu, et finalement ils l’ont suspendu (et l’ont fait avec une participation ridicule).
Tout ce “jeu” entre religieux et non-hétéronormatifs a été (et est toujours) l’écran de fumée parfait pour que le gouvernement de l’île défende trois idées-force :
- a) le processus est démocratique car il y a différents acteurs qui peuvent librement exprimer leurs positions,
- b) la question du mariage est parmi celles qui intéressent le plus la population et on peut en conclure que la même population approuve le reste du contenu,
- c) toute décision prise par le gouvernement à cet égard est correcte pour au moins une partie “concurrente”.
La nouvelle formulation, soit dit en passant, est devenue un nouveau défi pour cette communauté naissante, avec des positions diverses et parfois même opposées.
Ce que la nouvelle formule ne prévoyait peut-être pas, c’est qu’aucun des partis ne sera satisfait de la version salomonique qu’ils imposent maintenant et que, pendant le référendum, ils se retrouveront sans les votes des paroissiens et des personnes LGBTIQ dans toute l’île, ce qui mettrait en péril le projet d’ancrage du pouvoir que signifie la nouvelle Constitution.
Il est clair que la prétendue “non-politisation” de la question des droits LGBTIQ a été l’un des éléments les plus propices pour que les gens puissent s’exprimer librement sur quelque chose qui “ne remet pas directement en cause” le pouvoir dominant. Ceci explique en grande partie le grand nombre d’interventions sur le sujet au niveau national.
D’autre part, avec une associativité si précaire à Cuba qu’elle entrave les droits à la liberté d’expression et d’association de ceux qui ne partagent pas les positions du pouvoir aujourd’hui à Cuba ; il est très difficile d’élargir et de radicaliser un mouvement parce que, d’une part, il est confronté aux tendances homophobes de l’Eglise, et d’autre part, il décide de briser les fils invisibles qui le manipulent depuis l’Etat.
Enfin, nous devons reconnaître que c’est le moindre des problèmes de la Loi des Lois. Pour moi, qui ai promu le débat et la délibération sur la question, le doute n’a jamais été entre le choix du “oui” ou du “non” à la Constitution au moment du référendum, mais entre le “non” et l’”absence au vote”. Chacun aura ses propres réponses à ces docotomies.
Mais cette Constitution n’est presque nulle part récupérable :
- Les processus n’ont pas été transparents.
- Il n’y a pas eu de participation citoyenne initiale à l’inclusion ou à la modification du contenu.
- Les changements couvrent tellement de domaines qu’ils exigeaient un processus constitutif complet.
- Les droits déjà consacrés dans la Constitution actuelle et les Constitutions précédentes ont été affectés.
- Il n’y a pas d’engagement explicite en faveur des droits humains universels (seulement ceux ratifiés par Cuba, et comme nous le savons, le gouvernement n’a pas ratifié les Pactes des droits humains).
- La liberté artistique est limitée.
Les textes sont explicites sur les devoirs des citoyens, tandis que les engagements de l’Etat sont relativisés.
- Il commence à donner plus de liberté à la propriété privée et à la libéralisation de l’économie, alors qu’il n’y a pas d’incitation au contrôle des citoyens ou des travailleurs.
- Le pouvoir du Parti communiste reste intact, il dirige la société cubaine en toute impunité (pour tracer le plus long chemin du capitalisme au capitalisme).
- Il insiste sur un langage sexiste et non inclusif.
Il est évident que même si les manchettes disent que “Cuba ne renoncera pas à ses principes”, l’histoire cubaine est l’histoire de la renonciation aux principes. Le respect de la diversité sexuelle n’a jamais non plus été un principe de la Révolution cubaine, quels que soient les progrès réalisés ces dernières années.
Les “principes” diffusés avec la plus grande médiocrité par les dirigeants cubains ne sont pas présents dans les contrats que le gouvernement cubain signe avec Nestlé, Bayer, Meliá, Trafigura, Cherrit International, Google ou tout autre organisme du genre. La ” realpolitik ” s’appelle ainsi, et c’est ce qui fonctionne lorsque vous négociez avec la Communauté européenne, les États-Unis, le Brésil, le Vietnam, la Chine, la Corée (l’un ou l’autre) ou le Canada. Il est clair que ni le gouvernement cubain ni ceux de ces pays ne s’intéressent vraiment aux droits de l’homme… ou aux “prisonniers humains” pour reprendre les mots de Raúl Castro.
Vous qui avez mis de l’espoir dans le projet, je suis désolé pour votre déception. Je ne peux pas être déçu par une instance qui n’a jamais été le dépositaire de ma confiance et/ou de mon espoir. La lutte pour l’égalité du mariage est une autre expression de désaccord avec le statu quo, comme peut l’être la nécessité d’une reconnaissance juridique de la grève. Pour moi, il s’agit plutôt de diversifier les armes de lutte contre le pouvoir dans une société aussi stagnante, craintive et sans amour que celle que nous avons à Cuba.
En ce sens, je pense que la lutte en vaut la peine, et je continuerai dans cette lutte, non pas pour me sentir victorieux ou vaincu par l’une ou l’autre position gouvernementale, mais pour être présent, pour être solidaire des compagnons, avec des positions plus ou moins semblables aux miennes, pour dénoncer les injustices et les inégalités de ce monde, et pour briser les murs du silence qu’ils construisent constamment autour de nous.
Isbel Díaz Torres
Traduction : Daniel Pinós