À Cuba, les artistes indépendants mettent le système en échec
La manifestation annoncée par le Collectif San Isidro, avec les artistes Iris Ruiz, Amaury Pacheco, Yanelis Núñez, Luis Manuel Otero Alcántara, Michel Matos, parmi les principaux artistes, a déclenché la paranoïa et un excès de vigilance dans le voisinage du Ministère de la Culture (Mincult).
Depuis hier, le 3 décembre, date à laquelle la manifestation a commencé, les patrouilles et les agents de la Sûreté de l’Etat occupent les environs du Mincult, lieu choisi pour exiger une réponse à l’entrée en vigueur imminente du décret 349 qui vise à donner un corps juridique à la persécution de la pensée critique à Cuba, une mesure stalinienne dans une économie de marché en plein développement.
La maison qui abrite le Mincult occupe tout un pâté de maisons entre les rues 2, 4, 11 et 13. Apparemment, l’un des postes de commandement est situé dans la rue 6 où des patrouilles sont garées, j’imagine qu’ils sont loin de l’entrée principale où ils sont également stationnés. Les agents de la Sécurité d’Etat se trouvent également sur place pour distribuer les mandats d’arrêt.
Cela disperse la zone des détentions, qui seront observées par les habitants du quartier. La presse officielle ignore la nouvelle, comme si elle n’avait que peu d’importance. Dans le Granma, le quotidien d’aujourd’hui, tout semble normal et quand je sors dans la rue, les agents au coin de la rue me défient du regard, car je vis à un demi pâté de maisons de Mincult. Hier, ils m’ont envoyé une patrouille qui m’a retenu quelques minutes sur la rue Linea.
L’artiste Tania Bruguera s’est jointe à la protestation et persiste à dire qu’elle continuera à se rendre au Mincult aussi longtemps que le temps l’exigera, c’est-à-dire jusqu’au 7 décembre, et bien sûr qu’elle exigera également la libération des artistes et des militants arrêtés.
Bruguera, considérée par les spécialistes comme l’artiste visuelle ayant la plus grande portée internationale de tous les temps à Cuba, a maintenu une cohérence dans son travail créatif. A l’intérieur de l’île, elle a été calomniée par la presse officielle, accusée d’être un agent de la CIA, et dans les académies d’art du pays son travail est diabolisé, mais chacun va aussi loin que son courage le permet, et du courage elle en a à revendre.
Le but de cette artiste à travers l’Institut d’art Hannah Arendt est de venir en aide aux artistes censurés ou réprimés. Même si le monopole d’État des communications, l’entreprise Etecsa, en plus de l’espionner grossièrement et impunément, a arbitrairement annulé la ligne téléphonique cellulaire de l’artiste, elle a pu communiquer par son téléphone fixe et sa page Facebook.
Ces artistes libertaires représentent un danger en exposant les sentiments de la majorité des Cubains. Dans une période de transition comme celle que traverse le pays aujourd’hui, et sans que les gens puissent vraiment influencer leur destin, il suffit d’une étincelle pour parvenir à une explosion sociale.
En conséquence, le Mincult ressemble aujourd’hui à La Havane des siècles passés, murée devant l’attaque des corsaires. Il est dommage que de nombreux manifestants, tels que Yanelis Núñez, Iris Ruiz, Amaury Pacheco et Bruguera elle-même, aient fait partie de cette entité. La question que devraient se poser les fonctionnaires du Mincult est de savoir ce qui les a amené à se radicaliser.
D’autre part, l’appel à protester est ouvert à tous les artistes qui sont contre ce décret-loi, car jusqu’à présent, la stratégie du pouvoir est de diviser les corporations d’artistes visuels et cinéastes. Ils ont promis un projet juridique, à la place de la loi du cinéma, ce qui n’a même pas été fait et même si cela était réalisé, il serait soumis aux règlements et à la corruption que va générer les prohibitions des 349.
Lynn Cruz
Comédienne et écrivaine indépendante
Traduction : Daniel Pinós, groupes d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba
Publié sur le Havana Times le 5 décembre 2018