Notes d’anarchistes : Abelardo Iglesias et le coup d’État castriste

Le militant et écrivain anarchiste cubain, Abelardo Iglesias, a porté à plusieurs occasions ses convictions pour la liberté et le changement social au risque de sa vie sous des régimes totalitaires. Né à Cuba, il participa à partir d’un jeune âge au mouvement ouvrier. Plus tard, il partit pour l’Espagne pour combattre le fascisme franquiste et défendre la Révolution Sociale et y resta du début de la Guerre civile jusqu’à la défaite finale catastrophique. Après la débâcle, Iglesias retourna à Cuba où il participa à l’Association Libertaire de Cuba (ALC), qui combattait le régime Batista, mais aussi les amis et collaborateurs du régime – dont bon nombre conserveront de hauts postes sous la dictature castriste. Luttant inlassablement pour défendre les conquêtes des travailleuses et travailleurs et l’indépendance des syndicats, les militant-e-s anarchosyndicalistes et anarchistes furent la cible d’une très brutale répression à l’arrivée de la dictature castriste au pouvoir en 1959.
De même, les acquis de longues et dures luttes dans lesquelles les anarcho-syndicalistes ont joué un rôle clé à partir même des dernières décennies du 19ième siècle, ont été perdus sous ce nouveau régime, de façade dit « communiste » en raison de ses liens avec l’URSS. Durant les premiers jours du mois de janvier 1959, quelques jours après que Batista fut renversé par le spectacle de Castro, de nombreux et nombreuses leaders syndicaux et syndicales anarchistes furent expulsé-e-s de leurs syndicats. Plusieurs durent partir en exil ou aller en prison. Abelardo Iglesias était de leur nombre et évita la prison de justesse grâce aux militant-e-s ouvriers et ouvrières de la base qui sont venu-e-s à sa défense. Il a beaucoup écrit sur la situation d’alors à Cuba et est parti en exil quelques années plus tard. L’article suivant est un extrait traduit d’un texte de lui, publié dans le journal anarchiste argentin Reconstruir à Buenos Aires en 1963. Il y avertit les anarchistes que sous ses apparences révolutionnaires et ses slogans libertaires, le régime castriste est un régime liberticide et militarisé, où la dignité et les droits des individus sont supprimés. Même si Iglesias écrit ces lignes au début des années 1960, celles-ci se verront à nouveau confirmées dans les années subséquentes.
« À première vue, l’expropriation des propriétés des grands propriétaires terriens semble logique et correcte pour un mouvement qui ne croit pas en la propriété privée, ou qui ne reconnait pas la validité de droits injustement accordés à des minorités privilégiés. Mais nous devons réaliser que la conversion de la terre expropriée en propriété étatique crée un esclavage infiniment pire que le capitalisme privé. Les libertaires devraient savoir que les privilèges de classe sont assujetties à l’État, en tant que régulateur suprême des rapports sociaux. Et nous devrions aussi savoir que la conversion de la propriété privée en propriété de l’État concentre automatiquement un énorme pouvoir politique dans les mains d’un nombre réduit de personnes, créant ainsi une oligarchie totalitaire détenant un pouvoir illimité.

Fidel Castro a établi une oligarchie totalitaire typique. Au nom de la liberté, il a sans gêne trahi un peuple politiquement naïf, qui a permis de se laisser prendre par le légendaire « héro de la Sierra Maestra ». Ce n’est pas une simple supposition. Il s’agit de faits crus, brutaux et monstrueux auxquels les libertaires vont devoir faire face dans toute leur magnitude, s’ils et elles veulent vraiment comprendre l’immense tragédie ayant présentement lieu à Cuba.

En dehors, des querelles byzantines, il y a ces faits objectifs que personne ne peut nier. Nous en listons brièvement les points principaux:

  1. Le soi-disant régime révolutionnaire est essentiellement une oligarchie dominée par une poignée d’hommes qui n’ont de compte à rendre à personne pour leurs actions.
  2. En lien avec leur sectarisme, ils ont aboli tous les droits individuels.
  3. Un pouvoir politique et économique centralisé à un point jamais atteint auparavant.
  4. Ils ont construit un appareil de terreur immensément plus efficace que les agences répressives de Batista.
  5. La terre n’a pas été distribuée aux paysans, aux individus, aux familles, aux collectives, ou aux coopératives d’agriculture, mais est devenue ‘de facto’ la propriété de l’agence d’État, l’Institut National pour la Réforme Agraire (INRA).
  6. La nationalisation des entreprises privées n’a pas bénéficié aux travailleurs et travailleuses. Les industries ne sont pas administrées par les syndicats ouvriers. L’État en a pris le contrôle pour renforcer son pouvoir, transformant les travailleurs et travailleuses salarié-e-s en esclaves de la machine étatique.
  7. L’Éducation publique est devenue un monopole de l’État. L’État s’arroge le droit d’imposer sa propre éducation aux jeunes, sans égard à l’opinion des parents.
  8. La nécessité légitime de se préparer contre des agressions contre-révolutionnaires a été le prétexte pour la militarisation non-nécessaire des enfants et des adolescents comme en Russie et dans les autres États totalitaires.
  9. Le droit de grève a été abolit et les travailleurs et travailleuses doivent, sans se plaindre, obéir aux décrets qui leurs sont imposés sur leurs lieux de travail. Les syndicats ont perdu leur indépendance et sont maintenant des agences étatiques, dont la seule fonction est d’amadouer ou de forcer les travailleuses et travailleurs à obéir aux commandes des fonctionnaires de l’État sans protester.
  10. Il n’y a pas de véritables tribunaux judiciaires. Les dissident-e-s sont puni-e-s non pas pour des offenses alléguées, mais pour leurs convictions et idées révolutionnaires.

Le gouvernement de Fidel Castro se conduit en conformité avec le dicton célèbre de Mussolini :
« Rien en dehors de l’État !! Rien contre l’État!! Tout pour l’État !! »

Abelardo Iglesias

Source : Sam Dolgoff, « The cuban revolution : A critical perspective », Black Rose Books, Montréal, 1977, p.89-90


Enrique   |  Histoire, Politique   |  11 23rd, 2018    |