La nouvelle loi qui menace la création artistique à Cuba
Les artistes et militants cubains s’inquiètent de plus en plus des restrictions à la liberté d’expression avec la mise en oeuvre du décret 349, un texte visant à réglementer les activités culturelles et artistiques, jusque et y compris les ventes de livres. Le décret a été approuvé en janvier et prendra effet d’ici décembre.
Ce décret controversé exige des artistes qu’ils s’affilient à des institutions publiques officielles pour seuls commanditaires. Il définit aussi quelles autorités sont compétentes pour appliquer le décret, y compris les sanctions potentielles en cas d’infractions.
De même, le décret 349 prévoit des amendes et des confiscations d’instruments, de matériel et d’autres objets utilisés dans l’activité en infraction. Les événements artistiques encourent un arrêt immédiat s’ils sont considérés en infraction.
Le décret pénalise les actes qui portent atteinte à la “dignité humaine”. Tout contenu vu comme discriminatoire quant à la race ou l’orientation sexuelle sera sanctionné par la loi. Les images violentes seront aussi examinées.
Depuis sa publication en juillet, plusieurs artistes cubains l’ont fermement condamné, notamment ceux associés à des ateliers indépendants et à des projets collectifs, de même que ceux qui sont dans l’opposition au pouvoir actuel. De nombreux projets artistiques indépendants qui fleurissent actuellement grâce au financement participatif en ligne craignent que la nouvelle réglementation ne complique leur économie.
Un des arguments qui reviennent le plus fréquemment est que le décret limitera la créativité des artistes indépendants et ouvrira la porte à la censure et aux directives gouvernementales contre les contenus considérés comme hostiles au pouvoir.
Diverses campagnes contre le décret 349 ont été menées concurremment avec les discussions sur le projet de nouvelle constitution pour Cuba. Mais pour beaucoup, ces discussions ont détourné l’attention de la contestation du décret.
Une campagne particulière dénommée Artistas Cubanxs en Contra del Decreto 349 (Les artistes cubains contre le décret 349) a été à l’initiative d’un groupe d’intellectuels, d’artistes et de militants, avec l’historienne de l’art Yanelys Nuñez, l’artiste visuel Luis Manuel Otero Alcántara, le poète Amaury Pacheco et le rappeur David D’Omni. (Amaury Pacheco et David sont également membres du projet Omni-Zonafranca.)
La campagne cherche à collecter le minimum de 10.000 signatures requises par la constitution actuelle pour qu’une loi soit reconsidérée.
Entre-temps, la plate-forme militante Avaaz a rejoint le débat avec une pétition et une lettre ouverte sur la légitimité du décret. La lettre se dit inquiète pour l’avenir de l’art et de la culture à Cuba si seuls les organismes d’État sont habilités à accorder les autorisations d’événements artistiques et à choisir qui va les financer:
Aujourd’hui, le système du crowdfunding offre de nouvelles sources de soutien aux projets artistiques de la part d’amis. […] Le fait qu’un artiste cubain cherche ) financer ses créations par ses propres moyens ne fait pas de lui un opposant — des millions d’individus dans le monde bénéficient des nouvelles technologies pour diffuser leurs oeuvres à la marge des institutions culturelles établies.
Aujourd’hui, le système du crowdfunding offre de nouvelles sources de soutien aux projets artistiques de la part d’amis. […] Le fait qu’un artiste cubain cherche ) financer ses créations par ses propres moyens ne fait pas de lui un opposant — des millions d’individus dans le monde bénéficient des nouvelles technologies pour diffuser leurs oeuvres à la marge des institutions culturelles établies.
La lettre ouverte appelle l’attention sur le flou de certains critères juridiques du décret, comme “le contenu injurieux pour les valeurs éthiques et culturelles [qui] sera puni.” Adressé au président cubain Miguel Díaz-Canel et au nouveau ministre de la Culture Alpidio Alonso, la lettre a été signée par des artistes et des intellectuels tels que Tania Bruguera, Laritza Diversent, Coco Fusco, Yanelys Nuñez et Enrique del Risco.
Les inquiétudes affirmées par la lettre ont été aussi partagées par Cubalex, une organisation de défense des droits :
Les artistes indépendants ou ceux qui n’ont pas de liens avec les Institutions de l’État ou avec un groupe de la société civile se verront doublement discriminés parce que leurs formes et moyens d’expression sont perçus par l’État comme contestataires, ou comme une forme d’expression d’une opinion politique.
Le décret a soulevé des questions dans les espaces religieux où ont lieu des activités artistiques. Tel et le cas avec Rule of Osha, une série de rituels de danse et de musique que l’on trouve dans la Santeria, une religion largement pratiquée à Cuba.
Pendant ce temps, un collectif de hip-hop composé des artistes David D’Omni (Omni-Zonafranca), Raudel Collazo de “Escuadrón Patriota” et du rocker Gorki Aguila, du grooupe “Porno para Ricardo” a produit des chansons contestataires contre le décret:
Ta censure est dans l’annulation de concerts que tu as mis par terre.
C’était toujours là, tu n’as fait que le légaliser.
Tu nous accuses ensuite de politiser l’art; dis-moi,
Qu’est-ce que tu as fait quand tu as mis ça dans la constitution avec des sanctions pour les artistes ?
Assez de la répression dont la liste continue à croître.
En faveur du décret, Jorge Angel Hernández explique son point de vue dans La Jiribilla, un magazine pro-gouvernement :
Les réactions opposées au décret 349 consistent, comme par hasard, à s’attacher à présenter un chaos futur de censure et de répression, ils annoncent l’apocalypse et protègent, sans grande subtilité, les sources de financement interventionnistes qui leur permettront d’accéder aux différents niveaux de renommée dans le spectre public international.
La polémique sur le décret a conduit à des confrontations entre les artistes et les autorités Artistas Cubanxs en Contra del Decreto 349 (Les artistes cubains contre le décret 349) ont programmé deux concerts les 11 et 15 août pour rendre public leur mouvement contre le décret, mais la police nationale révolutionnaire a annulé l’événement et arrêté plusieurs artistes.