Les Cultures Afro-Cubaines

Les cultures afro-cubaines, que l’on qualifie à Cuba de “folkloriques” et en Occident de “traditionnelles“furent jusqu’à la fin du XIXe siècle celles des esclaves, puis au XXe siècle celles de leurs descendants. Elles sont aujourd’hui celles de tous les Cubains qu’ils soient noirs, blancs ou métis. On peut les qualifier de”créoles” tant elles se sont transformées, séparées de la matrice africaine, et sont devenues rapidement spécifiquement cubaines. Le terme “afro-cubain”peut prêter à confusion, puisqu’aux USA (et par lasuite en Europe) on l’a utilisé – et on l’utilise encore de manière erronée -pour qualifier les musiques “blanches” de Cuba, Son, Charanga et toutes leurs déclinaisons qui donneront naissance dans les années1970 à la”Salsa”qui est de toute la Caraïbe et sans doute née à NewYork, elle aussi de mélanges. Dans la musique afro-cubaine point d’instruments à cordes ni à vent, ni guitares, ni pianos, ni cuivres,ni contrebasses :

-de la percussion (principalement des tambours),

-du chant et

-de la danse

Ces trois éléments sont indissociables et d’égale importance.  Si on distingue dans la grande île de Cubaenviron 100 styles de musique populaire (‘blanche’), on trouve autant de variantes des musiques afro-cubaines, et il serait vain de les citer toutes ici.  Certaines ont disparu, d’autres sont en voie de disparition ou ne se maintiennent que dans certaines villes ou parties de l’île. D’autres sont très vivantes et ne cessent de se transformer, tant les musiciens inventent de nouvelles façons de jouer.  Les plus pratiquées sont généralement associées à des pratiques religieuses venues d’Afrique, aujourd’hui très répandues, officielles et (enfin) prises au sérieux par les instances gouvernementales. Certaines religions mélangent plusieurs influences, dont certaines issues de la culture religieuse -sinon spirituelle – occidentale. On pratique encoreplusieurs langues africaines dans les différentes religionsafro-cubaines, parfois l’espagnol dans différentes proportions, et mêmede la langue créole haitienne dans laquelle on reconnaitra beaucoup de mots français.

Il n’est pas rare que les Cubains pratiquent plusieurs religions en même temps.  Certains considèreront que “c’est comme pour la télévision: plus on a de chaînes,plus on a de moyens de communication(spirituelle)”.Comme dans les sociétés africaines, on s’occupe d’abord de son bien-être spirituel qui permet de mieux vivre et de mieux apprendre à vivre, en devenant un nouvel individu, plus accompli (et donc plus respectable, plus en harmonie avec la société et avec lui-même et les siens). Accéder à un statut élevé d’initié religieux – ou de musicien de rituels – peut même devenir une activité professionnelle, principale ou secondaire.

Si aux USA on vante les origines africaines du blues et du jazz, alors que l’on n’y trouve ni instrument, ni tradition religieuse, ni aucun élément de langue africaine, c’est bien parce que la répression des traditions culturelles des esclaves étaient totales.  Les instruments des esclaves aux USA étaient… le violon et le banjo! En fait, dans les colonies protestantes d’Amérique la répresssion était beaucoup plus grande que dans les colonies catholiques. C’est pour cela que dans les Antilles espagnoles, françaises, et au Brésil (colonie portugaise) on trouve encore des langues, des tambours et des cultes venus d’Afrique.  Des structures associatives pour les esclaves furent très tôt créées, appelées à Cuba “Cabildos“(fondé 1568, le Cabildo Changó, un cabildo lucumí, aurait été le premier). Ces institutions d’entr’aide où les esclaves régissaient tout, et se regroupaient par “nations” n’ont pas toujours eu la vie facile, surtoutà l’époque où les USA gouvernaient Cuba en sous-main.  Mais c’est en grande partie grâce à ces institutions coloniales espagnoles que les esclaves purent maintenir leurs cultes, et donc leurs langues, leur musique et leurs danses.

Le XIXe siècle vit l’arrivée à Cuba d’un nombrecroissant d’esclaves yoruba, dans les quatre provinces de l’ouest del’île, principalement dans celles de LaHavane et de Matanzas. Cependantdès le recensement de 1789 les Yoruba étaient majoritaires parmi lesesclaves de Cuba. Ils sont originaires du quart sud ouest du Nigeria,voire de certaines parties du Bénin et même du Togo. Ils possédaientdes traditions culturelles et artistiques parmi les plus fascinantes ducontinent africain.
Ils furent longtemps connus à Cuba sous le nom de Lukumí. Surles anciennes cartes d’Afrique on trouve parfois le nom de Ulkumi ouUlkami.  Selon certaines sources l’expression “olukumi”,signifierait “mon ami”.
Durant l’époque coloniale, lareligion des Lukumí engendra, au contact du catholicisme, un culteappelé “Regla de Ocha” ou plus péjorativement “Santería“(la”Sainterie”) dans lequel certaines divinités originelles ont étéassociées à des Saint catholiques, parfois de manière libre, parfoiscontraints et forcés par l’administration coloniale.
Le panthéon yoruba comporte jusqu’à une centaine de divinités appelés Orichas (ou”Ochas”),dont une vingtaine de divinités plus importantes. De nombreuseslégendes de tradition orale relatent leur histoire, leurs passions etleurs exploits, tant ils sont semblables aux humains. Comme les dieuxgrecs de l’Olympe, on les distingue par leurs pouvoirs naturels ousurnaturels, leurs symboles ou “attributs”, leur nourriture, leursjours de la semaine ou de l’année (selon à la fois les calendriersafricains et catholiques), leurs couleurs, leur musique, leurs prières,leurs danses et leurs chants spécifiques.
Chaque initié, “fils”ou”fille” d’unOricha bénéficie de sa protection et portera un ou des colliers (etbracelets) de perles lui correspondant. L’Oricha n’est pas choisi parl’initié mais par les instances religieuses habilitées à consulter lesoracles. Une religion séparée - la Regla de Ifá-avecses prêtres-devins est également fondamentale et régit en quelque sorteles marches à suivre, dictées par les Orichas eux-mêmes.  Mais laRegla de Ocha possède également ses propres formes de divination,considérées comme moins importantes hiérarchiquement qu’Ifá.
Communiquant également par le biais de la transe depossesion, que seuls les initiés peuvent atteindre, les Orichasdispensent messages, bienfaits ou punitions aux membres de la sociétéreligieuse ou à toute personne en contact avec celle-ci. Les adeptes dela religion yoruba ont également un ou des esprits individuels qui sontsouvent ceux des ancêtres, ou des parents disparus.
Olofí ou Olodumare, Dieu Suprême, est le Créateur du Monde, et les Orishas ou Santos servent d’intermédiaires entre lui et les hommes. Parmi ceux-ci:

-Eleguá, divinité de la destinée, présents auxcarrefours et sur les chemins. Il ouvre la voie aux humains et estparfois associé au Niño de Atocha (l’Enfant-Saint d’Antioche), à SaintAntoine de Padoue ou à l’AnimaSola (l’Âme Solitaire du Purgatoire).

-Ogún, divinité des métaux, guerrier et forgeron,associé à Saint Pierre, ou SanPablo, Saint Jean Baptiste, l’ArchangeSaint Michel, ou l’Archange Saint Raphaël.

-Ochosi, divinité de la chasse, associé à Saint Norbert;

-Osun,  messager d’Obatalá, divinité guerrière associée à Saint Joseph ou San Ramón;

-Inle,  dieu-pêcheur, doué aussi de pouvoirs de guérison, associé à l’Archange Saint Raphael;

-Babalú Ayé,divinité des maladies, associé à SaintLazare, il correspond également à Asoyí (divinité “arará”), à Kobayende(divinité conga) et à Yerbe (divinité ganga-mandingue);

-Oricha Oko, agriculteur, associé à San Isidro Labrador;

-Osáin, herboriste et guérisseur, possède le Secretdes plantes. On l’associe généralement à Saint Sylvestre. Ses prêtres,les Osainistes, sont chargés de cueillir et préparer les plantes pourde nombreuses utilisations.

-les Ibeyi (Taebo et Kainde), jumeaux mythiques yoruba associés à Saint Cosme et Saint Damien;

-Agayú, le géant-volcan, père de Changó, associé à Saint Christophe, patron de La Havane;

-Changó,divinité de la musique (et donc destambours), de la foudre et de la virilite, associé à Sainte Barbe, il correspond également au Hebbioso arará, au Siete Rayos congo et auMamba mandingue;

-Obatalá,  roi des Orichas et divinité de la paix, associé à la Virgen de las Mercedes;

-Oduduá, ancêtre des yoruba, associé à San Manuel.

-Obba, une des épouses de Changó, incarnant la fidélite conjugale et associée à Sainte Rita;

-Yeggüá, est en relation avec les morts, et est associée à Nuestra Señora de los Desamparados, ou à la Virgen de los Dolores;

-Oyá, qui est en Afrique le fleuve Niger, déessedes vents et des tempêtes, autre femme de Changó, associée à la Virgende la Candelaria, ou à la Virgén delCarmén, ou encore à Sainte Therèsede l’Enfant Jésus.

-Yemayá, déesse de la maternite et de la mer, associée à la Virgen de Regla, mère de beaucoup d’Orichas;

-Ochún, Oricha des rivières et de l’amour, associé à la Vierge de la Caridad del Cobre, patronne métisse de Cuba;

-Orula, divinité de l’oracle, associé à Saint Francois d’Assise;

Les adeptes possèdent chez euxdes autels où leur Oricha est physiquement présent, dans un otán(pierre consacrée) placée dans un réceptacle (soupière,chaudron,coffret,plat en terrecuite, etc…  selon lesOrichas) et entouréd’autres objets rituels symboliques. On y dépose des offrandes denourriture, boisson, bougie, tabac, etc…

Chaque adepte ayant atteint aubout de quelques années le grade de Santero (au milieu de l’échelle desinitiations) pourra permettre à son Oricha d’habiter son corps via la transe de possession dans les cérémonies publiques nommées “toque de Santo”, “tambor” ou “fiesta de Ocha”.

Il existeplusieurs catégories de “toques” yoruba: de batá, de güiro, ou debembé.  Les toques de Santo sont généralementaccompagnés par trois tambours batá, au départ dans les villes puisdans les campagnes, et aujourd”hui dans tout Cuba. Les toques de güiro sontaccompagnés par un ou deux tambours (aujourd’hui des congas), uneguataca (lame de houe) servant de cloche et deux ou trois chekerés(calebasses munies de filets de perles, secoués et frappés), d’abord àla campagne puis à la ville et aujourd’hui également dans toutCuba. Les toques de bembé, avec de deux à quatretambours spécifiques (de bembé), parfois frappés avec des baguettes,parfois à mains nues, et une cloche. Il existe différentes formes degüiro et de bembé selon les régions de l’île.  De même, deuxgrands styles originels de jeu existent sur les tambours batá, celui deLaHavane et celui de Matanzas, et les deux se sont répandus dans l’île.

Ces pratiques rituelles yoruba très populaires à Cuba, avec leurs musiques et danses, se sontégalement exportées hors de l’île, aux USA, au Venezuela, au Mexique, àPortoRico, voire au Brésil, en Europe, etc…
Les tambours, les chants etla danse honorent, invoquent et appellent les Orichas et favorisent latranse de possession, phénomène courant reconnu (mais non expliqué) parla science. On loue, on formule des demandes, on remercie (et parfoison provoque en les insultant) les Orichas, afin de résoudre unproblème, pour des funérailles, pour les esprits des morts et lors decertaines processions catholiques.
Lesbatá sont les tambours de Changó, mais on les joue pour toutes lesdivinités. Bimembranophones (deux peaux de tailles différentes) et enforme de sablier, ils sont souvent en bois de cèdre avec des peaux dechevreau (ou parfois de cerf). Posés horizontalement sur les genoux,ils sont frappés avec les mains nues (parfois à Matanzas avec unmorceau de cuir sur la petite peau). La peau la plus large est l’enú (la bouche), la plus petite le chachá.  Ils consistent par ordre décroissant en:

-iyá (‘mère’ en yoruba, qualifiée également de”Mayor”), qui régit les rythmes, et possède une grande  libertéd’interprétation, d’enjolivement et d’appels.

-itótele (ou segundo) qui répond aux appels d’iyá, qui possède une moindre liberté de variations, et

-onkónkolo (ou omelé, ou kónkolo) est le gardien du tempo et possède lui aussi dans certains cas une liberté de varier.

Chacune des extrémités d’iyá porte une ceinture de grelots (chaworo et chawori)qui enrichissent sa sonorité.  L’ensemble des trois batá produithuit sons de hauteurs différentes sur les trois peaux (dix sons dans lestyle de Matanzas qui se joue avec d’autres techniques). De plus, lafabrication e tla consécration de ces instruments obéit à des rituelsprécis, et les musiciens subissent une initiation spéciale à Añá, ladivinité qui réside en eux.
Les chants et les dansesde la santería illustrent parfois d’innombrables légendes. Les danses,expressives, mimétiques, variées et codifiées, évoquent la personnalitédes Orichas. Celles de Yemayá, par exemple, imitent le mouvement de lamer, vagues, houle, tempête ou tourbilllons. Celles de Changó sontélégantes et viriles, et contiennent les symboliques de la foudre, dela guerre ou de la séduction, voire des attitudes sexuelles. Celles de Babalú Ayé illustrent sa malédiction, son agonie et sarésurrection. Dans celles d’Eleguá, les attitudes caractéristiquesillustrent souvent son caractère facétieux. La plupart de ces dansescomportent des ondulations partant du bassin et se transmettent autorse, aux bras… Les danseurs une fois en transe, sont revêtus decostumes de cérémonie et des différents attributs, et évoluent devantles tambours.

Depuis les années 1940 des revues ontrepris sur scène les musiques et les danses yoruba, souvent de façonanarchique, et immédiatement après la Révolution de 1959 des ensemblesfolkloriques ont été créés, utilisant parfois la danse contemporaine.Des chorégraphies collectives ont été créées, qui s’inspirent desdanses traditionnelles en grande partie individuelles, ainsi que desarrangements musicaux.  Certains éléments du domaine de la scène(de “lo artístíco”) ont été repris dans les rituels (a “loreligioso”).

La santería est sans aucundoute la religion la plus pratiquée à Cuba, et s’est vulgariséeaujourd’hui à un tel point que des excès sont parfois constatés, tantles étrangers s’y intéressent. Ces débordements, pour des raisonssouvent économiques, donnent lieu à des phénomènes qu’on nomme”Santurismo” ou “Ochatour”. Les anciens critiquent souvent cestransformations qui dénaturent parfois l’authenticité et l’éthique de la religion yoruba sous ses diverses formes.

Le Culte Abakua

On désigne à Cuba sous le nom de Carabalí (déformationde”Calabar”) les esclaves originaires de l’extrême sud du Nigeria (le long de la frontière camerounaise), sur la côte, entre la ville de Old Calabar et le Mont Cameroun. Cette zone où le littoral est essentiellement constitué de mangrove comporte d’innombrables bras de rivières et le principal moyen de transport a longtemps été le canoë. S’il a existé à Cuba de nombreux Cabildos Carabalí, dont il subsiste des traditions dans certaines parties de l’île comme à Matanzas (dans le Bríkamo), à Trinidad (dans certains aspects de la Tonada Trinitaria), et en Oriente (dans les Comparsas Carabalí), la plus célèbre des manifestations de la culture de ces esclaves est une”société à masques” longtemps dite “secrète” (elle n’a plus rien de secret depuis longtemps): la société abakuá, qualifiée péjorativement de “ñañiga“. Cette confrérie fondée en 1936, réservée aux hommes, comparables à la Franc-Maçonnerie, a été la première religion afro-cubaine à intégrer des métis et des blancs, dès 1857 (bien que certains ne considèrent pas tout à fait ses cultes comme une religion à part entière). Ce que l’on appelle à Cuba “abakuá” est en fait le prolongement des sociétés Ékpe et Ngbe du Calabar.

C’est à Regla, village portuaire à l’époque séparé de La Havane, de l’autre côté de la baie que fut créé la première “loge” (ou “potencia”, ou “juego“) abakuá par des membres du cabildo Carabali Apapá Efik. Regla était un endroit où étaient débarqués les esclaves, loin des yeux des habitants de LaHavane, et à Regla vivaient de nombreux esclaves impropres “au service” (malades ou impotents), dans des baraques en bois. Pour avoir des lois internes strictes prévalant sur les lois officielles (pour les membres de laconfrérie), et pour accueillir plus tard en leur sein des bourgeois blancs indépendantistes, la “secte” abakuá, qui ne se superpose pas au cadre légal des Cabildos, fut accusée de nombreux crimes, puis interdite et persécutée.

S’il y a bien eu des Carabalí dans de nombreuses régions de l’île, la confrérie abakuá n’a pu s’implanter qu’à La Havane, Matanzas et Cárdenas (elle-aussi un port, de petite taille, situé à l’est de Matanzas, ceci à cause de lois internes limitant sa propagation.

Aujourd’hui une association abakuá officielle réunit toutes les loges et est reconnue par l’état cubain, qui recense 153 potencias, réunissant 20000 membres, soit environ 3% de la population mâle de Cuba. De nombreux abakuá ont émigrés aux USA, qui organiseront à l’été 2009 une sorte de fête-congrès en Floride. Des contacts ont été récemment renoués, grâce à l’ethnomusicologue américain Ivor Miller, entre les sociétés abakuá et la société Ékpe du Calabar.

Le mythe fondateur d’Abakuá, qui est au centre des cultes, dont il existe plusieurs variantes, relate la légende d`une femme nommée Sikán, originaire de la tribu Efor originelle, probablement située au Cameroun, près de la frontière nigeriane, qui alla chercher de l`eau à la rivière sacrée Odán. Elle y recueillit involontairement Tanze, un poisson surnaturel, messager d’Abasí, le Dieu Suprême. Sikán était peut-être membre d`une société secrète de femmes, et révéla l’existence de Tanze-Ngbe et ses secrets aux hommes de sa tribu, puis à la tribu rivale des Efiks. Son père, le roi Iyambá (dans d’autres versions c’est Mokongo) s`empara de Tanze, dont la voix s’affaiblit, et qui finit par mourir. Nasakó le magicien-sorcier finit par réussir à construire un tambour sacré (Ékue) pour reproduire cette voix et lui restituer sa vigueur. Le sang de Sikán nourrit le tambour sacré. Cette idée d’un pouvoir féminin récupéré par les hommes persiste dans les confréries du Calabar. Les potencias cubaines excluent rigoureusement les femmes et les homosexuels.

Les initiés abakuá se réunissent dans un lieu réservé à eux, le cuarto fambá. Leurs rites sont accompagnés, outre Ékue (tambour à friction) par des percussions, des chants, des tambours symboliques muets à plumeaux, et par les danses sacrées des Íremes masqués, incarnant les nombreux personnages originels de la première société enAfrique et certains esprits de la nature. On peut assister à une partie des manifestations abakuá en dehors du cuarto fambá, à l’intérieur de la cour fermée qui entoure celui-ci. Des processions abakuá traversent, lors d’occasions spéciales, les villes de La Havane, Matanzas et Cárdenas.

Il existe trois types de potencias ou “rame”: EfóEfí et Orú, et un autre secondaire, Eforí, qui n’existe qu’à La Havane. Les sociétés sont hiérachiquement organisées et chacune comporte de nombreux grades, qui tous ont un rôle et peuvent également revêtir un costume d’Íreme, pour incarner le temps d’une transe de possesion l’ancêtre originel correspondant à leur grade, et rejouer leur rôle historique:

Iyambá (chef des potencias efó), Mokongo (chef des potencias efí), Isué (chef Orú), Isunekué (chef Eforí),

EmpegóEkueñónEnkríkamoMosongoAbasongoEnkóboro, EribangandoEnkanimaNasakó,

Moruá YuansáEkumbreAbasíEmbokoEmbákaraAmañanguíAberisun et AberiñánKundiabón,

IbiandíEnkandemoKoifánMoní-fambáKofumbreMoní-bonkó, et Sikán.

La société abakuá a difficilement admis que des groupes folkloriques reprennent sur scène leur art, bien que certains de leurs chants aient été enregistrés dans la musique de Son dès les années 1920. Les groupes de rumba, apparus dans les années 1950, ont très tôt intégré la musique abakuá à leur répertoire. Dès les années 1960 des spectacles folkoriques ont mis en scène les mythes abakuá, ce qui a parfois créé des émeutes.  Leurs chants, leurs tambours et leurs danses sont parmi les plus fascinants du folklore afro-cubain.

Les Cultes Congo

On désigne à Cuba sous le nom de “Congos” divers peuples d`origine bantoue issus de divers pays: Congo Brazzaville, Congo Kinchasa, et Angola. Parlant diverses langues, ils furent principalement répartis dans les zones sucrières de l`ile. Les esclaves congos se livraient à des rites magiques, jetant des sorts à leurs tortionnaires blancs, et le dimanche dans les baraques des plantations où ils logeaient, ils se réunissaient pour chanter et danser au son de leurs tambours. Lydia Cabrera a recensé à Cuba plus de 30 noms de nations congos différentes.
Si les Abakuá et les Yoruba ont longtemps maintenu leurs traditions sacrées pratiquement intactes, les Congos, se sont plus intégrés à la culture dominante. Leurs dialectes à Cuba contiennent de nombreux mots espagnols. Il faut savoir que les esclaves congos furent déportés en Amérique dès le XVI siècle, à cause du monopole qu’avaient à l’époque les Portugais sur le traffic négrier, et à leurs contacts dans ces régions.
Durant l’époque coloniale, les esclaves bantou se soulevèrent plusieurs fois et formèrent des palenques, communautés dissimulées dans des lieux inaccessibles, qui contribuèrent à la préservation de leurs coutumes. Il existe quatre grandes religions congos à Cuba, ou “Règles”:

-la Regla de Palo-Monte

-la Regla Mayombe

-la Regla Briyumba

-la Regla Kimbisa del Santo Cristo del Buen Viaje, fondée au début du XXe siècle par Andrés Petit, personnage légendaire, grand chef religieux catholique, abakuá, yoruba et congo. Il aurait fondé cette règle, incluant également des cultes yoruba, pour protéger ses adeptes, car c’est lui qui a permis aux blancs de rejoindre la société secrète abakuá à la fin du XIXe siècle, ce qui engendra de nombreuses guerres internes au sein de cette dernière.

Les Congos ont à Cuba des traditions musicales très variées, dont les styles varient énormément d’un côté de l’île à l’autre. Le Kinfuiti, tambour à friction comparable à la cuica brésilienne subsiste encore dans la province de La Havane. La Yuka et ses tambours spécifiques taillés dans des troncs hauts et étroits est jouée à la campagne, elle existait dans quasiment toute l’île, mais subsiste seulement dans les Provinces de Villa Clara et de Pinar del Río. La Makuta avec ses nombreuses variantes et ses nombreuses formes de tambours, présente originellement dans quatre provinces du centre-ouest, n’est plus jouée que les provinces de Villa Clara, Cienfuegos et Sancti Spiritus. Ce sont les tambours ngomade la makuta qui donneront naissance à la conga ou tumbadora, tambour utilisé ensuite dans les carnavals, puis dans la musique populaire urbaine à partir des années 1940.  Le Palo est le style  le mieux implanté dans l’île,  et il est joué dans douze provinces sur quinze.

Les divinités congas sont nombreuses, beaucoup ont des noms espagnols, ce qui prouve l’existence de cultes cubains à part entière, phénomène comparable au Vaudou d’Haiti. Le Dieu Suprême est Nsambi, citons encore Tiembla Tierra (ou Mama Kengue dans la règle Mayombe), Lucero MundoSarabandaSiete Rayos (Munalongo en  Mayombe, Nkita en Kimbisa), Madre Agua (ou Siete Sayas ou Baluande), Brazo Fuerte (ou Cabo de Guerra), Pandilanga (ou Mpungo), Chola (ou Chola Wengue ou Madre CholaMamá Chola ou Madre Agua), Tata Pansuá (ou Pata é Llaga, ou Tata Funde, ou Luleno), Centella Nodki (Yaya Kéngue en Mayombe), Lufo KuyoBután KeyeKimbisa (ou Mpungo, ou Kabanga), Mama CanataNtala y Nsamba (les jumeaux), María BatallaPaso FuerteBuey SueltoMariata CongoMa FortunaMa RosarioZapatico MalakóTengue MaloMariquillaInfierno MundoCamposantoInfierno Barre EscobaMonte ObscuroPalo PrietoTormenta Ndoki ViraoSaca EmpeñoRabo e NubeLuna Nueva, etc…

Moins nombreux à Cuba quelesYoruba ou les Congo, les Arará, tirent -pensent certains – leurnom del’ancienne capitale d’Allada (ou Ardres)etsontoriginaires de l’ancien royaume du Dahomey, dans le suddel’actuelBénin. Un pacte religieux a été signé entre des chefsreligieux Yoruba,Arará et Egbado au XIXe siècle,permettantl’association de troisreligions. Miguel W. Ramos nous dit que”entre les années 1890 et1900s, sur la demande des Orichas (via ladivination, des adeptesLucumí commencèrent à partager leursconnaissances avec les Arará;c’est Ma Monserrate González qui commença à leur apprendre le diloggún(divinationd’Ifá), et, en retour, ils leurs apprirent les secrets deBabalú Ayé,Nanumé, Nana Burukú, et autres divinités arará”. Le cultearará lui-mêmea quasiment disparu de La Havane, où ne subsistait qu’unseul jeu detambours consacrés, sous la responsabilité d’Andrés Chacón,récemmentdécédé.  Avec cet homme s’est éteinte la tradition araráhavanaise,et depuis des années déjà pour les cérémonies on fait venirdesmusiciens et prêtres de Matanzas, où le culte est encorevivace,notamment dans la région de Jovellanos avec la célèbre famille Baró.
Lorsdes cérémonies, on utilise trois ou quatre tamboursmonomembranophonesdont la peau est tendue avec des chevilles enfoncéesdans le corps destambours. Par ordre décroissant: la junga, jouée avec une seule baguette et la main nue, le junguede et le juncito qui sont joués avec deux baguettes de bois tendre. Le quatrieme tambour, optionnel, est le jun. À ces tambours s`ajoute une cloche sans battant, le oggán. À La Havane on utilisait plutôt les noms de YonofóAplitíWéwé et Bajo pour ces mêmes tambours. Les noms des divinités arará sont également différentes à La Havane et à Matanzas, puisqu’on trouve:

-Babalú Ayé, qui a de nombreux noms et de nombreuses variantes (et/ou qualificatifs), telles ObalúayéOlúayé,

ChoponáSakpatáOmolúObaligbóBabaligbóOlodeAf(r)imayéAsoyíSoyí,

IbaribáDaluáAgronikaAnanúEsuneggueAsasulenúAsojanú, etc…

-Nana Burukú, divinité des eaux stagnantes et des lagunes, connue également des Yoruba.

-Jebbioso, divinité du feu et de la foudre, à La Havane comme à Matanzas (équivalent de Changó)

-Agüema ou Ferekete (à Matanzas) ou Afrekete (à La Havane), divinité de l’océan (équivalent de Yemayá)

-Ajosí ou Oddán (à Matanzas) ou Awueyí (à La Havane), divinité équivalente à Obatalá

-Mase Yoyowue ou Foddún Mase (à Matanzas) ou Mase (à La Havane), divinité équivalente à Ochún

-Afrá à La Havane comme à Matanzas (équivalent d’Eleguá)

d’autres divinités à Matanzas et Jovellanos, telles:

-Ojún DegaraJurajó TatuóArgüeAjuangúnKututóAddanóDayí, etc…

Une grande partie du répertoiredes chants arará aété repris dans la religion yoruba, et certainstoques de tambours batáont été inventés pour accompagner les chantsd’origine arará

Espiritismo

Il existe neuf formes d’Espiritismo (“Spiritisme”) dans toute l’île de Cuba, mélangeant les théories spirites d’Alan Kardec, cultes des nombreux Saints catholiques, cultes congos et, dans une moindre des cultes yoruba. Ces pratiques religieuses s’accompagnent, dans les provinces de l’ouest, avec des cajones (“cajón al muerto”). Sur ces cajones on joue des rythmes apparentés soit à la rumba, soit à la makuta des Congos. Dans les transes de possession, ce sont des morts qui viennent habiter les corps des adeptes, et prodiguer leur conseils, ou règler des problèmes concrets de la société locale. Les révélations de ces esprits des morts sont toujours très spectaculaires.

En Oriente, certaines formes de spiritisme sont appelées “Lucumí Cruzado”. Dans d’autres formes ce sont des rondes s’accélèrant progressivement qui provoquent les transes des adeptes qui martèlent le sol de leurs pieds.

Dans certaines familles de religion yoruba havanaises, il est nécessaire d’organiser une “messe spiritiste” pour “faire la paix avec ses morts” avant d’entamer une initiation à la Santería. Un orchestre de quatre musiciens (deux cajones, un catá et une clave en alternance avec une guataca, généralement jouées par un chanteur) est suffisant pour réaliser un cajón al muerto.

La Rumba

La Rumba est une forme de musique profane très ancienne, pratiquée dans les quartiers urbains ou à la campagne (seule le style columbia est rural).Si de nombreuses formes de rumba ont disparu, trois styles persistent: le yambú, le guaguancó et la columbia. La rumba authentique  est pratiquée  spontanément dans les quartiers, mais depuis  les années  1940  il existe des groupes de rumba  se produisant  dans des concerts de rumba.

Comme la musique de carnaval (la “conga” – le style musical – ou”comparsa” – mot qui désigne plutôt l’ensemble instrumental), la rumba se situe entre la musique afro-cubaine (“noire”) et la musique populaire (“blanche”) car elle empreinte aux deux mondes. Comme l’afro-cubain, la rumba comprend uniquement percussion, chant et danse. Encore une fois, le terme est mal employé aux USA, (où l’on trouve parfois l’orthographe “rhumba”) pour désigner le Son, et dans les danses “de salon”, où on l’emploie pour le bolero. Si dans les premiers groupes de rumba on voit sur les photos des métis ou des blancs, il est rare de trouver des rumberos blancs. Car si on étudie attentivement les photos des groupes de musique populaire de l’époque que l’on considère comme l’âge d’or de la musique populaire cubaine (les années 1940 et1950), on s’aperçoit qu’à cette époque les orchestres étaien constitués en grande majorité de musiciens blancs ou métis. De nombreux orchestres célèbres ne comportaient pas de musiciens noirs, et seuls quelques chanteurs, chefs d’orchestre ou percussionnistes aux talents incontestables étaient noirs: Arsenio Rodríguez, Silvestre Méndez, Carlos “Patato” Valdés: les musiciens de seconde zone étaient presque tous blancs ou métis.

La rumba se jouait originellement avec deux cajones, une “cajita china” que l’on jouait avec deux cuillers (remplacée ensuite par un gros bambou), et une paire de claves.  Un acheré (maraca yoruba en bois) puis un chekeré sont venus compléter l’ensemble. Des chorales de quartier, les coros de clave et les coros de guaguancó (qui ont tous disparu dans les années 1930) ont joué un rôle important dans l’histoire de la rumba des premières décennies du XXe siècle -d’où le nom du premier groupe de rumba de Cuba, fondé dans les années 1940: le Conjunto de Clave y Guaguancó. Jusque dans les années 1980 ce groupe aura défendu le style traditionnel de la rumba, avec cajones, canotiers, foulards, pantalons blancs et espadrilles à lacets. En 1956 le premier disque de rumba est enregistré, par Alberto Zayas et son Grupo Folklórico, comprenant certains membres de Luluyonkori, autre groupe de rumba des années 1950. Les Muñequitos de Matanzas (originellement “Conjunto Guaguancó Matancero”), deviendront sans doute le groupe de rumba le plus célèbre de Cuba, et le plus enregistré, tout en maintenant son style matancero particulier. Matanzas, comme pour les batá, le bembé, le güiro, l’abakuá, l’arará, possède son propre style de rumba, où même les noms des instruments peuvent varier. Les matanceros portent parfois aux poignets des bracelets contenant un petit récipient de sonailles métalliques, le nkembi.

La columbia, née (suppose-t’on) à Sabanilla dans la province de Matanzas, très empreinte de bembé et de folklore congo se jouant plutôt avec trois congas (tumbador, tres-dos et quinto, on a ensuite remplacé les cajones par ces trois tambours. Dans les années 1980, une famille du quartier de San Miguel del Padrón, la famille López ou “Chinitos” a inventé une nouvelle forme de rumba, le guarapachangueo (le”capharnaüm”), dont beaucoup de groupes ont repris des éléments, pour créér ce qui deviendra la rumba actuelle. Remettant le cajón au goût du jour, avec une nouvelle forme trapézoïdale, les Chinitos influenceront la rumba actuelle et en changeront l’instrumentation: actuellement on joue en même temps cajones et congas. Dans la rumba moderne on joue trois cajones et non plus deux comme auparavant: il existe désormais un cajón tres-dos. Un grand joueur de tambours batá et de cajón, Pancho Quinto, a inventé sa propre forme de guarapachangueo, en jouant assis sur un cajón tumbador, avec dans sa main gauche une cuiller doublant le catá, et à sa main droite trois tambours batá posés les uns sur les autres, remplacés aujourd’hui par trois congas couchées et attachées ensemble: c’est le style du Grupo Yoruba Andabo, fondé au début des années 80 avec des membres  d’un ancien groupe appelé Guaguancó Maritimo Portuario. Sur les bases du groupe de TataGüines – qui sera l’ossature d’un des meilleurs disques de rumba jamais enregistré, Rapsodia Rumbera, se fondera ensuite Rumberos de Cuba, l’un des meilleurs groupes actuels.

Malheureusement, toute une génération de rumberos nés autour de 1930, ayant connu à la fois les grandes rumbas hebdomadaires des quartiers”marginaux” (qui dégénéraient souvent en pugilats), la naissance des groupes de rumba, et un certain succès (les grands rumberos sont tous de modeste condition, la rumba n’étant pas très lucrative) avec les débuts de la Révolution réhabilitant définitivement toutes les musiques de Cuba, est en train de disparaître et l’on s’aperçoit que sans eux, la qualité de la rumba baisse quelque peu. Il s’agit de Calixto CallavaEl Tío TomEvaristo AparicioPancho QuintoTata GüinesJesús AlfonsoFlorencio CalleRicardo CanéMarquito DiazChavalongaPuntillaAlberto RomeroEl ChoríChacha Vega, pratiquement tous disparus dans la dernière décennie. La production discographique récente ne semble pas à la hauteur de ce que nous avons connu dans les années 1980 et 1990. Aucun rumbero n’aura accédé au statut de star mondialement connue, sauf peut-être le légendaire Chano Pozo.

La rumba reste une tradition vivace, une musique et une danse très difficile et qui évolue sans cesse, sans jamais atteindre une popularité réelle en dehors de Cuba, si ce n’est aux USA.

Il faut encore préciser que la rumba est un moyen d’expression poétique populaire, qui emprunte énormément de chansons au répertoire populaire, essentiellement du Son et de la Música Campesina. Cette tradition poétique permet aux humbles rumberos noirs de s’exprimer et/ou d’improviser en montrant qu’eux aussi peuvent maîtriser la langue espagnole et atteindre un niveau de culture littéraire que leur niveau dans l’échelle sociale ne leur permet pas de démontrer autrement que sous cette forme.

De nombreux refrains afro-cubains sont employés dans la rumba, qui sont souvent accolés à un texte qui n’a pas forcément de lien avec le refrain lui-même. Il existe plusieurs parties dans une rumba:

-la diana (onomatopéique) qui permet de donner la tonalité de la chanson, et/ou de citer une phrase mélodique qui donnera au choeur des indications sur le choix de la rumba que l’on va chanter. Il faut préciser que, comme dans l’afro-cubain, il n’y a pas de choeur constitué dans la rumba spontanée (et non “de concert”) pour répondre au soliste, et que ce sont les gens présents, musiciens ou non, qui répondront au chanteur ou à la chanteuse.

-le thème de la chanson proprement dit, qui peut être improvisé ou non, être issu d’un autre style musical, et chanté à deux voix ou plus si il est préparé à l’avance.

-la décima, improvisée ou non, qui encore une fois peut provenir d’un autre style musical, dans laquelle le chanteur atteint son plus haut degré d’expression. Elle utilise souvent une mélodie-type, différente dans le yambú, la columbia ou le guaguancó, et peut constituer la partie la plus longue de la chanson. Pendant tout le temps de la diana, du thème et de la décima la danse est absente et la percussion (en particulier le quinto) doit être assujetti au chanteur soliste.

- l’estribillo ou montuno (refrain) est la partie où s’expriment les danseurs, et cette fois c’est à ceux-ci que la percussion est assujettie. Un solo de quinto peut prende place entre deux refrains, mais c’est une partie que l’on n’entend surtout que dans les disques, et qui de toute façon a tendance à disparaître.

Le guaguancó est le style le plus utilisé, et son tempo s’est accéléré avec le temps. Dans la rumba moderne la vitesse, la diversité et le nombre d’évenement sonores produits par la percussion se sont considérablement accrus, ce qui fait dire à beaucoup de puristes que la rumba “ressemble de plus en plus à de la conga”.

La Comparsa

La musique de carnaval de Cuba se situe – nous l’avons dit – entre la musique afro-cubaine et la musique populaire. Il existe de nombreux styles de comparsas selon la ville dont elle est originaire: on ne joue pas la conga de la même façon à La Havane, Santiago, Camagüey, Matanzas, Trinidad, etc… La comparsa est bien évidemment un style urbain.

Si le carnaval est une tradition française issue du “jour des fous” du moyen-âge, puis du jour des rois (6 janvier ou épiphanie), la tradition carnavalesque de Cuba vient de ce que ce jour précis les Cabildos pouvaient sortie en procession et réclamer l’aguinaldo (un somme de monnaie) dans chaque maison riche, jusqu’à la Capitainerie Générale (palais du Gouverneur colonial). Les fonds collectés, ajoutés à des cotisations entre membes d’un même cabildo, servaient de fonds d’entraide pour soigner les malades, ou racheter la liberté de certains esclaves importants pouvant ensuite se consacrer pleinement à leur tâche de chef religieux.

À La Havane on joue la comparsa avec des bombos (tambours fabriqués sur le modèle des grosses caisses militaires), des congas (mambisa ou congatumbadoratres-dossalidorquinto) en grand nombre (certains tambours étaient doublés ou triplés), des cloches simples ou doubles (campanas jimaguas ou “San Martín”), des sartenes (poelles à frire) et parfois des caisses claires (autres tambours militaires). Les mélodies étaient autrefois chantées par des clarinas (chanteuses au voix claires et puissantes), auxquelles répondaient un choeur. Ces chanteuses ont ensuite été remplacées par des trompettes, voire des ensemble de cuivres. Chaque comparsa, correspondant à chaque quartier, défilait avec en tête ses emblêmes, ses personnages principaux,  des ensembles de danseurs, puis l’orchestre. Aujourd’hui on utilise des chars pour y placer l’orchestre, qui n’a plus à se déplacer en marchant. On peut donc ajouter des instruments intransportables. Chaque corporation ou corps de métier a, depuis la Révolution de 1959 sa propre comparsa, dont la célèbre FEU (comparsa universitaire). Les grandes comparsas havanaises existent encore toutes pour la plupart, et des compositeurs sont utilisés pour enrichir le répertoire. Citons Las JardinerasLas BollerasLos Marqueses Los DandiesLos Componedores de BateaEl AlacránLos Guaracheros de Regla, etc… De nombreuses farolas (“lampadaires” richement décorés) portées sur des mâts et qu’on faisait tournoyer étaient portées pendant tout le temps du défilé.

À Santiago de Cuba les instruments sont différents, et le relief accidenté de la ville rend le défilé plus difficile… Les bombos se nomment galletas, les tambours sont des bokú, tambours côniques de diamètre moindre que les congas havanaises, les cloches sont souvent remplacés par des “llantas” (littéralement des “jantes”, mais en fait les pièces en forme de couronne recouvrant les freins à tambours sur les anciens modèles de camion ou de – grosses – voitures); le seul instrument à vent est la corneta china, instrument asiatique qui, malgré son tempérament non-occidental joue des mélodies “normalement” tempérées, ce qui fait qu’il est “faux” en quasi-permanence. C’est à lui que répond le choeur.

À Camagüey on utilise de petits tambours carrés et de gros bombos, de petit diamètre mais très épais. On utilise également des llantas comme à Santiago. Parmi les comparsas célèbres on trouve La Conga de Los Hoyosla Conga de San AgustínEl Paso FrancoLa Conga de San PedritoLa Quimona (dont le nom vient des kimonos japonais), etc…

À Trinidad l’instrumentation est la même qu’à La Havane, mais on joue sur les deux peaux des bombos.

Chaque polyrythmie dans chaque style de chaque ville est complexe et peut se jouer sur un tempo très rapide. De plus, il faut savoir jouer en marchant. Rares sont les ensembles en dehors de Cuba qui parviennent à jouer ce style correctement.

Les comparsas ont été utilisées à certaines époques pour faire de la propagande électorale, ou de la publicité pour certaines grandes firmes, telle Bacardi, grande marque de rhum, qui a ensuite immigré en République Dominicaine.

Folklores d’Oriente

On appelle Oriente la partie de l’île comprenant les cinq provinces de l’est de Cuba: Las Tunas, HolguínGranmaSantiago et Guantánamo.Si ces provinces possède des esclaves depuis longtemps (Santiago est l’ancienne capitale), les choses ont considérablement changé après la Révolution haitienne, au début du XIXe siècle (Haiti fut le second pays indépendant du continent américain) car les colons français qui n’ont pas pu gagner la Louisiane, ou les Antilles françaises très éloignées au sud-est ont gagné Cuba, et ont amené avec eux des centaines d’esclaves qui pratiquaient déjà le Vaudou, culte synthétisant plusieurs cultures venant d’Afrique, puisqu’en Haiti aussi il y avait des Yoruba, des Congos, des Carabalí, etc… Longtemps les traditions “orientales” ont été mal considéré par les instances culturelles de la capitale car considérées comme “non-cubaines”. Il existe encore des préjugés sur les noirs d’Oriente considérés comme incultes et stupides.

Les traditions afro-cubaines d’Oriente (que l’on nomme parfois”haitiano-cubaines”) sont très nombreuses, et encore une fois on dénombre des variantes régionales. Citons: la Tumba Francesa, la Comparsa Carabalí, le Vodú, le Gagá, la Tajona, l’Ilancé, le Bembé oriental, le Bembé de Sao, le Bembé de Güiro, le Cunyai, le Masú, le Congo Layé, l’Ibbo, le Merengue haitiano-cubano, le Nagó, le Lucumí Cruzado, etc… sans compter les styles existant dans les autres parties de l’île: PaloMakuta, Espritismo, etc…
Beaucoup de styles haitiano-cubains se défilent, sans être pour autant de la musique de carnaval, particulièrement lors de la Semana Santa (la Semaine Sainte).

Chaque région conserve son style, et aucun musicien ne maîtrise tous les styles de l’île: il faudrait au moins deux vies pour apprendre tous les styles afro-cubains. Il faut chercher les meilleurs spécialistes de chaque style dans chaque région, et il serait vain d’espérer apprendre les tambours batá en Oriente, ou l’abakuá à Camagüey, ou encore l’arará à Guantánamo, la tumba francesa à La Havane ou le Gagá à Matanzas. Même si l’on peut aujourd’hui trouver d’excellents musiciens dans divers styles un peu partout, il vaut mieux toujours aller là où existe la source d’une musique – car chaque style est légèrement transformé quand il est joué ailleurs que dans sa région d’origine. La diffusion des enregistrements, des livres et même des instruments d’un côté de l’île à l’autre est difficile, – surtout depuis que Cuba est en crise (depuis la fin des années 1980), et il est parfois important de prendre conscience que nous – Européens et Occidentaux – qui avons accès à tout grâce à nos moyens financiers considérables et à internet, pouvons aider à la diffusion de la musique traditionnelle cubaine à l’intérieur-même de Cuba.

Patrice Banchereau

Publié sur le site www.baoasbl.org

Photo : Guïro de Philippe Verger

______________

À lire :

“El Monte” en espagnol

“La forêt et les Dieux” en français

par Lydia Cabrera


Enrique   |  Culture, Religion   |  06 26th, 2018    |